Pétrole, dette, solidarité

Les dettes de la France et d’autres pays se sont invitées dans la récente campagne électorale. Les tensions qui touchent des pays européens s’exacerbent et leurs financements extérieurs sont menacés.

Notre dette souveraine remonte au premier choc pétrolier, l’Etat ayant été dans l’incapacité depuis lors d’avoir un seul budget en excédent. D’un surplus de l’ordre de 1% du PIB dans les années 60, nous avons basculé dans l’accoutumance au déficit.En 2012, la dette française s’élève à 86% du PIB, alors qu’elle n’est qu’un impôt différé.

La crise économique des années 70 résulte des deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979-81 qui frappent les économies occidentales, ébranlent les finances publiques et pérennisent un chômage de masse. Et « installent» la dette souveraine. Le recul permet de reconsidérer l’impact de ces chocs macroéconomiques : une croissance mondiale du PIB par habitant de plus de 3,5% dans les années 60, de 2% dans les années 70, puis de 1,5% entre 1980 et 2010. La décélération est encore plus forte pour les pays riches. Nous avons préféré l’ignorer, et même opérer le transfert de la dette sur nos enfants et petits-enfants

Dès 1973 en France, la réaction est pourtant à la mesure de la menace pétrolière, avec un plan d’équipement électronucléaire massif et une mobilisation du pays pour concentrer l’utilisation du pétrole là où il n’est pas substituable, le transport, où il couvre 95% des besoins. Pour autant, notre dette chronique n’a pas financé que des infrastructures d’avenir. Elle fut aussi voulue comme amortisseur social face à la violence du choc. Pensée comme transitoire,elle devait être soldée par l’impôt avec le retour de la croissance.

Cette dette pérennisée va nécessiter une finance modernisée. Après le second choc pétrolier, politiques et économistes valident ce recours quasi permanent à l’épargne extérieure pour financer les déséquilibres budgétaires. Il faut séduire ceux qui acceptent de faire crédit à l’Etat et optimiser la gestion de cette dette, grâce à des marchés financiers attractifs, modernisés, dynamiques : le fameux leitmotiv des années 80,« déréglementer, décloisonner ; désintermédier » !

Voilà,dans les années 80,la finance moderne installée, ses outils justifiés, ses prises de risques encouragées, à qui l’on va demander année après année de financer ces accumulations de dettes, grâce à un levier financier de plus en plus irresponsable. Et cet aveuglement, cette « préférence pour le présent »ne s’appliquera pas qu’aux dettes des Etats, mais aussi aux particuliers avec les « subprimes »(prêts risqués) américains, ou aux entreprises avec les LBO (rachat d’entreprise par effet de levier, c’est-à-dire par recours à un fort endettement bancaire),à l’immobilier avec les bulles spéculatives, en Espagne et en Irlande.

Cette économie de dette généralisée reposait donc sur un pari : la croissance espérée qui aurait justifié ce gigantesque transfert sur les générations futures, supposées devenir plus riches. Le contre-choc pétrolier et les prix bas du pétrole entre 1985 et 2002 ont pu nous bercer d’illusions : nous avons « oublié » les limites géologiques de cette ressource.

Et voici soudain que le pétrole supposé abondant ne l’est plus. Que la Chine et les autres pays émergents,pour aider leurs pauvres,demandent légitimement année après année leur part des ressources en énergies fossiles. Qu’il faut investir 235 milliards de dollars sur 5 ans pour aller chercher de l’or noir au large du Brésil –c’est-à-dire plus que les 185 Milliards dépensés par les Etats Unis pour envoyer un homme sur la lune !-,qu’il faut destiner plus de 40% des surfaces de maïs américain à la production de biocarburants pour faire rouler les voitures.

Avec un accès au pétrole et à l’énergie qui se complique, avec une panne de croissance et une crise de confiance qui s’étend à toute la finance, il n’est plus possible de reporter une partie des problèmes sur les générations futures. Le temps semble venu d’un effort d’adaptation accompagné d’une vraie solidarité.Chez nous et à l’égard du monde.