Sahara occidental, devenir d’un territoire
Avec ses 266.000 km², la moitié de la France métropolitaine, le Sahara occidental (SO) est bordé par l’Atlantique et les Canaries espagnoles à l’ouest, le Maroc au nord, l’Algérie au nord-est et la Mauritanie à l’est et au sud.
Au deuxième millénaire avant Jésus Christ, la savane s’est désertifiée. Au premier millénaire, le territoire est investi par des tribus berbères nomades sanhadjas. Au cours du 5ème siècle, le navigateur Carthaginois Hannon aurait établi un comptoir sur l’île de Kerné[1], peut-être dans la baie de Dahkla. Longtemps, cet espace n’a pas été organisé, ni « vécu », comme un État-nation.
Vers 1050, des Berbères sanhadjas fondent le mouvement almoravide, qui unifie les tribus du SO, entre 1042 et 1052, puis les émirats de l’actuel Maroc et Al-Andalus (majeure partie de l’Espagne). Sous les Almohades (1147), la cohésion du SO se délite.
Avec la bulle Inter Coetera (4 mai 1493), le pape Alexandre VI donne à l’Espagne les terres à l’ouest des Açores et du Cap-Vert, au Portugal celles à l’est, afin de « soumettre et convertir à la foi catholique … leurs habitants et indigènes » (art. 5-6). Toutefois, en 1502, le Pape concède aux Espagnols une enclave à l’est, la future Villa Cisneros (SO). A partir de 1514, l’influence marocaine des Saadiens se fait sentir ; cette dynastie gouverne le Maroc (1554-1659), suivie, à partir de 1674, de celle des Alaouites, celle de l’actuel roi du Maroc.
Sur la côte du SO, des forts portugais et espagnols sont implantés (15e-16e siècles). Le 4 août 1578, lors de la bataille des trois rois, le jeune roi portugais Sébastien 1er, qui souhaitait conquérir le Maroc, meurt ; son royaume passe à l’Espagne jusqu’en 1642. Le Portugal sort du jeu régional.
Au 18ème siècle, des Espagnols des Canaries pêchent au large du SO, la ressource étant abondante. En 1881, la Sociedad Pesquerías Canario-Africanas implante un débarcadère, à l’emplacement de la future « Villa Cisneros ». En 1884, des chefs sahraouis cèdent à l’Espagne la péninsule de Río de Oro.
Nationalisme marocain et Espagne franquiste
La conférence de Berlin (15.11.1884 – 26.02.1885) réunit des pays européens, la Russie, les États-Unis et l’Empire ottoman ; elle organise le partage et la colonisation de l’Afrique, une œuvre de « civilisation », interdit l’esclavage et la « traite négrière », affirme la liberté religieuse, protège voyageurs et missionnaires. Elle définit des sphères d’influence.
Le 28 novembre 1884, sont établis les comptoirs de Villa Cisneros[2]/Dahkla et Puerto Badía/Angra da Cintra. Le 26 décembre, l’Espagne proclame protectorat le Rio de Oro ; la conférence de Berlin entérine. Le 6 avril 1887, le protectorat espagnol s’augmente, au nord, de la Seguia el-Hamra, pour former, en 1924, le Sahara espagnol[3]. En 1938, la découverte d’une nappe phréatique permet de créer la ville d’El Aaiún / Laâyoune.
Face à la montée du nationalisme marocain, l’Espagne franquiste regroupe Sahara espagnol et enclave d’Ifni, investie en 1934, pour former l’África Occidental Española (1946-1958). Il n’y a jamais eu plus de 15.000 colons espagnols ; surtout citadins, ils s’investissent dans la pêche, le commerce, l’armée, l’administration coloniale. Les Sahraouis conservent leur justice (droit musulman et coutumier) ; certains se sédentarisent dans les années 1950, à la suite de sécheresses. En 1962, d’immenses gisements de phosphates sont découverts à Boukraâ, près de Laâyoune ; ils sont exploités à partir de 1972. Le plus long convoyeur du monde (96 km) achemine le minerai jusqu’à l’Atlantique.
Indépendance marocaine
Le 2 mars 1956, le Maroc devient indépendant ; le parti de l’indépendance Istiqlal considère le SO comme marocain (25.11.1956). Le 1er juillet 1957, Moktar Ould Dadah déclare : « Nous nous réclamons de cette même civilisation de désert dont nous sommes si justement fiers. Je convie donc nos frères du Sahara espagnol à songer à cette grande Mauritanie économique et spirituelle » ; il devient président de la Mauritanie indépendante (28.11.1960). L’Organisation des Nations Unies (ONU) et celle des États Africains (OUA) respectent le principe de l’intangibilité des frontières[4], même issues de la colonisation (21.07.1964).
En 1957-1958, le Maroc attaque les troupes espagnoles [guerre d’Ifni], mais est stoppé par des troupes franco-espagnoles. Avec les accords d’Angra de Cintra (02.04.1958), le Maroc obtient la région de Tarfaya. L’Afrique Occidentale espagnole est dissoute : l’Espagne conserve Sidi Ifni et le Sahara espagnol, réparti en deux provinces : Río de Oro et Saguia el-Hamra. Laâyoune devient capitale du Sahara espagnol (19.04.1961). En 1963, l’Istiqlal publie une carte du « Grand Maroc » incluant une partie de l’Algérie et du Mali, la Mauritanie et le SO. Un temps, des conflits portant sur le tracé des frontières opposent Maroc et Algérie (guerre des sables, 1963), Maroc et Mauritanie.
Le recours à l’ONU
A la demande du Maroc, le SO est placé sur la liste des territoires non autonomes, i.e. non encore décolonisés (au sens du ch. 12 de la Charte des Nations Unies, 16 juin 1945). Le Maroc estime, en effet, qu’un référendum d’autodétermination verrait les Sahraouis demander leur rattachement au Maroc. Le 16 décembre 1965, « considérant … le désir ardent de la communauté internationale de mettre fin au colonialisme partout et sous toutes ses formes … l’Assemblée générale [de l’ONU] … prie instamment le Gouvernement espagnol, en tant que puissance administrante, de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour la libération de la domination coloniale des territoires d’Ifni et du Sahara espagnol et d’engager à cette fin des négociations sur les problèmes relatifs à la souveraineté que posent ces deux territoires » (résolution 2072).
L’Espagne abandonne alors Ifni, mais conserve le Sahara espagnol, sans mettre en œuvre aucune des sept résolutions de l’ONU en faveur d’un référendum d’autodétermination (1966-1973). Parmi divers mouvements indépendantistes, le 10 mai 1973 est fondé le Front Polisario[5], opposé à l’Espagne, au Maroc et à la Mauritanie.
À la demande de l’AG de l’ONU, la Cour Internationale de Justice rend un avis consultatif le 16 octobre 1975 : le SO n’était pas un territoire sans maître, une terra nullius, au moment de la colonisation par l’Espagne. Elle précise :
« Les éléments et renseignements portés à la connaissance de la Cour montrent l’existence, au moment de la colonisation espagnole, de liens juridiques d’allégeance entre le sultan du Maroc et certaines des tribus vivant sur le territoire du Sahara occidental. Ils montrent également l’existence de droits, y compris certains droits relatifs à la terre, qui constituaient des liens juridiques entre l’ensemble mauritanien, au sens où la Cour l’entend, et le territoire du Sahara occidental.
En revanche, la Cour conclut que les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental d’une part, le Royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien d’autre part. La Cour n’a donc pas constaté l’existence de liens juridiques de nature à modifier l’application de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale des Nations Unies quant à la décolonisation du Sahara occidental et en particulier l’application du principe d’autodétermination grâce à l’expression libre et authentique de la volonté des populations du territoire ».
Le roi Hassan II organise une marche verte et investit le territoire du SO (6 novembre 1975) ; Franco autorise le retrait de l’Espagne (il décède le 20.11.1975) ; avec les accords de Madrid (14.11.1975), le Maroc obtient les deux tiers nord du Sahara espagnol, et la Mauritanie le tiers sud. Ni les Sahraouis, ni l’Algérie, ni l’ONU n’ont pris part à ces accords. Au départ du dernier soldat espagnol, le 27 février 1976, le Front Polisario proclame la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD), soutenu par l’Algérie, et mène une lutte armée. Beaucoup de Sahraouis se réfugient à Tindouf en Algérie. La compagnie espagnole Phosboucraâ est reprise par le Maroc (65% en 1976, et 35% en 2002). Le 10 août 1979, la Mauritanie cède son tiers du SO à la RASD, aussitôt annexé par le Maroc.
De 1980 à 1987, le Maroc érige le Mur des Sables le plus long mur du monde (2.720 km), avec aide israélienne et financement saoudien : entre 200.000 et 10 millions de mines antipersonnel (35 types) et antichar (21 types) ont été implantées (chiffres ONU). Le Maroc contrôle 80 % du territoire, à l’ouest du mur, le Front Polisario, 20%, à l’est. Le 30 août 1988, Maroc et Front Polisario acceptent le règlement proposé par l’ONU et l’OUA : un référendum sur la base du recensement espagnol des Sahraouis de 1974. Le SO demeure territoire non autonome, sans puissance administrante reconnue.
Une autonomie relative
Le 29 avril 1991, un représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU est chargé d’organiser le référendum, aidé de la MINURSO[6], pour janvier 1992. Le referendum a été sans cesse reporté, faute d’accord entre les parties sur les listes électorales (populations nomades, mal identifiées). Le Maroc se présente maintenant comme facteur de stabilité : opinion publique « unanime », rempart contre le terrorisme ; il a proposé un statut d’autonomie pour le SO, sous souveraineté marocaine (soutenu par divers pays, dont le Président Sarkozy le 23.10.2007). La résolution 2351 du 28 avril 2017 maintient la nécessité du référendum (n°11) et proroge le mandat de la MINURSO jusqu’au 30 avril 2018.
En mai 2006, un rapport du Haut-Commissariat de l’ONU aux Droits de l’Homme a critiqué le manque des droits les plus élémentaires dans le SO. Amnesty International a publié le rapport intitulé L’ombre de l’impunité. La torture au Maroc et au Sahara occidental, en 2015. Le Comité de l’ONU contre la torture a condamné le Maroc le 12 décembre 2016. Le 27 Janvier 2018, l’ACAT a remis le prix Engel-du Tertre des droits de l’homme à Naâma Asfari, militant sahraoui, torturé, battu et condamné injustement par le Maroc à 30 ans d’emprisonnement (La Croix, 26.01.2018).
[1] Périple de Hannon, 8b.10.
[2] En hommage au cardinal éponyme (1436-1517). Villa Cisneros sera une escale aérienne entre France et Sénégal, à partir de 1918, pour Latécoère, puis l’Aéropostale : Mermoz, Saint-Exupéry, Guillaumet…..
[3] La frontière au sud, avec la Mauritanie (alors française) a été fixée par le traité de Paris (27 juin 1900), sans tenir compte des populations. Au nord, elle l’est par la convention de Paris (4 octobre 1904) ; le Maroc devient protectorat français (traité de Fez, 30 mars 1912), sans spécification de durée. La Convention de Madrid (27.11.1912) met « en harmonie les intérêts [de la France et de l’Espagne] au Maroc », définissant une zone d’influence espagnole au Maroc.
[4] Uti possidetis, ita possideatis : comme vous possédez, qu’ainsi vous possédiez.
[5] Frente POpular de LIberacíon de SAguía-el-Hamra y RIo de Oro.
[6] MIssion des Nations Unies pour l’organisation d’un Référendum au Sahara Occidental.