De Populorum progressio à Laudato si’
Nécessaire pensée critique de notre modèle de développement économique. Avec Populorum Progressio (26 mars 1967, jour de Pâques) Paul VI est dans la dynamique du Concile Vatican II qui a consacré la « conversation » entre l’Eglise et le monde qui croit à un développement pensé sur le mode d’un accès généralisé à l’avoir et au savoir et d’un « progrès illimité ».
Cinquante ans plus tard, c’est à une remise en question radicale de notre développement mondial à laquelle nous appelle l’encyclique du Pape François, Laudato’si si’, du 24 mai 2015.
Clameur de la terre, clameur des pauvres
Populorum progressio marque clairement le contexte et la pensée de la fin des années soixante : « Aujourd’hui, le fait majeur dont chacun doit prendre conscience est que la question sociale est devenue mondiale » (§3). L’expression résonne d’une manière singulière, au point que nous pouvons nous demander comment nous avons pu construire un monde aussi inégalitaire. Lorsque le Pape François, souligne «Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu’une vraie approche écologique se transforme toujours en approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres. » (Laudato si’ §49), nous percevons « un fil rouge » de la pensée sociale: le rapport à la création et le rapport de solidarité humaine constituent l’aune avec laquelle nous sommes appelés à mesurer le sens et les dérives de notre développement.
Le monde économique et politique de la fin de la décennie 1960 est habité par un mouvement de pensée paradoxal : tandis que le mode de vie des pays dits « développés », placé sous le signe de la production et de la consommation « sans limite » (et justifié par le « plein emploi »), rend possible l’accès aux droits sociaux pour tous, les jeunesses occidentales commencent à interroger leurs ainés sur le sens de cette abondance. Quant aux « pays en voie de développement », ils revendiquent, à juste titre, le droit à accéder à l’avoir et au savoir, le droit à avoir des droits.
L’économique et l’humain
La définition d’un développement humain qui, pour être « authentique » – c’est-à-dire cohérent et juste – doit être « intégral » (PP § 14), donne au questionnement sur le sens du progrès, une ouverture et une dimension nouvelle qui fonde les attendus des débats actuels. Et même si certains commentaires qualifieront d’idéal ou d’utopie l’expression par laquelle Paul VI, à l’école du R.P. Lebret O.P. (« Economie et Humanisme »), définit le développement intégral, il s’agit bien, pour lui, de « promouvoir tout homme et tout l’homme » (§ 14). « Nous n’acceptons pas, dit Lebret, de séparer l’économique de l’humain, le développement des civilisations où il s’inscrit. Ce qui compte pour nous, c’est l’homme, chaque homme, chaque groupement d’hommes, jusqu’à l’humanité tout entière » (c§14) On trouvera, dans Laudato si’ une triade qui appelle à la conscience de chaque habitant de la planète et qui propose de (re)penser ensemble le rapport que nous entretenons avec la création, avec l’autre et avec nous-même (LS § 66). C’est ce rapport qui définit la justice et la condition première d’une vie humaine partagée.
Talents et complémentarité
Les conditions de ce développement «authentique », nous les connaissons désormais : Populorum progressio les annonce déjà de manière claire : « Dire développement, c’est (en effet) se soucier autant de progrès social que de croissance économique. Il ne suffit pas d’accroître la richesse commune pour qu’elle se répartisse équitablement. Il ne suffit pas de promouvoir la technique pour que la terre soit plus humaine à habiter… la technocratie de demain peut engendrer des maux non moins redoutables que le libéralisme d’hier » (§ 34) Ainsi l’éducation est-elle avancée comme « le premier objectif d’un plan de développement ». Un séminaire du Conseil pontifical Justice et Paix et de l’Académie Pontificale pour les Sciences, à Rome en septembre 2016, soulignait le rôle primordial de l’éducation et la nécessaire pression de la société civile contre la production sans limite et l’appropriation confisquée dans les mains de quelques-uns.
La contribution d’une réflexion, inspirée par l’Evangile et la pensée sociale chrétienne, à propos du « bien commun » et de « la destination universelle des biens » inscrit l’encyclique Populorum progressio (§ 22, 23) dans l’actualité des recherches qui sollicitent toutes les compétences requises. Car il y a urgence à définir à nouveau ce « commun » qui est la condition de la vie humaine et de la vie sociale et qui n’est réductible ni à l’avoir ni au pouvoir. Il faut penser un « bien commun » à partir du talent déposé en chaque homme et à partir de la complémentarité des expériences et des cultures. C’est là que réside la condition de la paix et la pensée d’un nouveau développement auquel nous ouvrent les deux encycliques.