La dissuasion nucléaire mise en cause à l’ONU  

L’arme nucléaire est présentée par les pays qui la détiennent ou leurs alliés comme une garantie essentielle de sécurité : pour les États-Unis, elle « réduit la probabilité » d’une attaque nucléaire sur leur territoire et protège le territoire de leurs alliés[1]. Pour la France, elle représente même « la clef de voûte de [sa] sécurité[2] ».

 

Ces discours occultent les dangers de la dissuasion : dans un système international qui n’est plus structuré par les disciplines de la guerre froide, où l’ONU reste faible et où la prééminence américaine ne peut à elle seule garantir la paix, la coexistence de huit (Etats-Unis  Russie, Chine, Royaume-Uni, France, Israël, Inde, Pakistan) et sans doute neuf puissances nucléaires (avec la Corée du Nord) est inquiétante. La modernisation continue des arsenaux nucléaires et leur maintien, pour partie, en état d’alerte permanente entretiennent un risque  de catastrophe  pour les populations et l’environnement. Sur plusieurs lignes de fracture géopolitique (Ukraine-Russie, Cachemire, péninsule coréenne…), la possibilité d’irruption du facteur nucléaire dans une confrontation conventionnelle est réelle et semble croître avec le temps. Il n’existe pas de garantie absolue contre l’éventualité d’un échange de tirs nucléaires par accident ou erreur d’appréciation.

 

Crainte de percées technologiques

 

Parallèlement, l’époque des réductions de capacités paraît révolue. Même si le nombre d’ogives diminue aux États-Unis, en Russie, au Royaume-Uni et en France, la crainte de percées technologiques dans le camp adverse alimente la course aux armements dans le domaine des vecteurs et des ogives : les dépenses annuelles consacrées à l’arme nucléaire sont estimées à plus de 100 milliards de dollars, un montant proche de l’aide au développement.

 

Enfin de nombreux pays interdits d’arme nucléaire par le traité de non-prolifération (TNP) acceptent de moins en moins un statut qu’ils jugent discriminatoire et s’appuient sur l’article VI pour réclamer un désarmement qui les replacerait en situation d’égalité face aux puissances nucléaires, reconnues ou non.

 

Plus fondamentalement, comme le souligne le pape François, l’équilibre stratégique que la dissuasion vise à établir est « fondé sur la menace d’une destruction réciproque ou d’un anéantissement total[3] ». On ne peut donc y voir une garantie durable de paix et de stabilité.

 

L’adoption d’un traité d’interdiction de l’arme nucléaire

 

La conscience des dangers de l’arme nucléaire a conduit la société civile internationale à demander une interdiction juridiquement contraignante de cette arme, à l’instar des armes chimiques et biologiques ; ce mouvement a rencontré le soutien de nombreux pays non nucléaires irrités de l’impasse des négociations de désarmement. En 2013 et 2014, trois conférences rassemblant jusqu’à 158 pays mettaient en relief les effets humanitaires catastrophiques d’un emploi de l’arme nucléaire et concluaient à la nécessité d’un traité d’interdiction. Le 7 juillet 2017, une Conférence internationale chargée par l’Assemblée générale des Nations Unies de négocier ce traité adoptait un texte approuvé par 122 États (dont le Saint-Siège), sans la participation des pays nucléaires ou bénéficiant d’une protection nucléaire.

 

Ce texte interdit aux parties signataires de « mettre au point, mettre à l’essai, produire, fabriquer, acquérir de quelque autre manière, posséder ou stocker des armes nucléaires ». Cette interdiction s’étend au transfert d’armes nucléaires et à leur déploiement. Pour les États non nucléaires, cette disposition ne fait que reprendre, pour l’essentiel, celles qui leur sont déjà applicables, notamment au titre du TNP. Elle a cependant le mérite de poser l’interdiction de l’arme nucléaire comme un principe général, ce qui devrait favoriser la délégitimation de cette arme et contraindre les puissances nucléaires à rendre compte dans les instances internationales – conférences d’examen du TNP, par exemple – des initiatives prises pour relancer le désarmement nucléaire.

 

En revanche une certaine faiblesse du dispositif du texte concerne la vérification : le contrôle de l’absence d’activités nucléaires militaires est laissé à l’Agence internationale de l’énergie atomique au titre du régime de garantie généralisée, dont l’expérience a montré l’insuffisance. L’adoption de dispositifs plus contraignants est renvoyée à la conférence des États parties ou à des conférences quinquennales. Enfin le traité proposé comporte une clause de retrait, analogue à celle contenue dans le TNP.

 

Mais cette initiative ne saurait être ignorée par les puissances nucléaires. Comme l’ont souligné, le 6 juillet 2017, Mgrs Hollerich et Cantu, présidents des Commissions Justice et Paix d’Europe et des États-Unis « le caractère indiscriminé et disproportionné des armes nucléaires, contraint le monde à dépasser la dissuasion nucléaire ». Il appartient donc désormais « aux États-Unis et aux nations européennes d’œuvrer avec les autres nations à l’élaboration d’une stratégie crédible, vérifiable et applicable d’élimination totale des armes nucléaires ».

 

 

[1] Nuclear matters Handbook, 2016

[2] Discours d’Emmanuel Macron devant le Congrès du Parlement, 3 juillet 2017

[3] Message à la Conférence des Nations Unies pour la négociation d’un traité d’interdiction des armes nucléaires, 23 mars 2017