Racisme, antisémitisme, antiracisme. Apologie pour la recherche

Michel Wieviorka publie un état des lieux sur les études « postcoloniales » récemment mises en cause par la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal.

Il y a tout juste un mois, la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal dénonçait « l’islamo-gauchisme » qui « gangrène » l’université. Après l’émotion, les polémiques et les pétitions, voilà enfin un premier élément de réponse argumentée par Michel Wieviorka, l’un des sociologues les plus au fait du racisme et des études dites « postcoloniales ».

La ministre avait souhaité « un état des lieux de ce qui se fait en recherche en France sur ces sujets ». Le directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) s’est saisi du sujet et adresse à la ministre un « rapport » qui intéressera tout autant le grand public.

Le chercheur restitue d’abord les racines de ces études qui connurent une transformation dans les années 1960 aux États-Unis et explicite les concepts et approches tels que « racisme institutionnel », « intersectionnalité », « postcolonialisme » et « décolonialisme », etc. Il explique pourquoi la « race » – non pas au sens biologique mais culturel du terme – « s’impose de plus en plus comme une catégorie pertinente » sans taire ses réserves : la notion d’intersectionnalité n’est pas « inintéressante », mais « ses usages politiques et militants sont vite consternants », juge-t-il.

Son « rapport » renvoie dos à dos deux extrêmes. D’une part, les nouveaux militants de l’antiracisme qui essentialisent les identités et finissent par faire le jeu du racisme. L’auteur estime toutefois très mal choisi le chef d’accusation « islamo-gauchisme », car ce radicalisme n’est pas l’apanage de réseaux musulmans. Le livre de Michel Wieviorka débute ainsi par son témoignage édifiant sur les pressions et boycotts dont il a été victime à l’EHESS, par exemple sur un sujet comme le génocide rwandais.

D’autre part, le sociologue s’en prend aux « tenants de l’universalisme républicain » qui pratiquent « l’excès, la polémique, l’invective, le sectarisme parfois aussi, sur fond de calculs politiciens qui n’arrangent rien ». Michel Wieviorka dénonce l’influence du Printemps républicain (fondé en 2016) et de l’Observatoire du décolonialisme (2020), la connivence d’intellectuels et de ministres, dont Frédérique Vidal elle-même. Il réfute leur dénonciation sans nuance. « Dans l’ensemble, les chercheurs qui relèvent de la nébuleuse postcoloniale, ou s’en approchent, savent se tenir à distance de ses principales dérives et maintenir une réelle activité scientifique », souligne Michel Wieviorka.

Son plaidoyer pour les sciences sociales débouche sur plusieurs pistes. L’enjeu est selon lui de recréer des échanges internationaux, alors qu’on assiste à des replis nationaux qui engendrent une « fragmentation » de la vie scientifique à l’échelle planétaire. Il est tout aussi essentiel de développer conjointement les études sur le racisme, sur l’antisémitisme et sur l’antiracisme. Ce dernier terme est, selon lui, un angle mort de la recherche, alors que les mouvements militants ont beaucoup évolué. Quant aux deux premiers, ils peinent de plus en plus à cohabiter dans le champ universitaire.

Racisme, antisémitisme, antiracisme. Apologie pour la recherche, Michel Wieviorka, La Boîte à Pandore, 2021, 77 p.