Construisons ensemble une société solidaire : refusons de tolérer l’intolérable

Appel des présidents de sept organisations chrétiennes aux Français qui vont voter

 La crise est là, partout, sur toutes les lèvres et fait la une de tous les médias.  La société française est fragilisée ; pire encore, elle risque de se briser parce qu’une partie croissante de ses membres bascule dans la précarité et la misère.

 

Pouvons-nous  plus longtemps tolérer l’intolérable ?

 

Tous les Français seraient gravement touchés si à force de laisser-faire, à force de se réfugier derrière les fatalités trop souvent évoquées que sont devenus le marché, la croissance ou plus généralement l’état du système financier mondial, ils s’accommodaient de ce scandale.

L’actuelle campagne présidentielle est inquiétante. Un catalogue de mesures, quelle que soit leur opportunité, ne peut se substituer à l’élaboration de projets  et de  choix de société. Quelle société voulons-nous ?

Faut-il ne retenir que les seuls indicateurs macroéconomiques comme critères de ce qui est bon pour la France ? Faux-semblants, promesses non tenues, recours aux bouc-émissaires suscitent notre indignation. Nous en avons assez des « petites phrases » qui divisent et des formules qui clivent à des fins exclusivement électorales. Mais nous indigner ne suffit pas. Nous avons notre part de responsabilité dans les choix qui vont être faits.

Nous voulons que l’économie soit à la mesure de l’homme et non l’inverse. Nous voulons que l’honneur de notre pays et de nos institutions se traduise dans la lutte contre les exclusions.

 

Exclusion des plus pauvres

De plus en plus de Français,  malgré des revenus issus d’un emploi, n’arrivent plus aujourd’hui à vivre décemment.  Les plus démunis s’enfoncent, les plus modestes décrochent. Le chômage est là, tenace, durable.  Il s’accroît et affecte principalement les femmes et les jeunes.  Nombre d’entre eux sont en situation de détresse économique,  sociale et familiale.   L’accès des jeunes à l’autonomie est de plus en plus difficile : 25% des sans -domicile fixe sont des jeunes de 18 à 24 ans. 15% de la population   française ne se soigne pas faute de moyens. C’est une atteinte à la dignité humaine.

 

…des mal  logés

3 600 000 Français vivent dans une situation aigüe de mal logement – 665 000 personnes sont privées de domicile personnel, dont 113 000 sans domicile fixe. Le logement est devenu une source majeure d’exclusion  et un facteur aggravant des injustices et des inégalités.

 

…des personnes seules

La solitude s’installe chez un tiers de nos concitoyens, sans que notre société accorde une attention suffisante à la pauvreté de l’homme qui n’existe pour personne. Cette solitude pesante touche notamment les personnes âgées, les femmes et les jeunes. Le plus souvent cachée et masquée, elle est un déni de cette fraternité qui est au fondement de notre République. En ce domaine, chacun peut pourtant faire quelque chose.

 

…des personnes souffrantes et fragiles

Face aux fragilités et souffrances humaines, nous avons une responsabilité vis-à-vis des plus vulnérables, ceux également dont on décidera peut-être un jour que leur vie ne vaut pas la peine d’être vécue.

…des migrants et des étrangers

Il est urgent de respecter les droits des migrants et de leurs familles, premières victimes d’un monde qui cherche ses équilibres.L’autre, l’étranger, doit être considéré non comme un  fardeau aux marges de la société, exploitable et exploité, mais comme un être humain qui prend  part à la vie de la Cité. L’hospitalité n’est pas synonyme d’aide ou de charité. Elle signifie accueil de l’autre dans le respect des principes fondamentaux du vivre-ensemble. En particulier, les pouvoirs publics ont le devoir d’accueillir et de protéger les enfants migrants livrés souvent aux mains de réseaux.

 

Au-delà de la France : refus des échanges inégaux

De l’autre côté de la planète, des émeutesde la faim éclatent. Des paysans africains et sud-américains luttent pour ne pas être dépossédés de leurs terres. Les multinationales réalisent des profits grandissants au détriment des populations  privées de ressources précieuses. Il est urgent de les mettre face à leurs responsabilités. Urgent de combattre sans merci l’évasion fiscale et d’en finir avec les territoires de non-droit. Urgent de réguler les marchés agricoles et financiers. Se nourrir est un droit: il ne doit pas être soumis à des spéculations boursières ou autres.

 

Nos responsabilités – Tout ne dépend pas de l’Etat

Si les grandes orientations politiques dépendent de l’Etat, elles dépendent tout autant de nos pratiques ordinaires. Nos propres manières de vivre  ont des conséquences économiques, sociales et écologiques. Nous devons faire des choix en matière d’éducation (scolarité, vie de famille, tiers lieux éducatifs) pour construire un monde  accueillant aux nouvelles générations.

Eduquer à la sobriété, à la solidarité, à la justice sociale, à la préservation de l’environnement, à la compréhension de la nature et de ses écosystèmes est aujourd’hui un enjeu majeur de société.

Se laisser toucher par les pauvretés et les injustices sociales et économiques,  nationales et internationales, ne relève pas simplement de l’émotion d’un moment ni d’un don financier passager, mais doit nous pousser aussi à un engagement personnel et à des choix et des décisions relevant du politique.

 

 « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger… »

« J’étais un étranger et vous m’avez accueilli »…

Pour nous, chrétiens, ces paroles du Christ (Matthieu 25) éclairent nos choix, pas seulement en temps d’élections. Avec tous les croyants et incroyants qui désirent la justice, nous refusons de tolérer l’intolérable.

 

Ensemble nous pouvons construire une société solidaire.

 

Cet appel, à l’initiative de Confrontations, association d’Intellectuels Chrétiens, est lancé par les sept présidents des organisations suivantes :

Guy Aurenche/CCFD-Terre Solidaire, Bruno Dardelet / Société de Saint-Vincent-de-Paul, Françoise Parmentier/Confrontations AIC, Patrick Peugeot/Cimade, François Soulage/ Secours Catholique, Gilles Vermot-Desroches / Scouts et Guides de France, Denis Viénot/ Chrétiens en forum.

 

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Lors de la soirée de présentation de cet appel, le 12 avril 2012 au Temple de l’Etoile à Paris, chaque président est intervenu. Celui de Chrétiens en forum a expliqué le tour de France sur les enjeux des élections présidentielles organisé par cette association depuis un an : des débats avec 1.600 participants dans une quinzaine de villes, avec une vingtaine d’associations partenaires, avec une quinzaine de conférenciers catholiques, protestants et orthodoxes. Trois thèmes se détachent.

 

Premier thème : l’économie, la finance, la fiscalité.

Les chrétiens sociaux, qui sont d’ordinaire des gens modérés, font preuve d’une vigueur inhabituelle dans leur condamnation du système financier.

Les participants considèrent que la finance doit servir l’économie qui doit être dominée par le politique. Or c’est l’inverse que l’on constate : il faut donc remettre de l’ordre.

Le mode de vie actuel pousse au gaspillage. On rejoint là la préoccupation écologiqueet le respect dû à la terre : la machine économique doit produire de l’essentiel, pas du superflu. Du durable, non du jetable. « Une culture de la frugalité doit émerger ».

Ainsi la recherche de croissance doit être ordonnée à la vie sociale, plutôt que de fonctionner comme une mécanique d’accaparement.

  • Le pouvoir exorbitant des agences de notation, par exemple, échappe à tout contrôle démocratique, bien qu’il agisse directement sur la vie des populations.
  • La persistance du chômage, particulièrement des jeunes, démontre que l’économie fonctionne plutôt comme une mécanique d’accaparement. L’existence même des paradis fiscaux, la tolérance d’inégalités massives de revenus sont des symptômes d’épidémies.

La fiscalité apparait comme l’outil le plus adéquat pour rééquilibrer le système, où les valeurs de justice et de démocratie doivent trouver leur place.

Enfin, la crise actuelle offre aussi une chance en posant à l’Europe – nous avons organisé un colloque aux Bernardins sur la question européenne –  la question du sens de son développement, et l’accule à une réflexion salutaire.

 

Deuxième thème : la vie politique.

L’échelon politique est clairement perçu comme le pivot légitime de l’organisation de la vie en société. Mais, dépossédé de son pouvoir, il doit reprendre la main, y compris au niveau européen.

Ce souhait se heurte cependant à deux réalités :

  • Les conditions d’expression de la démocratie sont mauvaises actuellement, car la classe politique confisque le débat. Il faut promouvoir le débat démocratique à nouveaux frais, en le dotant d’une éthique, afin d’éviter son dévoiement.
  • Le personnel politique actuel semble indigne des charges qu’il exerce ou brigue. On attend du futur Président une certaine irréprochabilité, une capacité à rassembler sur un projet d’avenir et sur notre héritage commun, tout en instaurant une dimension de fraternité dans sa manière de gouverner.

Partout est soulignée la nécessité de promouvoir le débat démocratique en lui donnant une éthique : il devrait être digne, serein, respectueux, humble, lucide. Il suppose une véritable éducation à la démocratie, au sens du bien commun.

 

Troisième thème : la question sociale :

Les chrétiens rencontrés situent leur action dans un combat pour la justice, et d’abord  pour la dignité humaine.

Le politique doit favoriser:

  • un tissu associatif dense, connecté et mis en réseau, tout en veillant à son caractère réellement démocratique, sans despotisme ni confiscation de pouvoir.
  • une priorité à la construction d’une Europe sociale.
  • une vraie politique d’habitat, socle de l’intégration à un lieu, qui est bien autre chose que l’hébergement (vivre chez quelqu’un d’autre) ou le logement (avoir un toit).
  • une politique éducative ambitieuse, par laquelle tout commence, et qui doit faire une place plus large à l’éducation au civisme, au sens de l’engagement, aux valeurs universelles.

 

Dans une société où les inégalités augmentent, l’importance du partage et de la solidarité s’accroit.

Mais au-delà des aspects matériels, c’est de fraternité qu’a soif notre société. La fraternité peut réaliser une intégration sociale authentique et respectueuse de chacun.

 

Les regards de quatre journalistes.

Ces apports furent proposés à des journalistes, lors d’une réunion à Paris fin mars.

Sophie de Ravinel, journaliste au Figaro relève le sentiment d’impuissance des jeunes. Elle a été frappée par les constats : partout on remarque que notre société exclut sa jeunesse. En se comportant ainsi, elle la pousse à l’individualisme et se condamne. Faute d’un bon accès à l’emploi, ou de salaires décents, nous admettons collectivement que les jeunes ratent leur départ dans la vie adulte, ou l’entament de manière inique. Nous admettons pareillement qu’ils n’aient pas la parole et finissons même par considérer comme normal qu’ils n’aient pas accès au logement.

 

Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques affirme d’entrée que la crise n’est pas une chance, qu’elle est une menace. Face à des propos judéo-chrétiens parfois un peu auto flagellants, il n’est pas inutile d’entendre cela !

 

Jérôme Anciberro, rédacteur en chef de Témoignage chrétien note que la question de l’identité est peu présente. Il montre que le problème des populations dites immigrées est d’être d’anciens immigrés que l’on renvoie à leurs identités étrangères, que l’on maintient étrangers, dont on affaiblit ainsi les processus d’intégration.

 

François Ernenwein, rédacteur en chef de La Croix insiste sur la place du politique. Le politique, ce n’est pas que l’Etat. Il faut réactiver l’éthique de la discussion, faire place aux syndicats, aux associations, aux corps intermédiaires.

Il faut associer les corps intermédiaires à l’évolution démocratique effective, à l’évolution des relations sociales dans l’entreprise.

Il faut le faire en enrayant les logiques d’exclusion sociale qui caractérisent les fonctionnements ordinaires de nos démocraties. (Loïc Blondiaux, Le nouvel esprit de la démocratie, Seuil, Paris, 2008).

 

En démocratie la participation doit être pratique,

  • dans l’exercice d’un pouvoir critique, d’évaluation, de contestation, la « contre-démocratie » de Pierre Rosanvallon,
  • dans une participation organisée et institutionnalisée.