Vaccin : un bien commun mondial ?
La diffusion des vaccins « anti-Covid-19 » pose une question fondamentale : comment construire le schéma d’une coopération mondiale au service du Bien commun ?
« Le Bien commun, c’est-à-dire cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée…, recouvre des droits et des devoirs qui concernent tout le genre humain. Tout groupe doit tenir compte des besoins et des légitimes aspirations des autres groupes et plus encore du Bien commun de l’ensemble de la famille humaine. »[1]
Rien à voir ici avec un modèle de société uniforme et imposé à tous. Plutôt la proposition d’un dialogue interculturel mondial qui cherche à dégager des repères universels au service de la « vie bonne » pour tous.
Destination universelle des biens
La pensée sociale de l’Église, inspirée par la foi chrétienne, élaborée lentement à travers les siècles, propose plusieurs principes d’organisation sociale. L’un deux, la destination universelle des biens, rejoint notre sujet. Le rendez-vous de la pandémie et plus spécialement aujourd’hui la mise au point et l’utilisation d’un vaccin, constituent une opportunité qui, si elle semble avoir été dédaignée par les « puissants », peut inspirer de futures réformes qui, à leur tour, changeront le monde.
[1] Concile Vatican II, L’Église dans le monde de ce temps, § 26.
Des communs publics mondiaux
Du Bien commun il est possible de dégager des « communs mondiaux », des réalités dont l’usage est indispensable à tous les êtres humains et dont la pérennité dépend aussi de tous. Il s’agit de satisfaire des droits fondamentaux et de les rendre accessibles à tous, grâce à l’action du tous. Avec Stiglitz, prix Nobel d’économie 2001, on peut citer : l’accès à l’eau potable et à l’air pur (cf. la récente décision britannique condamnant la ville de Londres suite au décès d’une jeune fille), la santé, la terre cultivable, un climat protégeant la vie, la biodiversité… Par exemple à propos de celle-ci, comment sauvegarder la faune halieutique des océans, qui est à la fois nécessaire à tous, menacée par tous et devrait être défendue par tous ?
De cette notion de « communs », on peut déduire l’idée de « biens communs mondiaux » c’est-à-dire d’un bien précis qui participe de ces « besoins communs » et en facilitera la satisfaction. Ces « biens publics mondiaux » sont « non rivaux », et leur utilisation par une personne n’entraine pas l’impossibilité pour d’autres d’y avoir accès. Ils sont destinés à tous. Souvent non ou peu rentables. Et « accessibles » à tout consommateur.
Et le vaccin dans tout cela ?
Le vaccin aurait pu être considéré comme l’un de ces biens communs mondiaux. Il intéresse la population mondiale. Il ne sera pleinement efficace que si tout le monde en bénéficie. Il dépend des efforts de tous. Le pape François, le secrétaire général des Nations Unies, les présidents français ou chinois, ont évoqué cette qualification.
« Je ne peux pas faire de moi la priorité avant les autres en mettant les lois du marché et des brevets d’invention au-dessus des lois de l’amour et de la santé de l’humanité. Je demande à tous, aux responsables des États, aux entreprises, aux organisations internationales, de promouvoir la coopération et non la concurrence et de chercher une solution pour tous : des vaccins pour tous, spécialement pour les plus vulnérables et les plus nécessiteux de toutes les régions de la planète. »[1]
Mais, pour reconnaitre et développer un bien commun mondial, il ne suffit pas d’un discours ; il conviendrait de bousculer bien des pratiques : le modèle économique dominé par la recherche du profit maximal, la rivalité violente entre les souverainetés étatiques, le désir d’imposer un modèle de vérité à tous, le peu d’engagement pour des pratiques multilatérales. Pour parvenir à cette « révolution », un but commun, une réglementation et des institutions s’imposent.
Le socle des droits humains
La peur, au moins, pourrait rallier tous les courants de pensée et les inviter à se concerter. Plus positivement, la dynamique des droits de l’Homme est l’une des rares références communes à partir desquelles construire une démarche commune. La Déclaration universelle de 1948, à laquelle tous les états membres des Nations Unies souscrivent, au moins théoriquement, affirme vouloir éviter le retour de la barbarie et libérer l’homme de la terreur et de la misère. Le même texte proclame la « foi » des peuples « en la dignité et la valeur de la personne humaine ». De là découlent plusieurs droits (et devoirs) dont le droit « de toute personne à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé ». Le Pacte de 1966 sur les droits économiques sociaux et culturels, qui a une dimension contraignante, proclame le droit reconnu « à toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre ». Bien d’autres textes confirment cet engagement[2].
L’Organisation Mondiale de la Santé (au-delà des polémiques) a voulu coordonner les efforts des acteurs publics et privés autour de l’accessibilité de tous au vaccin, à travers divers organismes (COVAX) et de multiples déclarations souscrites par la majorité des États (hors la Russie et les USA). Sur la base de la promotion du droit à la santé, ont été créés un lieu et des réseaux pour réunir des fonds, assurer la coopération dans la recherche et la diffusion du vaccin, et permettre une distribution égalitaire du ou des vaccins à travers le monde. Tentative intéressante mais qui reste bien loin du but.
Bien public mondial, mort-né ?
« Évoquer un bien public mondial global, un vaccin des peuples, comme le fait le secrétaire général des Nation Unies » relève de la fiction[3].
Le vaccin, « bien public mondial », semble mort-né. D’autres forces et d’autres intérêts l’ont emporté sur ce qui aurait pu constituer l’un des gestes solidaires mondialisés les plus significatifs des dernières décennies. Aucun accord n’a été envisagé pour réfléchir en amont à une approche moins privée et commerciale des brevets et des droits de la propriété intellectuelle relatifs aux vaccins.
Pas question de mettre en cause la féconde concurrence scientifique entre les chercheurs, ni d’imposer aux laboratoires de « travailler gratis », mais il eût été intéressant d’interroger exceptionnellement, dans le cas des vaccins, le principe intouchable des brevets et de leur monopole. Sans aller jusqu’à suivre l’exemple de Jonas Salk qui dans les années 1950 avait refusé de breveter son vaccin contre la poliomyélite afin d’en faciliter la diffusion pour tous, une coopération scientifique ouverte aurait été bienfaisante. De même à propos des coûts.
« Malgré le caractère non obligatoire de la vaccination que lui a donné le gouvernement, pour nous chrétiens, cette liberté doit être pensée en lien avec notre responsabilité collective au titre du bien commun, de la solidarité et de la fraternité mise en lumière une nouvelle fois par le pape François dans son encyclique Fratelli tutti. Enfin pour l’Église et pour les chrétiens, la vie vaut défense dans tous ses aspects et tous ses états. Bien des chrétiens sont présents aux aléas de la vie en ses débuts, aux incertitudes de la vie des familles, du travail, à la fragilité de la fin de vie. La vaccination devient ainsi une chance dans ce combat pour la vie. »[4]
Le vaccin, la bataille d’influence
Pour de nombreux observateurs, le vaccin censé être un bien commun mondial pour des raisons humanitaires évidentes, se révèle être un redoutable outil de guerre économique, diplomatique et d’influence, sans oublier la quête de capitaux. Chaque pays s’est précipité pour être le premier, soit à les produire, soit à les distribuer. Au nom de la légitime souveraineté, les autorités ont utilisé le vaccin comme un moyen pour racheter auprès de la population locale leurs erreurs lors des débuts de la pandémie, ou pour étendre leur influence diplomatique et économique. La stratégie chinoise est particulièrement explicite à ce sujet. Les autorités de Pékin, après avoir affirmé en octobre 2020 qu’elles « ne transformeront pas les vaccins anti-Covid-19 en une sorte d’arme géopolitique ni en un outil diplomatique », ont, tout en rejoignant théoriquement les propositions communes de l’OMS, développé une stratégie largement bilatérale. Elles multiplient les accords locaux, s’en servent pour renforcer leurs « routes de la soie », et leur influence en général. Il parait naïf de s’en étonner. Au moins peut on le regretter en ces temps où le multilatéralisme est en mauvaise posture. Une fois de plus, les pauvres sont oubliés : « Vaccination : les pays pauvres attendront ! Malgré les promesses, les pays du Sud pourraient ne recevoir les vaccins que dans un délai de deux ans, voire plus.»[5]
Décidemment, la construction d’un monde plus solidaire dans lequel justice et paix pourraient s’embrasser n’est pas pour demain. Une raison de plus pour s’y atteler, aujourd’hui.
Guy Aurenche, Ancien président de l’ACAT et du CCFD-Terre solidaire, membre associé de Justice et Paix France,
[1] Pape François, 25/12/2020.
[2] Cf. les 17 Objectifs du Développement Durable proclamés en 2015 par les Nations Unies.
[3] Oxfam Le Monde, 11/12/2020.
[4] Diocèse de Lyon : Newsletter aux acteurs pastoraux « l’ardente obligation de la vaccination », 12/01/2021.
[5] La Croix, 30/12/2020.