Face aux crises, ouvrir un chemin de conversion radicale
Une prise de parole du Ceras en temps de covid
Confrontée à une crise sanitaire de grande ampleur, c’est en plein carême chrétien qu’une grande partie de la population mondiale a été obligée de se confiner. Et si le confinement est une sorte de mise en quarantaine générale, il ne nous semble pas insensé de faire le lien entre cette quarantaine et le carême, ces 40 jours pendant lesquels nous sommes invités à laisser de côté le superflu pour nous recentrer sur l’essentiel.
Le carême est un temps d’apprentissage, lente éducation au lâcher-prise et au désencombrement : comme chrétiens, aurions-nous quelque chose à partager de notre expérience de cette traversée ? Evoquons, parmi tant d’autres choses : la joie de la simplicité, la force de l’essentiel, le goût de la solidarité, le besoin de relations vraies… Et nos frères musulmans, amenés à vivre un Ramadan bien particulier cette année, pourraient nous rejoindre dans ce témoignage.
S’il n’a pas été une épreuve trop lourde – pour des raisons sociales, psychologiques ou relationnelles – le confinement aura peut-être permis de repérer du superflu dans nos vies, de poser un autre regard sur notre mobilité hyperactive, notre consommation frénétique, notre rythme de vie accéléré… Chacun est invité à une relecture : ne pourrions-nous pas garder de ces dernières semaines quelques bonnes idées pour la suite ?
Nous ne sommes plus en carême, mais notre monde est encore en quarantaine. Et si nous avons pu célébrer Pâques, d’une manière certes particulière, le déconfinement, lui, ne s’annonce pas de manière très réjouissante. La célébration générale de sortie de crise semble bien lointaine.
La crise sanitaire liée au coronavirus a, certes, rebattu les cartes dans de nombreux domaines : revalorisation des services publics, remise en cause de dogmes budgétaires que l’on nous avait présentés comme figés à jamais, constat des méfaits d’une mondialisation dérégulée… Elle nous fait espérer un changement enfin possible dont nous percevons quelques premiers pas.
Mais la crise sociale est là, qui menace des jeunes pour qui le premier emploi se fait toujours plus lointain, les familles précarisées par l’absence des revenus habituels, les pays du Sud qui n’auront pas les moyens de renforcer seuls une économie ébranlée par le confinement, ou encore les exilés entassés aux confins d’une Europe qui a fermé ses frontières…
Elle nous rappelle qu’il aurait été bon de réfléchir plus tôt, comme nous y invite le pape François, à une “certaine décroissance” (Laudato si‘, LS 193) choisie, sélective, se donnant “comme objectif prioritaire l’accès à l’emploi pour tous” et non les “intérêts limités des entreprises et d’une rationalité économique discutable” (LS 127). Au lieu de cela, nous subissons maintenant une récession violente, imposée par les événements. Pour l’affronter, il nous faudra plus que jamais coupler engagements écologique et social. Car les chantres d’un néo-libéralisme et d’une mondialisation dérégulée ne semblent pas prêts à laisser les rênes du pouvoir. Et les plans de relance qui s’annoncent peuvent être très inquiétants : ils révèlent que l’idolâtrie de la croissance à tout prix nous guette encore, et toujours plus fortement avec la peur légitime de la crise socio-économique ! Sans critères environnementaux et sociaux pour rediriger notre économie dans la bonne direction, nous préparons des crises pires.
Crise financière, canicules, crise sociale et démocratique, COVID… nous allons de crise en crise en proposant pour chacune des réponses qui tentent de maintenir un système à bout de souffle sans nous attaquer aux racines du problème de cette « complexe crise socio-environnementale » (LS 139) qui englobe toutes les autres.
La crise sanitaire pourrait-elle être le kairos qui nous conduira à changer réellement ? Le pape François nous y invite, espérant « que cette période de danger nous fera abandonner le pilotage automatique, secouera nos consciences endormies et permettra une conversion humaniste et écologique pour mettre fin à l’idolâtrie de l’argent et pour placer la dignité et la vie au centre de l’existence » (François, Lettre aux Mouvements populaires, 12 avril 2020).
Au cœur de nos confinements comme au sortir de ces quarantaines, comment répondrons-nous à cet appel à la conversion ?
N’abandonnons pas l’écologie intégrale, n’abandonnons pas un style de vie prophétique, n’abandonnons pas le désir d’une conversion communautaire radicale. L’Église que nous sommes est attendue sur ce terrain.
Le déconfinement qui s’annonce nous offre l’occasion de devenir cette « Église en sortie » que le pape François appelle de ses vœux. Et nous serons peut-être les premiers surpris de découvrir que la richesse de l’expérience communautaire vécue dans la célébration eucharistique se vit aussi dans les actions et les combats au service de nos frères et sœurs, ceux d’aujourd’hui et ceux de demain.
Le chemin de la conversion n’est pas un chemin de solitude. Nous nous y engageons, ensemble, avec d’autres, au service du « monde d’après ». Ce monde n’est pas un rêve, mais une tâche qui commence maintenant, dans l’espérance de la « terre nouvelle » que nous attendons comme un don, mais où nous retrouverons, transfigurés, tous les fruits de notre labeur au service de la dignité de tous et de la communion fraternelle (Gaudium et Spes, GS 39).
Beaucoup de chrétiens ont déjà fait preuve d’une grande envie de s’engager depuis le début du confinement. Beaucoup ont déjà mis leurs vies au service de cette « détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun ; c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que, tous, nous sommes vraiment responsables de tous. » (Sollicitudo rei socialis, SRS 38). Tous, car cette crise n’est pas qu’un défi réservé aux chrétiens mais concerne l’ensemble de la famille humaine. Il est temps de transformer l’essai, collectivement.
Car c’est aujourd’hui qu’il nous faut faire entendre nos voix !
Comment ? Les gestes symboliques sont importants mais devenus insuffisants. Ils finissent par épuiser. Nous avons maintenant besoin d’actes forts : personnels certes, mais aussi collectifs, à commencer par nos paroisses.
Ces premiers jours de déconfinement sont le moment favorable pour décider enfin – selon sa situation – de changer de banque (et de demander à son diocèse de désinvestir des énergies fossiles), de passer à l’énergie renouvelable (et de demander à sa paroisse de faire de même), de choisir une destination plus proche pour ses prochaines vacances, de s’engager dans une association de solidarité, de partager son salaire, d’interroger les finalités de son travail…
Il s’agira aussi de dépasser les frontières de nos communautés pour rejoindre ces mouvements de la société civile et de l’altermondialisme animés, comme nous, de cet idéal d’une terre dont tous les fruits seraient vraiment destinés « à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples » en sorte que « les biens de la création [affluent équitablement] entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité » (GS 69). Il s’agira d’oser un « amour civil et politique » (LS 231) qui n’ait pas peur de rejoindre les lieux de décision. Nous le savons, pour servir le bien commun, nous ne pouvons “absolument pas renoncer à la participation à la ‘politique’” quelles que soient les accusations dont elle puisse être l’objet, ni justifier le scepticisme ou l’absentéisme des chrétiens pour la chose publique (Jean-Paul II, Christifideles laïci, 42). Viser ce niveau d’engagement est indispensable pour demander des comptes à nos dirigeants et appeler un changement de cap. Ces revendications politiques donneront sens à nos conversions individuelles et collectives.
Saurons-nous relever le défi ? Choisir la voie de l’écologie intégrale n’est, pas plus que la charité, une simple option pour les chrétiens. C’est répondre à notre appel de baptisée et baptisé à suivre le Christ et à prendre soin de nos frères, de nos sœurs, et de la création.