L’Éthiopie, un rêve brisé ?

L’image de l’ancêtre Lucy, du royaume de la reine de Saba, du négus couvert d’or, d’une Afrique accueillante, verte et diversifiée, se brise sous les effets de la guerre ; ainsi que le prix Nobel de la paix attribué en 2019 à Abiy Ahmed, premier ministre ! Celui-ci écrivait récemment : « Alors que je prêchais la paix, la prospérité pour mon pays et mon peuple, une violente attaque a été lancée contre mon gouvernement et mon peuple » par des dirigeants du Front de Libération du Peuple du Tigré (FLPT).

Rejoindre l’Éthiopie s’impose. Non pour juger mais pour comprendre et aider ceux qui voudraient trouver les voies de la paix.

Le conflit déclenché début novembre par la réaction violente du premier ministre aux attaques perpétrées par les militants du FLPT tuant des soldats et saisissant des armes dans un centre de l’armée éthiopienne, a des racines anciennes et récentes.

Depuis longtemps la « domination » de la sous-région par les tigréens, une communauté du nord du pays représentant près de 6 % de la population, a créé des rancœurs. Pourtant ces mêmes combattants avaient contribué à libérer l’Éthiopie de la dictature marxiste en 1991.

La désignation par le Parlement, en avril 2018, d’un premier ministre non tigréen a fait naître l’espoir. Il décréta l’amnistie et libéra des prisonniers politiques ; signa la paix avec l’Érythrée ; voulut réagir contre la politique du « fédéralisme ethnique » qui ronge le pays depuis longtemps ; développa une économie moderne pour lutter contre la misère endémique en ouvrant de nombreux chantiers aux investisseurs étrangers. Tout récemment, il modifia les équilibres politiques de l’équipe gouvernementale, en créant un nouveau parti. Mais, cela se heurte aux pratiques féodales, rivalités ethniques et ambitions politiques de nombreux acteurs du pays et « diminue » la suprématie tigréenne.

Les déclarations et attaques « sécessionnistes » perpétrées par le FLPT ont provoqué une riposte militaire massive et brutale des autorités d’Addis Abéba, qui investirent et contrôlèrent la région, éliminant ou arrêtant nombre d’opposants et lançant sur les routes près de 950 000 personnes déplacées, dont près de 65 000 réfugiés au Soudan. Un très ancien

monastère chrétien en terre tigréenne a été bombardé, et une très ancienne mosquée détruite.

L’unité fragile du pays est ébranlée. Des milliers de fonctionnaires éthiopiens ne sont pas payés. Les revendications ethniques qui couvent dans la région risquent d’être ravivées. L’éclatement menace.

Bien que le premier ministre qualifie la guerre de « troubles intérieurs », les risques d’internationalisation du conflit sont évidents.

L’Érythrée depuis longtemps en guerre avec les tigréens a envoyé des troupes sur le sol éthiopien et des exactions graves sont signalées dans la région du Tigré. De leur côté les armées tigréennes, lourdement armées auraient causé de graves dommages à l’armée érythréenne. Les forces soudanaises sous le prétexte de freiner l’arrivée de réfugiés sont entrées en territoire éthiopien. Les réfugiés des divers camps sont actuellement victimes de massacres. Des accusations de « crimes contre l’humanité » sont lancées. Les Nations Unies parlent d’une crise humanitaire de grande ampleur et la pandémie aggrave encore la situation. L’Union Africaine appelle à l’arrêt des hostilités. L’Union Européenne a décidé de geler une partie de son aide à l’Éthiopie, tant que les secours humanitaires ne pourront rejoindre le Tigré. L’Église copte éthiopienne qui a des fidèles des deux côtés pourrait-elle envisager une démarche pacificatrice ?

Car, c’est à l’avenir qu’il faut penser. En plus des milliers de victimes (les chiffres sont invérifiables), les blessures sont immenses de part et d’autre. La plus difficile à panser sera celle de l’humiliation infligée, d’une part à la fière communauté tigréenne fortement armée qui a dispersé ses « combattants » dans toute la région, et d’autre part l’affront fait au premier ministre dont l’image d’homme de paix est fortement abimée. Sans compter le risque d’implosion du pays !

Les investisseurs économiques, tout spécialement la Chine risquent de douter de ce pays. Toute interférence étrangère sera mal reçue. Des élections nationales seront indispensables, mais quand seront-elles envisageables ? Sur le terrain, des acteurs nationaux et internationaux tentent de parer au plus pressé : sauver des vies ! Des initiatives africaines auraient-elles des chances de faire se rencontrer secrètement des représentants des belligérants ? Sur les traces de Nelson Mandela des individus ou des groupes peuvent-ils renouer les fils et permettre aux frères ennemis de retrouver les chemins du dialogue ? Comment pouvons-nous les y accompagner ?