Le nouveau traité d’Aix-la-Chapelle, une relance de la coopération franco-allemande ?

À un moment où le projet européen est contesté par le Brexit et les replis nationalistes, le lien franco-allemand représente, au cœur de l’Union européenne, un facteur de stabilité.

Depuis 1963, ce lien a été formalisé par des accords bilatéraux ambitieux dans leurs objectifs mais très dépendants pour leur application de la volonté politique des gouvernements. Le Traité sur la coopération franco-allemande signé au Palais de l’Élysée par le président Charles de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer le 22 janvier 1963 avait deux finalités : enraciner la réconciliation franco-allemande dans la société des deux pays, en particulier dans la jeunesse ; établir une pratique de rencontres régulières entre les chefs d’État et de gouvernement, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense, ainsi que les autorités compétentes en matière d’Éducation s’agissant de l’enseignement de la langue du partenaire et de la coopération scientifique.

De Gaulle et Adenauer souhaitaient qu’en s’appuyant mutuellement la France et l’Allemagne préservent mieux leurs intérêts au sein de l’Alliance atlantique. En Allemagne fédérale, ce projet s’est heurté à l’opposition des « atlantistes » qui purent faire voter par le Bundestag un préambule au traité réaffirmant l’attachement allemand au partenariat avec les États-Unis. Dès octobre 1963 Adenauer quittait le pouvoir.

Néanmoins le traité de l’Élysée, qui avait alors perdu une part de sa portée politique, contribuait de manière significative au rapprochement des sociétés civiles et favorisait une pratique de consultations régulières entre les gouvernements, y compris en matière de politique extérieure et de défense.

Pour donner plus de substance à ce dialogue, deux protocoles ont été conclus en février 1988. Ils prévoyaient la création de deux conseils, l’un de défense et de sécurité et l’autre économique et financier. Un Haut Conseil culturel était par ailleurs créé par échange de lettres.

 

La réunification allemande

Grâce à ces dispositifs, le « choc » de la réunification allemande a pu être absorbé sans dommage pour la construction européenne. Le traité de Maastricht est, en grande partie, une réponse à ce choc. Les deux grands progrès qu’il a permis : la constitution d’un embryon d’identité européenne de défense et surtout la création de l’euro ont été décidés sur la base d’initiatives communes du président François Mitterrand et du chancelier Helmut Kohl.

Dans un contexte mondial transformé (intensification des processus de mondialisation financière, crise de la relation atlantique avec l’élection du président Trump, apparition de nouvelles menaces sur le continent européen), la France et l’Allemagne ont aujourd’hui devenues, avec l’effacement et sans doute le départ du Royaume-Uni, les deux principales puissances de l’Union européenne. Elles participent toutes deux aux formes d’intégration européenne les plus poussées ou les plus ambitieuses : zone euro, espace Schengen, politique de sécurité et de défense commune.

Cette situation leur donne des responsabilités particulières reflétées dans le traité signé le 22 janvier 2019 par le président Emmanuel Macron et la chancelière Angela Merkel à Aix-la-Chapelle. Ce traité ne se substitue pas aux mécanismes existants mais les complète.  Il énonce les domaines prioritaires de coopération : affaires européennes, paix, sécurité et développement, culture, enseignement, recherche, coopération régionale et transfrontalière, développement durable, climat, environnement et affaires économiques… Dans un premier temps, quinze projets ont été définis dans ces domaines ; leur déroulement sera suivi par le Conseil des ministres franco-allemand.

 

Une défense franco-allemande

En matière de défense, la France et l’Allemagne s’engagent à approfondir « la coopération entre leurs forces armées en vue d’instaurer une culture commune et d’opérer des déploiements conjoints ». Ils prévoient de favoriser la coopération entre leurs industries de défense. Ils s’engagent à élaborer « une approche commune en matière d’exportation d’armements », point sensible dans la mesure où la politique allemande en ce domaine apparaît en général plus restrictive que celle de la France.

Pour resserrer les liens entre les sociétés civiles, le traité prévoit l’amélioration pratique des relations transfrontalières. Un comité de coopération transfrontalière franco-allemand rassemblant tous les acteurs locaux définira des projets prioritaires. Des outils juridiques seront prévus pour adapter les règles nationales, sur demande des acteurs locaux, aux réalités des régions frontalières. Les deux États amélioreront les liaisons ferroviaires et routières transfrontalières. Ils déclarent leur attachement à l’objectif du bilinguisme dans les territoires frontaliers (Alsace-Moselle et Sarre en particulier) et s’engagent à soutenir les collectivités frontalières en ce domaine.

Parallèlement, l’Assemblée nationale et le Bundestag ont constitué un Parlement franco-allemand paritaire pour contrôler l’exécution des engagements pris.

Ainsi renforcée, la coopération franco-allemande sera de nature à raviver la confiance de la société civile dans la pertinence du projet européen. À condition de se mettre au service de la construction européenne dans son ensemble, elle pourra inspirer des regroupements plus larges et susciter une dynamique de coopération plus forte à l’échelle de l’Union tout entière.