Pour un plan de rebond solidaire Contribution du Collectif ALERTE

A l’approche du déconfinement et du redémarrage progressif de l’activité économique, ainsi que de la sortie des dispositifs de crise, le risque de crise sociale devient de plus en plus réel :

Les personnes en situation de précarité auront souffert plus que les autres de la période de confinement : isolement extrême pour beaucoup d’entre eux ; confinement ressenti plus durement du fait des conditions de logement ou d’hébergement, a fortiori de sans abrisme ; perte de ressources (disparition des petits boulots, de l’économie informelle, de la débrouille…) et accroissement du coût de la vie (dépenses alimentaires en hausse, fermeture des cantines scolaires et des marchés dans un contexte d’affaiblissement des circuits d’aide et de distribution alimentaires) ; rupture d’activité ou de formation, et donc perte de perspectives ; ruptures de droits et d’accompagnement ; cas de violence en microcosmes familiaux et sociaux sensibles ; dégradation de l’état de santé, stress et traumas…Nos associations peuvent témoigner de l’importance des liens que nous avons eu à cœur de cultiver tout au long de ces semaines, et qui nous ont permis d’entendre aussi chez ces personnes une vraie angoisse pour leur quotidien et pour les mois à venir, qui risquent d’être plus difficiles encore. Le nombre des personnes précaires risque aussi d’augmenter fortement. Déjà, nos associations voient, tout comme les centres communaux d’action sociale, arriver un nouveau public de personnes qui n’avaient jamais jusqu’ici fréquenté les organismes sociaux mais n’ont désormais plus assez de ressources, parfois même pour se nourrir, donner à manger à leurs enfants ; elles expriment également leur crainte de basculer dans la pauvreté. L’accès aux moyens de paiement et aux services bancaires et financiers reste difficile pour de nombreuses personnes et familles.

Les personnes les plus vulnérables constituent une clientèle stigmatisée. Des personnes condamnées à faire du troc pour obtenir des pièces de monnaie et avoir accès à des denrées et à une hygiène (douches, toilettes, Lavomatic…) de base ou bien pour payer sur internet des factures se retrouvent en situation d’exploitation. Enfin, notre système de protection sociale s’est avéré incapable de protéger des pans entiers de la population résidente en France, comme les personnes vivant à la rue, en squats ou bidonvilles, les étrangers en situation irrégulière ou les demandeurs d’asile. Nombre d’entre eux n’ont pas bénéficié d’un accès aux soins, alors que l’impératif de santé publique n’a jamais été aussi fort. Face à cette situation, les pouvoirs publics ne sont pas restés sans réagir. Ils ont su mobiliser des financements rapidement et ont pris parfois des mesures bienvenues et innovantes, par exemple dans le champ de l’hébergement, de l’aide alimentaire ou du maintien des droits sociaux (avec parfois, on peut le regretter, un manque de coordination entre les acteurs et notamment entre les départements ministériels, au niveau national comme au niveau local). Ils se sont très largement appuyés sur le tissu associatif, seul moyen bien souvent pour toucher les publics les plus précaires. Mais, alors que nous savons désormais que la crise sanitaire va durer de nombreux mois, le risque est important de voir les publics précaires s’enfoncer dans la misère et les publics modestes basculer dans la pauvreté.

Les personnes en situation de fragilité sociale auront besoin, plus que jamais et plus que les autres, de la puissance publique pour survivre et pouvoir rebondir et la puissance publique aura besoin d’elles pour prendre des mesures qui correspondent à leurs besoins. La question de la pauvreté doit être prise en compte, dans toutes ses dimensions, dans le plan de relance global que prépare le gouvernement. Dans ce contexte si spécifique, qui impose de revoir les modèles existants, il convient d’être innovant, de poursuivre et pérenniser nombre d’initiatives engagées, de renoncer parfois à des réformes pensées en d’autre temps, d’éviter toute mesure susceptible de fragiliser encore les personnes précaires, enfin d’imaginer des politiques publiques qui ne laissent personne de côté et permettent à tous d’accéder aux droits de tous. Cela impose que les plus pauvres soient associés à leur élaboration, leur mise en œuvre et leur évaluation. Cela impliquera de pouvoir prendre en compte les besoins des territoires les plus en difficulté, en particulier pour programmer les créations d’emplois et de places dans les dispositifs sociaux et médico-sociaux. Un plan spécifique à l’Outre-mer devrait également être lancé, pour lutter contre le sous-équipement sanitaire et social et les difficultés économiques massives de ces territoires.

1. Soutenir le « pouvoir de vivre » des ménages

La crise sanitaire a permis d’activer le principe d’un maintien des droits sociaux et en particulier de ceux des bénéficiaires des minima sociaux. Les ordonnances adoptées ont acté la continuité des droits de manière large, y compris pour ceux soumis à une obligation d’actualisation. Il est nécessaire de s’inscrire dans la suite du maintien de ces droits et de poursuivre une logique de continuité qui doit prévaloir après la crise. La reprise d’indus de RSA devrait, en particulier, être suspendue durant cette période. Enfin, il sera essentiel d’harmoniser les conditions de prolongation/ouverture de droits en sortie d’état d’urgence, les textes ayant prévu des délais et modalités très différents d’une prestation à l’autre ; à défaut, les personnes, qui perçoivent souvent plusieurs allocations, risquent d’être confrontées à des situations incompréhensibles, sources de non recours. La crise aura ainsi été l’occasion d’instituer des formes d’automaticité, à l’aune des difficultés manifestes des bénéficiaires, difficultés pourtant évidentes depuis longtemps et qui ne se résoudront pas par miracle. Elle montre, à l’évidence, la nécessité de progresser vers une garantie des droits et d’agir contre la dérive des devoirs assignés aux allocataires des minima sociaux. L’accès au service public (CAF, CPAM, MSA) doit, dans cette période délicate, être particulièrement facilité avec des interlocuteurs réels joignables par téléphone, sans surcoût ni délais afin de permettre un accès humain non standardisé aux personnes ne maîtrisant pas les outils informatiques. Dans un contexte où la distribution de courrier, ou l’accès des personnes domiciliées par des associations à leur courrier, est plus difficile, les démarches d’ouverture/prolongations de droit des personnes devraient être adressées par voie électronique, en plus de la voie postale.

Nous avons salué l’instauration de l’aide exceptionnelle de 150 euros pour les allocataires du RSA et de l’ASS et de l’aide de 100 euros par enfant pour les familles modestes (allocataires de l’APL) même si cette prime, que nous avions demandée, reste trop étroite et d’un montant trop limité pur répondre aux besoins durables des précaires. Elle doit tout d’abord être étendue aux jeunes précaires, étudiants ou non de moins de 25 ans, ainsi qu’à tous les allocataires de l’ASPA et de l’AAH : aujourd’hui, l’aide exclut les personnes adultes seules percevant l’AAH (72% des allocataires de l’AAH), les familles dans lesquelles se trouve un adulte handicapé dépendant percevant l’AAH (adulte en situation de handicap vivant avec ses parents ou frères/sœurs) et les bénéficiaires de l’AAH en ESMS qui sont de retour dans leurs familles suite à la crise sanitaire et ne perçoivent que 30% de leur AAH ; elle exclut également les 570 000 personnes âgées allocataires de l’ASPA, dont 73% sont des personnes isolées. Il faudra également que cette aide soit renouvelée pour tenir compte de la durée du confinement et de la période de déconfinement, durant laquelle les difficultés rencontrées par les plus pauvres vont perdurer, voire s’accroître.

Beaucoup de personnes précaires ont par ailleurs fait l’objet d’amendes, qu’elles n’ont pu honorer et qu’elles ne pourront honorer, sauf à mettre en péril l’équilibre de leur budget ; il serait nécessaire de mettre en place une procédure d’amnistie ou de remise gracieuse, facile d’accès et compréhensive à l’égard de cette catégorie. Nous constatons également que les personnes sans abri continuent de faire l’objet de verbalisations, malgré les instructions données. Nous demandons d’agir en amont des contrôles pour éviter que ces personnes ne fassent encore l’objet d’amendes.

Parce que l’aide exceptionnelle est tardive et afin de pouvoir garantir un accès à l’alimentation à tous les publics, y compris les personnes en grande précarité ou en situation irrégulière, les associations du collectif ALERTE demandent le prolongement de l’octroi de chèques service tout au long de cette période de crise et de sortie de crise sanitaire. Mais cette mesure d’urgence vient aussi rappeler une réalité insupportable qui appelle des réponses structurelles : 5,5 millions de personnes en France étaient déjà dépendantes de l’aide alimentaire en 2019. Enfin, s’il est une chose que la crise a révélée, c’est bien que le montant actuel du RSA ne permet pas aux personnes qui le touchent de mener une vie décente et de subvenir à leurs besoins et ceux de leur famille, le cas échéant. Les énormes difficultés rencontrées par de nombreux jeunes sans ressources soulignent par ailleurs le caractère inacceptable de l’exclusion des jeunes du bénéfice de cette allocation. Sans attendre l’éventuelle réforme du revenu universel d’activité, il est impératif de prévoir, dès la loi de finances pour 2021, une revalorisation significative du montant du RSA (le collectif ALERTE demande, depuis plusieurs années, qu’il soit fixé à 50% du revenu médian, soit à 850€ pour une personne seule) et son ouverture aux jeunes de 18 à 25 ans. Alors qu’un grand nombre de personnes vont basculer aux minima sociaux, avec de faibles possibilités de trouver rapidement un emploi, nul ne saurait défendre qu’une telle mesure “désinciterait” au travail. Par ailleurs, la crise sanitaire a fait apparaître la fragilité des personnes ayant des droits bancaires restreints et dépendantes de liquidités. C’est pourquoi, il apparaît important de développer des réponses pour contrer ces difficultés, en facilitant l’accès des personnes les plus vulnérables aux agences postales et bancaires pour qu’elles aient accès à leur salaire ou allocations même lorsqu’elles n’ont pas de cartes bancaires. Réorganiser la répartition dans certaines régions des agences bancaires et des bureaux de poste de proximité semble également un enseignement important de cette crise. A l’issue de la crise, de nombreux ménages, de nombreux ménages en précarité risquent de ne pas pouvoir faire face à des échéances de remboursement de leurs prêts, ce qui imputera encore plus leur pouvoir d’achat à court, moyen et long termes. Pour cela, il semble primordial d’élargir exceptionnellement la limitation des frais financiers de surendettement dans le cas de situations financières fragiles et de plafonner les frais d’incidents bancaires pour tout le monde dès aujourd’hui et jusqu’au 31 décembre (20 euros par mois maximum et 200 euros par an) afin de soulager les ménages précaires déjà gravement affectés par la crise et qui sont les premiers impactés par les frais d’incident bancaires.

 

2. Déconfiner sans expulser : vers le Logement d’abord

La mobilisation de places nouvelles et la coordination entre acteurs de l’hébergement, de la veille sociale, du logement d’insertion et du soin donnent des résultats prometteurs et montrent qu’il est possible de sortir du sans-abrisme en amplifiant l’effort et en relançant la sortie vers le logement. A contrario, la reprise des expulsions locatives et remises à la rue après le déconfinement aurait des conséquences dramatiques pour les plus précaires. Le plan de relance dans le logement doit être l’occasion d’un changement d’échelle pour mettre fin au sans-abrisme et réduire le mal logement.

A court terme, aucune mise à la rue, aucune expulsion ou évacuation de campements/bidonvilles sans solution de relogement ne doit être tolérée. Pour cela, il est indispensable de garantir la non remise à la rue et l’inconditionnalité de l’accueil en : prolongeant le plan hiver et les réquisitions d’hôtels et locaux vacants, en renforçant l’effort de mobilisation de nouvelles places et en développant de nouvelles solutions d’hébergement en modulaire en 2020 pour permettre le desserrement des personnes hébergées à plusieurs par chambre en hôtel. Il convient également de déployer un plan d’humanisation des accueils de jour et l’adaptation des centres d’hébergement pour développer au lieu des gymnases, des dortoirs et espaces collectifs, des chambres individuelles équipées de kitchenettes et d’équipement numérique. Pour finir, il faut prévenir les impayés de quittance et les expulsions locatives en créant un fonds national d’aide à la quittance venant abonder les FSL pour aider les locataires et résidents dont les ressources ont baissé depuis mars 2020, en prolongeant la trêve des expulsions jusqu’au retour à la normale, et en renforçant les moyens dont disposent les préfets pour indemniser les propriétaires en cas de refus d’expulsions. A moyen terme, un plan de relance au service du droit au logement doit être développé : l’urgence de la crise ne doit pas nous faire oublier que des solutions à moyen terme sont possibles pour résorber durablement le sans-abrisme et le mal-logement, en proposant prioritairement des solutions de logement pérenne aux personnes sans domicile.

Pour ce faire, il faut, dans un premier temps, faire du déconfinement un accélérateur du Logement d’abord, via l’accompagnement de toutes les personnes actuellement hébergées pour faciliter l’ouverture de leurs droits sociaux, leurs demandes de logement social, leurs recours DALO ou leur demande de régularisation. Un ciblage accru des personnes sans domicile dans les attributions HLM, grâce à des baisses de quittance ciblées, une revalorisation des APL, un renforcement des mesures d’accompagnement social et un respect strict des quotas d’attributions en faveur des ménages très pauvres et prioritaires doit être mis en place. Il conviendra également de renforcer le financement d’un plan de résorption des squats et bidonvilles. Il parait nécessaire de doubler le nombre de territoires de mise en œuvre accélérée du Logement d’abord et des programmes un Chez soi d’abord. Plus largement, il est nécessaire d’engager dès à présent le dialogue avec les élus locaux pour promouvoir une vraie mixité de l’habitat dans chaque commune. Ensuite, il est essentiel d’investir dans le logement très social et l’accompagnement au travers de différentes mesures.

Dans un premier temps, il convient de financer 150 000 logements sociaux écologiques par an dont 60 000 PLAI sous plafonds APL par le biais d’un retour de l’Etat dans le financement des aides à la pierre et le renoncement à la RLS. Le parc privé doit être mobilisé par le conventionnement via l’ANAH de 40 000 logements par an grâce à un crédit d’impôt attractif en privilégiant les loyers très sociaux et le mandat de gestion. Il faut développer le secteur du logement adapté, des pensions de famille, de l’intermédiation locative. Pour finir, il est nécessaire d’améliorer l’accompagnement des personnes vers le logement, de là où elles sont, en centres d’hébergement, squats comme bidonvilles, via le déploiement des CHRS hors les murs.

D’autres mesures doivent être déployées dans un horizon de moyen terme : le renforcement des services au contact des personnes sans-abri (accueils de jour, domiciliation, maraudes, accès aux droits, SIAO, en articulation avec les professionnels de santé) ; l’amélioration de la qualité de l’offre d’hébergement et de logement adapté, en redéfinissant les prestations socles, incluant l’accompagnement, l’alimentation, le soin, le respect des normes d’hygiène et l’accès à un équipement numérique, et relancer la création de places en CADA.

Deux mesures complémentaires sont essentielles pour atteindre l’objectif de mener tout le monde au logement : l’extension de VISALE et, au-delà, la mise en place d’une véritable Garantie Universelle des loyers, ainsi que la définition d’un programme d’éradication de l’habitat indigne et de rénovation des passoires énergétiques, doté d’un calendrier précis pour en venir à bout en quelques années. Enfin, la situation dans les bidonvilles ne doit pas être oubliée à la sortie du confinement. Si des efforts ont été fournis pour améliorer l’accès à l’eau afin de favoriser l’observance des mesures de prévention, cette dynamique ne doit pas reculer. Dans l’immédiat, il faut poursuivre et amplifier la mise en place de points d’eau et d’installations sanitaires : ils sont indispensables aussi bien en période d’épidémie qu’en dehors. Les expulsions de bidonvilles et squats ne doivent pas reprendre à la sortie du confinement. Les personnes qui y vivent sont extrêmement éprouvées par la crise sanitaire, elles ont très souvent perdu leurs sources de revenus et dépendent de l’aide alimentaire. Les expulsions détruisent les efforts d’inclusion. La période à venir doit être mise à profit pour accélérer la dynamique de résorption des bidonvilles : la crise sanitaire a démontré encore une fois l’obstacle que représentait le maintien en bidonvilles pour la santé des personnes (impossibilité d’appliquer les gestes barrières, fragilisation sanitaire des occupants). La mobilisation des services de l’Etat, des collectivités, des habitants des bidonvilles et des acteurs associatifs et citoyens pour faire face à la crise actuelle doit être un moteur pour renforcer l’implication des pouvoirs publics dans ce sens. La situation des bidonvilles en outremer exige une réponse de même ampleur qu’en métropole, le plan de résorption découlant de l’instruction du 25 janvier 2018 doit y être appliqué. Cela signifie à la fois une volonté politique et des moyens dédiés.

3. Rendre universel l’accès au système de santé

La crise sanitaire a également permis de révéler des dysfonctionnements dans le système de santé français, en première ligne dans les réponses à apporter à la propagation du Covid-19 sur le territoire. Aujourd’hui les personnes exclues du système de santé sont les plus précaires dans la population, notamment les personnes hébergées et/ou les personnes étrangères (personnes sans titre de séjour, ressortissants européens précaires dont le droit au séjour est instable, demandeurs d’asile). Elles sont confrontées à des conditions de vie très difficiles (campements, squats, bidonvilles, vie à la rue…) qui fragilisent leur santé (92% des patients vus dans les CASOs de Médecins du Monde ont un habitat instable) et ne permettent pas de réaliser les mesures de prévention.

A ces problématiques s’ajoutent des difficultés matérielles, financières, temporelles, et systémiques d’accès aux droits, aux soins et à la prévention alors qu’elles sont les plus touchées par les inégalités sociales de santé. Elles souffrent plus souvent de maladies chroniques et sont de ce fait plus exposées à des formes graves du Covid. Le non-recours aux droits à la couverture maladie est très important parmi ces populations. Par exemple, le taux de non recours à l’AME s’élève à 49% (selon l’étude IRDES Premiers Pas, menée en 2018-2019). Pendant la crise, ces questions ont vu des tentatives de réponse en urgence : mise à l’abri en hôtel, accès à des centres d’hébergement spécialisés, accès à l’eau amélioré sur beaucoup de lieux de vie, prolongation des droits AME, CSS et ACS pour ceux qui arrivaient à échéance. Mais le non-recours au système de santé et le renoncement aux soins se sont aggravés en raison du confinement et de la diminution de l’offre de soins accessible (PASS, centres de santé associatifs, offre de soins de ville etc.), ce qui n’a fait qu’aggraver l’état de santé des plus précaires.

Cette période de crise doit donc permettre de prendre un tournant clairement affirmé pour renforcer l’accès au système de santé de tous les précaires, quel que soit leur statut administratif et nous rappelle que la santé publique concerne l’ensemble des personnes qui résident sur un territoire, sans distinction. L’universalité est essentielle si l’on veut protéger la santé de tous. Pour ce faire, il est indispensable dans un premier temps d’améliorer l’accès de tous aux droits à la couverture maladie notamment en maintenant les facilités mises en place pendant la crise du Covid (dépôt des demandes d’AME par mail ou par accusé de réception, meilleure accessibilité au dispositif des soins urgents et vitaux). Revenir sur les mesures prises fin 2019 visant à restreindre l’accès à l’AME et l’accès à la PUMa des demandeurs d’asile est également indispensable pour atteindre cet objectif, tout comme ramener à 12 mois la durée de prolongation de droits pour les fins de titre de séjour afin d’éviter toute rupture de prise en charge médicale sur la seule considération du statut administratif. Dans un horizon de moyen terme, et comme demandé par les associations depuis très longtemps, l’accès aux soins de tous se verrait facilité par l’instauration d’une carte vitale permettant la télétransmission pour les bénéficiaires de l’AME. Il est par ailleurs indispensable d’engager une réelle lutte contre les refus de soins émis à l’encontre des personnes en situation de précarité et/ou étrangères. L’accès aux droits et aux soins de tous doit impérativement passer par le déploiement de l’”aller-vers” les personnes les plus éloignées des soins avec le développement des actions mobiles notamment par le biais des PASS mobiles et des EMPP. Doivent s’ajouter à cela, le développement de la médiation en santé, le travail pair et le développement de l’interprétariat en médecine de ville. Dans cette optique, les associations attendent fermement la création de 100 centres de santé pluridisciplinaires dans les quartiers, indiqué dans les mesures de la Stratégie Pauvreté. La crise du coronavirus aura pu avoir des impacts sur la santé psychique de certaines personnes, en amplifiant ou développant des pathologies, qu’il est essentiel de traiter par le développement d’une offre soins de droit commun en santé mentale (CMP et CMPP). Cependant, il faut également tirer du positif de cette crise : les places ouvertes dans les centres d’hébergement spécialisés Covid-19 doivent être transformées, une fois la crise passée en places de LHSS, LAM et ACT.

4. Repenser l’assurance chômage et favoriser l’insertion dans l’emploi

Face à la crise économique qui ne fait que débuter, deux objectifs doivent être poursuivis. Il s’agit de limiter autant que possible les effets du chômage sur les personnes qui ont perdu et vont perdre leur emploi du fait de la crise. Pour cela, il est capital d’annuler la réforme de l’assurance chômage. Cette réforme avait été jugée par beaucoup comme très négative pour les personnes les plus précaires, qui voyaient leur accès à l’indemnisation comme le montant de cette dernière significativement réduits. Cette réalité projetée et déjà vécue va concerner demain un nombre beaucoup plus important de personnes, victimes de la crise économique. Nous demandons, en conséquence, que la réforme soit annulée et qu’une concertation entre partenaires sociaux, associant des représentants de personnes en situation de pauvreté et des associations se tienne, pour définir un nouveau régime d’assurance chômage, qui devra protéger les personnes privées d’emploi de la pauvreté et prévoir des actions ambitieuses d’accompagnement et de formation.

En parallèle, il est capital de prendre des mesures massives d’aide à la création et à la solvabilisation d’emplois à destination des personnes au chômage de longue durée ou en risque de chômage de longue durée de par leur niveau de qualification, leur âge ou leur expérience professionnelle. Pour cela, il est essentiel de soutenir fortement l’insertion par l’activité économique pour préserver et renforcer l’ambition initiale du gouvernement de développement du secteur ; renforcer dans ce cadre les programmes s’adressant aux plus en difficultés, tels Convergence et TAPAJ, et les actions d’accompagnement des entreprises telles Sève Emploi. Mais il apparaît également primordial d’adopter une seconde loi d’expérimentation de Territoires Zéro Chômeurs de Longue durée, conformément aux propositions formulées par l’association Territoires Zéro Chômeurs de Longue Durée. Pour finir, il serait judicieux d’a minima tripler les parcours emploi compétences (au moins 300 000 par an), en renforçant le montant d’aide attribué par l’Etat aux employeurs non marchands. La transition écologique est une opportunité de création d’emplois dans de nombreuxn secteurs (rénovation thermique des bâtiments, agriculture…) et la sortie de crise doit permettre à l’Etat de s’engager massivement dans cette transition, ce qui aura un impact positif sur les emplois.

5. Régulariser les étrangers en situation irrégulière

Entre 200 et 400 000 personnes étrangères vivent en France en situation irrégulière. La présence d’un nombre significatif mais relativement modéré de personnes « sans-papiers » est une constante à laquelle, par réalisme, les gouvernements français de tous bords ont, depuis 40 ans, apporté des réponses grâce à des dispositifs exceptionnels de régularisation. Ce fut le cas en 1981 (régularisation des travailleurs sans papiers), 1991 (régularisation des déboutés), 1997 (circulaire Chevènement), 2006 (circulaire Sarkozy pour les parents d’enfants scolarisés), 2009 (régularisation des travailleurs sans-papiers), 2012 (circulaire Valls). Le contexte de crise sanitaire, économique et sociale majeure que nous traversons exige un effort inédit de solidarité nationale. Or, il ne sera pas possible, dans les temps à venir, d’appeler à cette solidarité nationale si une partie de la population résidant sur le territoire en est exclue. « Nous nous sauverons tous ensemble ou pas du tout ». Une très large mesure de régularisation des personnes étrangères sans-papiers ou « aux droits incomplets » est indispensable aujourd’hui. Elle répond à une triple exigence :

Un acte de justice et de reconnaissance : une partie conséquente de ces personnes ont un travail, déclaré ou non, sous leur identité ou sous une identité d’emprunt. Elles contribuent largement à
l’activité et à l’enrichissement national, en fournissant une main-d’œuvre acceptant des conditions de travail pénibles et des faibles rémunérations à plusieurs secteurs de l’économie : agriculture, BTP, services à la personne, sécurité, nettoyage, hôtellerie, restauration, tourisme, etc. Ces personnes doivent pouvoir bénéficier d’une reconnaissance juridique, d’une « juste rémunération correspondant à l’utilité commune » et d’une protection sociale, alors qu’elles sont souvent les « soutiers » de pans entiers de notre économie. Notre pays a besoin d’elles ! Une mesure indispensable sur le plan sanitaire : La période de déconfinement qui s’ouvre impose, si l’on veut éviter une nouvelle propagation du Covid-19, que chacun puisse bénéficier d’un accès sans condition à tous les services de santé, circuler et solliciter les produits de protection sans crainte d’une interpellation, bénéficier des mêmes outils et protocoles sanitaires dans leur vie quotidienne ou leurs lieux de travail, et disposer de la même protection sociale.

Un instrument pour contenir le développement de la grande pauvreté et favoriser l’intégration des personnes : des milliers de personnes, privées de toute ressource, risquent de sombrer dans le dénuement complet : des « déboutés » du droit d’asile vivant dans des hébergements d’urgence ou dans des squats ou campements, des travailleurs sans-papiers, naguère actifs mais dans des secteurs économiques actuellement très ralentis, des jeunes majeurs dont l’ASE interrompt la prise en charge, etc. Toutes ces personnes doivent non seulement pouvoir être visées par les mesures sociales destinées à l’ensemble de la population fragilisée par la crise, mais aussi sortir de l’impasse dans laquelle les enferme leur non reconnaissance juridique, pour accéder à un logement et à l’autonomie. Nous proposons en conséquence qu’une mesure globale exceptionnelle permettant l’accès stable au séjour et travail des personnes « sans-papiers » soit décidée et mise en œuvre rapidement, selon des modalités simples et des critères larges : Cette mesure doit pouvoir couvrir a minima quatre grandes situations : Celle des personnes déboutées du droit d’asile : La mesure pourrait viser toutes les personnes déboutées du droit d’asile présentes sur le territoire depuis un temps à déterminer, et sans condition de durée de présence pour tous les ménages avec enfants ou les personnes faisant état d’une vulnérabilité.

Celles des travailleurs sans papiers: Comme l’ont évoqué les signataires d’une tribune dans Le Mondedu 22 avril, l’admission au séjour et au travail doit pouvoir être accordée, sans recours à d’autres critères, aux personnes faisant état d’une relation au travail.

Celles des jeunes majeurs : De nombreux jeunes « mineurs non accompagnés » ou jeunes majeurs étrangers vivent sur le territoire en dehors de tout dispositif de protection. Certains ont été pris en charge par l’ASE mais restent sans titre, d’autres n’ont pas obtenu cette protection ou sont arrivés jeunes majeurs. On ne peut laisser cette jeunesse sans perspective alors qu’elle est de fait déjà insérée ou en cours de formation professionnelle.

Celles des personnes hébergées et non expulsables, qui restent bloquées dans des hébergements, souvent hôteliers et de faible qualité, faute de pouvoir accéder à un logement alors qu’elles sont sur le territoire depuis plusieurs années. Une fois décidée la mesure dans son principe, nous suggérons que les critères et les modalités pratiques soient conçues et mises en œuvre dans le cadre d’une concertation rassemblant les services de l’Etat (différents ministères concernés autour du Premier Ministre), les partenaires sociaux (organisations syndicales et patronales) et les associations du champ social, humanitaire et de l’accès aux droits.

6. Lutter contre l’isolement des plus vulnérables

, notamment des personnes âgées et des personnes en situation de handicap 300 000 personnes âgées sont en état de mort sociale, 900 000 en situation d’isolement relationnel. Tel est le bilan préoccupant dressé en 2017 par l’enquête CSA/Petits Frères des pauvres. Une étude réalisée par la Fondation de France en 2018 a également permis d’observer que les personnes souffrant d’une maladie chronique et/ou d’un handicap vivent dans des situations d’isolement importantes. 33% d’entre elles n’entretiennent des interactions qu’avec un seul des cinq réseaux de sociabilité (famille, amis, voisins, collègues, membres d’associations), ce qui les rend  « socialement très vulnérables ». En outre, 32% des personnes concernées
disent se sentir seules, et huit sur dix en souffrent. La crise sanitaire renforce ce constat de solitude, avec des situations d’isolement accrues en zone semi urbaines et rurales. Nous demandons à ce que la lutte contre l’isolement soit priorisée dans les politiques publiques et qu’un soutien plus affirmé soit apporté au développement des équipes de bénévoles déployées dans les territoires et organisées en réseau. Le rapport de Jérôme Guedj « Lutter contre l’isolement des personnes âgées et fragiles en période de confinement » comporte des propositions opérationnelles intéressantes concernant les personnes âgées et la quasi-totalité des recommandations peuvent être étendues aux personnes en situation de handicap ; le dispositif Monalisa, qui mobilise des équipes citoyennes pour lutter contre l’isolement des plus âgés, doit également constituer une piste d’action inspirante à soutenir. Par ailleurs, en période de confinement, l’isolement social est aggravé pour les personnes en précarité dont le forfait téléphonique est épuisé : nos associations remontent un nombre massif de familles coupées de leurs proches et des services d’administration par internet et téléphone. Il est indispensable d’engager au plus vite les opérateurs téléphoniques à mettre en œuvre des solutions de maintien systématique du lien par téléphone et internet pour tous : en instaurant par exemple en place des cartes prépayées illimitées jusqu’à l’issue du confinement pour les personnes qui ont des forfaits limités, en débloquant les forfaits bloqués et en mettant à disposition de chacun un volume internet d’au moins 10Go afin de permettre à tous le travail scolaire à distance des enfants, le suivi administratif, le télétravail, l’accès à l’information et à la culture ou le lien avec ses proches.

7. Soutenir structurellement les associations

Le secteur associatif dans le social et le médico-social, a, dès le début de cette crise sanitaire, été en première ligne pour apporter des réponses d’urgence et des solutions nouvelles. Il a montré qu’il apportait une contribution indispensable à l’équilibre de notre société et au maintien du lien social avec les personnes les plus fragiles. Toutefois, les associations et têtes de réseaux sont dès à présent confrontées à la tension entre cette hausse des besoins sociaux, et une baisse de leurs moyens structurels : augmentation des personnes en difficulté financière, psychologique ou d’isolement ; diminution et réorganisation RH de personnel salariés et bénévoles (du fait d’arrêt ou report de certaines activités , de problématique de garde d’enfant…) ; perte de ressources (subventions, prix de journée, forfaits, prestations, formations, partenariats privés, baisse des dons, chiffre d’affaires….) ; difficultés de trésorerie et d’assistance juridique ; nécessaire adaptation aux nouvelles contraintes qui suivront le déconfinement.

Face à ces nombreux problèmes mais également aux conséquences financières qui en découlent, certaines mesures ont déjà été proposées (délais de paiements des échéances sociales et fiscales, aide au prêt bancaire garanti par l’Etat, maintien des subventions, hausse du plafond « Coluche » à 1000 euros…) mais peu au regard des spécificités et des nécessités du secteur associatif pour répondre à long terme à la crise économique qu’il devra aussi traverser. La fin de la période actuelle devra s’accompagner de mesures fortes et soutenantes envers le secteur associatif, acteur de poids de l’Economie Sociale et Solidaire, comme c’est le cas pour le monde économique ou le secteur des HLM. Nous proposons donc la création d’un fonds de solidarité avec l’Etat, la Caisse des Dépôts ainsi que d’autres partenaires susceptibles de les aider pour tenir ou développer de nouvelles approches nécessaires, si l’on souhaite un secteur associatif en capacité d’amortir cette crise dans la durée (subventions exceptionnelles, apports de fonds associatif, prêts dédiés….)

Qui plus est, les besoins sociaux émergents liés aux conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire vont imposer aux acteurs sociaux d’investir pour le déploiement de nouvelles solutions d’insertion et de logement, alors que la période de confinement a entraîné un affaiblissement des trésoreries réservées aux projets d’investissements projetés par les associations. Aussi, pour limiter les effets probables de désinvestissement et favoriser l’émergence de nouvelles réponses face à l’augmentation des besoins sociaux, nous proposons de créer un grand plan d’investissement pour la transition environnementale et accessible du secteur « hébergement / logement » et « Insertion par l’activité économique ».

Comparable aux plans d’investissement d’avenir (PIA), cette démarche permettrait d’accompagner le redressement du secteur associatif dans une dynamique d’investissement à moyen et long terme. Les choix d’investissement seraient conditionnés aux impacts environnementaux, sociaux et en matière d’accessibilité des projets réalisés. Ils pourront concerner les investissements nécessaires au développement de nouvelles activités économiques dans le secteur de l’I.A.E., mais également permettent la réalisation de projets de réhabilitation et de construction de bâtiments d’activité et d’habitation. Ce plan pourrait être accompagné d’une politique de grands travaux afin de soutenir les mises en accessibilité des ERP (Etablissement Recevant du Public) privés et publics. Il sera également primordial de revaloriser l’ensemble des métiers du secteur social et médico-social qui ont été, sont et doivent rester un acteur indispensable de cette lutte contre le coronavirus, de la gestion de cette crise sanitaire, et des conséquences sociales, économiques, environnementales.

L’usure particulière liée au confinement touche de plein fouet ces professionnels. Le risque de « craquer » en sortie de crise est majeur, avec toutes les conséquences à anticiper pour les publics accueillis et hébergés. Comme l’a souligné le président de la République, la crise a mis en évidence l’écart béant entre l’échelle actuelle des rémunérations de ces métiers (essentiellement occupés par des femmes et/ou des personnes d’origine étrangère ou d’outre-mer) et une échelle qui serait fondée sur leur «utilité communes». Il est donc urgent de relever les minima salariaux sectoriels, à l’aune de cette « utilité commune », et de lancer une réflexion sur les carrières, les conditions de travail et l’organisation des équipes.

Plus largement, il nous faut capitaliser sur les enseignements de cette crise sanitaire qui nous a rappelé l’importance cardinale de notre modèle de protection sociale mais également montré ses failles auprès des plus précaires, qu’il est essentiel de corriger afin de concevoir ensemble une société réellement solidaire, avec des politiques publiques ambitieuses qui permettent l’accès de tous aux droits de tous dans les capacités d’une seule planète.