Des liens et des lieux pour faire société

Quand les Semaines sociales de France furent créées, il y a plus de 100 ans, pour diffuser et faire vivre l’enseignement social de l’Eglise catholique délivré au travers des premières encycliques sociales, l’enjeu, la « cause », était la condition ouvrière malmenée par une industrialisation en plein essor.

Tout au long de ses années d’existence, l’association des SSF  a travaillé les thèmes liés au travail, à l’économie, à la protection sociale, afin de signifier, comme les papes l’ont dit et redit, que l’économie devait être au service des hommes et non le contraire. Puis, les sujets étudiés et les propositions faites au monde politique ou à celui de l’entreprise se sont élargis : il y eut, par exemple, le projet européen, les relations hommes-femmes, les migrants, le rôle des religions dans la société, l’éducation, les nouvelles technologies etc.,  enrichissant ainsi le contenu du mot social porté fièrement dans le nom des SSF.

En 2019, quelle est donc la question sociale majeure à laquelle sont confrontés nos contemporains ? Est-elle nouvelle ? Pas vraiment, puisque les inégalités et les injustices perdurent, s’accroissent même, que la compétition économique laisse toujours des salariés sur le bord du chemin, que la financiarisation triomphe et que de grands groupes font leur loi sur tous les continents.  Ce qui a changé, c’est la mondialisation, la révolution numérique  et le défi écologique auquel est confrontée la planète.  Mais c’est aussi  l’effritement des réseaux relationnels traditionnels qui structuraient notre société et amortissaient les difficultés de la vie. Jérôme Fourquet, dans son ouvrage l’Archipel français (1), insiste particulièrement sur la disparition de la matrice catholique à partir de laquelle la société se construisait, éventuellement d’ailleurs en franche opposition. Mais bien d’autres institutions ont perdu de leur capacité à rassembler : les partis politiques, les syndicats. La famille, elle-même, se sent fragilisée. Et les liens nouveaux, noués sur les réseaux sociaux, interrogent sur leur capacité à relier autrement que virtuellement et durablement.

Quand les liens se distendent

Quel projet commun, quelle raison de se reconnaître comme membres d’un même peuple, si la tentation est de se regrouper entre pairs, de rester dans l’entre soi, quand les liens se distendent et que manquent les lieux où se rencontrer ? Comment, dans ce contexte, proposer et mener à bien un projet politique ? Le conseil permanent de l’épiscopat pour introduire leur document  d’octobre 2016 (2) en faisait ainsi le constat sévère. Notre pays vit une profonde mutation qui n’est pas encore terminée, constatait-il : « Les évolutions et les transformations ont créé de l’incertitude dans la société. Les références et les modalités de la vie ensemble ont bougé. Ce qui semblait enraciné et stable est devenu relatif et mouvant(…) Le vivre ensemble est fragilisé, fracturé, attaqué. »

Et l’actualité nous en fait la démonstration absurde : à chaque fois qu’un événement, tragique ou moins tragique, entraîne une sorte d’élan national spontané, instantanément vient la polémique,  comme si les Français – et les médias – s’en voulaient d’avoir un instant été d’accord sur quelque chose. L’incendie de Notre Dame en donna l’exemple : l’émotion largement partagée dura quelques jours,  immédiatement contrebalancée par des critiques sur les modalités de sa reconstruction, sur l’argent récolté etc.

Le mouvement des Gilets jaunes fut révélateur de l’éparpillement français. Non seulement le pays se compose de multiples îlots, mais ceux-ci ne communiquent pas entre eux, se méconnaissent  et parfois se haïssent : l’élite et le peuple, Paris et les territoires, les métropoles et les banlieues, le rural et l’urbain, les « mondialistes » et les ancrés dans leur région, sans parler des affinités (ou des rejets) ethniques …  Et puis, il y a ceux qui ne sont nulle part, les oubliés, les exclus , les absents, les migrants (des ronds-points des Gilets jaunes comme du Grand débat, et des scrutins électoraux.)

Faire société

Comment dès lors « faire société », sans nier les différences, les besoins d’autonomie des personnes,  les divergences, les désaccords, les particularités ? Comment créer des liens et des lieux nouveaux pour favoriser la rencontre, le débat constructif et la recherche d’un projet commun, voire du Bien commun ? Comment repérer ce qui, aujourd’hui, témoigne d’une volonté de mieux vivre ensemble ?

Poser des diagnostics sur les fractures de la société mais aussi écouter celles et ceux qui tentent de la réparer : c’est à cet exercice que les Semaines sociales invitent pendant deux années, dans leurs Antennes régionales, sur leur site internet et pendant leur première rencontre nationale sur ce thème, les 16 et 17 novembre prochains à Lille (3). L’année 2020, année des élections municipales, s’attachera plutôt à proposer des pistes d’action politiques, sociales, associatives,  construites à partir du travail collaboratif mené avec les participants aux différents événements et les nombreux partenaires engagés sur le même terrain.  « Nous voulons être des êtres de relation », ont écrit les Semaines sociales dans leur nouveau projet associatif.  Au service des êtres de relation.

  • « L’Archipel français, naissance d’une nation multiple et divisée ». Editions du Seuil.
  • « Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique »
  • « Refaire société. Comment créer des liens dans une France fracturée ». Deux jours de débats, de conférences, de témoignages inspirants, de travail collaboratif, de spiritualité, dans les locaux de l’Université catholique de Lille.  Voir le programme sur le site ssf-fr.org