Le travail de la Commission J&P de Jérusalem
D’emblée, il faut préciser que les difficultés des chrétiens palestiniens sont essentiellement d’ordre politique. Contrairement à des pays comme l’Irak ou la Syrie, il n’y a pas ici de persécution des chrétiens. Il s’agit plutôt de pourrissement d’une situation qui date de la partition de la Palestine en 1948 et a été aggravée par des politiques ultérieures qui leur sont de plus en plus défavorables.
Les chrétiens de Terre sainte constituent aujourd’hui moins de 1 % de la population en Palestine et environ 2 % en Israël, soit respectivement 50 000 et 120 000 chrétiens palestiniens, répartis en diverses confessions : Grecs orthodoxes, Latins, Arméniens, Syriaques, Maronites, Coptes, Éthiopiens, Anglicans, Luthériens. Il y a aussi environ 150 000 migrants chrétiens. L’émigration massive des chrétiens au moment de la Nakba (1948) fait que la majorité des chrétiens palestiniens vit aujourd’hui à l’étranger (Jordanie, Liban, Syrie, Amérique du Nord et du Sud, Australie, Europe, etc.). À titre d’exemple, il y a 350 000 Palestiniens au Chili et 280 000 au Honduras (toutes confessions confondues) ! À Jérusalem même, la population chrétienne décroit rapidement : ils étaient 31 400 en 1946 et ne sont plus que 9 000, alors que les Musulmans sont passés de 33 700 à 250 000 sur la même période. Les chrétiens qui étaient 20 % de la population en Palestine en 1948 pourraient n’être qu’un résidu insignifiant dans quelques décennies. Pourtant, ils refusent d’être considérés comme une minorité, car ils sont nés ici, ce pays est le leur et c’est ici que se situe leur vocation.
Musulmans et Chrétiens sont, en réalité, affrontés aux mêmes défis : avoir une nationalité, un droit de résidence, un logement, un travail. La situation est plus facile pour les chrétiens citoyens israéliens, résidant essentiellement en Galilée. Ils ont une nationalité, bénéficient des avantages de l’État d’Israël en matière de sécurité sociale, de liberté de circulation, d’accès aux écoles, aux hôpitaux, mais restent considérés comme des citoyens de seconde classe. Les Chrétiens de Jérusalem, de Cisjordanie et de Gaza, en revanche, sont soumis à de grosses restrictions de liberté, à des permis de séjour aléatoires et précaires, à un moindre accès aux services sociaux. Ce sont ces raisons, et non la persécution, qui font que de plus en plus de jeunes chrétiens sont tentés par l’émigration.
Sur ces différents dossiers, la Commission Justice & Paix du diocèse s’emploie à suivre les questions, à préparer des dossiers. Un des plus sensibles est celui du logement, du droit de résidence et de la liberté de circulation, avec des degrés dans la privation de liberté : les deux millions d’habitants de Gaza ne peuvent jamais quitter cette étroite bande de terre, à de rares exceptions près (travail ou santé) et selon le bon vouloir de l’armée israélienne qui en contrôle les frontières ; les Palestiniens de Cisjordanie eux ne peuvent jamais venir à Jérusalem avant l’âge de 40 ans ; aucun n’est autorisé à venir en Israël en franchissant avec son propre véhicule le « mur de sécurité » ; les Palestiniens nés et résidant à Jérusalem peuvent se voir retirer le droit d’y résider s’ils s’absentent longuement de leur domicile. Les uns et les autres ont, au plus, une carte d’identité, mais pas de passeport attestant d’une nationalité. L’actualité récente a mis en lumière les expulsions arbitraires de Palestiniens dans un quartier de Jérusalem-Est, Sheikh Jarrah. Ces Palestiniens avaient déjà dû quitter leur logement de Jérusalem-Ouest après le partage de la Palestine en 1948. Les évictions sont pour une large part le résultat de l’activisme de puissantes associations de colons comme Nahalat Shimoun ou Ateret Cohanim qui, avec la bienveillance des autorités, s’emploient à réaliser ce que l’historien Ilan Pappé a qualifié de nettoyage ethnique de la Palestine « ethnic cleansing ». Cette politique est régulièrement dénoncée par diverses ONG comme l’ONG israélienne Btselem ou l’ONG internationale Human Rights Watch qui, dans son rapport de 2021, parle de pratiques d’apartheid.
Pour favoriser le maintien de familles chrétiennes à Jérusalem, les Églises ont lancé des projets immobiliers avec des plans de construction de logements : elles estiment qu’aux 1 000 logements déjà construits il faudrait en construire 1 000 autres. Les Églises sont également très actives au plan de l’éducation, à travers un réseau d’écoles, allant du jardin d’enfants à l’Université, afin de donner aux jeunes une chance de trouver un emploi qualifié. Ces écoles accueillent aussi un grand nombre de musulmans et les responsables s’efforcent d’y promouvoir une éducation au vivre ensemble, urgente dans ce pays. Elles donnent aussi beaucoup d’emplois aux chrétiens. Un récent ouvrage de la Commission Justice & Paix (Is Peace Possible ? Christian Palestinians Speak, 2019) donne en annexe le texte d’une vingtaine de prises de position de la Commission traitant de questions brûlantes comme les expropriations, la démolition illégale de domiciles, la « normalisation » des relations avec l’État d’Israël, la définition de cet État comme « État juif » (loi de juillet 2018), etc. Le défi est de continuer à travailler à la paix dans un contexte d’aussi criantes injustices.