La conférence sur le futur de l’Europe : une chance ?

 

Le 9 mai est lancée une Conférence sur le Futur de l’Europe. Cet exercice de démocratie participative à grande échelle est un projet conjoint de la Commission, du Conseil et du Parlement européen. Après de nombreuses tractations, ces trois institutions s’en sont partagé la gouvernance, ainsi que le comité exécutif.

L’idée est de relancer l’adhésion des citoyens européens à l’EU dont les ténors ont enfin pris conscience qu’elle est essentielle à sa survie. Si l’Europe est une idée que rien n’a pu arrêter en son temps, elle court aujourd’hui le risque d’avoir « fait son temps », faute d’adhésion. L’EU a toujours été mal connue de ses citoyens malgré l’élection du parlement européen au scrutin universel depuis 1979 et malgré ses nombreux programmes dans les domaines de l’éducation, du développement des territoires, de l’innovation et de la recherche. L’institution reste facilement critiquée par les leaders nationaux pour ses échecs qui, parfois, ne sont que les leurs, dans les champs financiers ou migratoires notamment. Ces 20 dernières années, de vraies divisions et fragmentations l’ont particulièrement fragilisée. Paradoxalement, alors qu’elle a réagi de façon unifiée dans les négociations sur le Brexit, et face à la crise sociale due à la pandémie, elle est vilipendée, comme cause des lenteurs de la vaccination.

Si l’idée d’une telle Conférence pré-date la crise sanitaire, cette dernière a encouragé le Comité exécutif à miser sur le digital. Le cœur du réacteur est donc une plateforme digitale dite inclusive pour encourager les citoyens à proposer leurs idées. La vice-présidente de la Commission européenne et co-présidente du comité exécutif, Dubravka Šuica, a insisté fin mars : ‘‘La Conférence permettra aux citoyens de tous les coins de l’UE, et de tous horizons, de partager leurs idées, leurs espoirs et leurs rêves concernant l’avenir de l’Union. C’est un moment unique et historique pour la participation citoyenne au sein de l’UE. »[1] Depuis le 19 avril, la plateforme ‘l’avenir est entre vos mains’ s’est ouverte, en 24 langues.[2]

Démocratie participative : un outil de changement social ?

Si les modalités de la participation se clarifient peu à peu, l’articulation avec la prise de décision reste très floue. Ici se trouvent deux enjeux majeurs pour faire de l’initiative un succès : participation et impact.

Les formes de démocratie plus directes se développent depuis plusieurs années à tous les étages de nos démocraties. Outre les classiques ‘votations’ suisses, se développent les expériences de consultations pour des projets (par exemple dans le Bad Wurtemberg après le conflit sur la nouvelle construction de la gare centrale de Stuttgart), les conventions thématiques comme en France en réponse au mouvement des gilets jaunes ou sur l’environnement. L’essor du numérique se joue aussi dans les entreprises, dans les administrations, les universités. En théorie, il ouvre des portes, des espaces de co-construction de la prise de décision. En même temps, les expériences se révèlent très délicates. Elles ont montré qu’il est difficile de mobiliser les citoyens, compliqué de trouver les bons processus et équilibres, en particulier d’arbitrer entre expertise et engagement, entre intérêt général et intérêts sectoriels, etc. De plus, dans un monde surmédiatisé, l’exercice risque toutes formes de manipulation politiques. Enfin, et c’est peut-être la question principale : qu’en est-il du suivi ? « Hackaton », « consultation », « concertation », s’accumulent sans que l’on ne perçoive de transformation de la démocratie. Les premiers commentaires francophones sur la plateforme digitale alternent d’ailleurs entre cynisme et scepticisme.

Un chemin étroit pour démontrer la résilience démocratique

L’impact d’une telle consultation est une question ouverte. Et pourtant il est à souhaiter que dans l’élan de participation qui a marqué les élections européennes de 2020, les citoyens réagissent, s’engagent. Au-delà de résultats éventuels, le chemin en lui-même compte : apprendre à se servir du numérique pour proposer, délibérer, écouter et, en cela, engager un chemin de transformation politique de long terme. Dans un monde où les régimes autoritaires et les partis populistes sont dominants, où certains leaders n’hésitent pas à réprimer les oppositions dans le sang et la terreur, réinventer la discussion en politique est essentiel. Il nous faut tisser des liens virtuels et réels, occuper ces lieux d’expression et d’échange respectueux en ligne et ‘en vrai’. L’Action Concertée de Justice et Paix Europe en 2021, centrée sur le dialogue, a pour objectif de relayer ce message. L’Europe est une idée à la fois forte et fragile. Il est temps que ses citoyens se demandent ce qu’ils peuvent faire pour elle.

[1] UE Déclaration, 24/03/2021 ; https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/STATEMENT_21_1401

[2] https://futureu.europa.eu/?locale=fr