Vers la fin des mines antipersonnel ?
Tout le monde a encore en mémoire la campagne internationale pour l’interdiction des mines antipersonnel qui aboutit à la signature du Traité d’Ottawa en 1997.
Un peu plus de 10 ans plus tard, les ONG viennent d’obtenir un nouveau succès avec l’accord de Dublin sur le texte final du Traité d’interdiction des bombes à sous-munitions Traité d’interdiction des bombes à sous-munitions (mines antipersonnel ) qui sera officiellement signé à Oslo les 2 et 3 décembre prochains. Il entrera en vigueur dès que 30 pays l’auront ratifié. C’est en 2003 que commence la campagne des ONG en faveur d’un traité interdisant les BASM.
Un processus long
Du côté des Etats, la Belgique est le premier pays à ouvrir la voie en votant une loi d’interdiction totale des BASM dès février 2006 qui prévoit par ailleurs la destruction des stocks existant à l’horizon 2009. Mais c’est l’emploi massif de ce type d’armes lors de la guerre au Liban, pendant l’été 2006, qui provoque une prise de conscience internationale du problème. Quelques mois plus tard, en février 2007, la Norvège – comme l’avait fait en son temps le Canada sur le dossier des mines antipersonnel – lance un processus diplomatique, le processus d’Oslo, en vue de parvenir à un traité interdisant les BASM avant la fin de l’année 2008. Cette initiative, dans laquelle 155 Etats se sont engagés, a permis de sortir ce dossier de l’impasse. En effet, les négociations sur les conséquences humanitaires des BASM, menées jusqu’alors dans le cadre de la Convention sur certaines armes classiques (1980), avaient échoué, faute d’arriver au consensus requis par cet instrument. Sans l’initiative norvégienne, les chances d’aboutir à un outil efficace auraient été quasiment nulles.
Qu’est-ce qu’une bombe à sous-munitions ? Elle est composée de deux éléments : un conteneur (bombe, missile…) dans lequel sont placées des mini-bombes par dizaines ou par centaines. Largué par avion ou hélicoptères, ou tiré à partir de véhicules terrestres, le conteneur s’ouvre dans les airs, libérant les mini-bombes (sous-munitions) qui doivent exploser au contact du sol ou de la cible. Les bombes à sous-munitions sont à distinguer des bombes à fragmentation qui libèrent des milliers de projectiles meurtriers (mais non explosifs) s’éparpillant sur de très larges zones.
Une avancée majeure
Le texte de compromis auquel sont arrivés les représentants de plus de 100 Etats réunis à Dublin ce mois de mai stipule que chaque Etat partie au Traité s’engage à ne « Jamais, en aucune circonstance, employer d’armes à sous-munitions ; mettre au point, produire, acquérir de quelque manière, stocker, conserver ou transférer à quiconque, directement ou indirectement, des armes à sous-munitions ; assister, encourager ou inciter quiconque à s’engager dans toute activité interdite à un Etat partie en vertu de la présente Convention » (article 1). En d’autres termes, cela signe l’arrêt de mort de tous les types de bombes à sous-munitions qui ont été utilisées jusqu’à aujourd’hui ainsi que toutes celles qui sont non discriminantes, peu fiables et susceptibles de menacer les populations bien après l’arrêt des conflits (aux termes de l’article 2).Chaque Etat devra détruire ses stocks dans un délai de 8 ans maximum après sa ratification du Traité. Par ailleurs, le texte répond dans une large mesure aux aspirations des ONG en matière d’assistance aux victimes et impose aux Etats parties des obligations très précises en matière de dépollution. Autant d’avancées majeures qu’il convient de souligner, alors que quelques mois auparavant encore, plusieurs pays, dont la France, refusaient d’aller aussi loin.
Des limites évidentes
Certaines dispositions du Traité limitent cependant sa portée. Parmi les ombres au tableau figure notamment le principe d’interopérabilité inscrit dans le texte sous la pression des Etats-Unis qui craignaient de voir affecter les opérations militaires conjointes dans le cadre de l’OTAN (article 21-3). Il prévoit que les Etats signataires du Traité et leurs ressortissants « pourront s’engager dans une coopération et des opérations militaires » avec des Etats non signataires, même si ces derniers utilisent les bombes à sous -munitions. Autre déception : les nombreuses exceptions prévues par le Traité. Ainsi, la définition des bombes à sous- munitions figurant dans le texte (article 2-2) exclut notamment de son champ d’application certaines armes en fonction de critères techniques censées limiter leur impact (poids, nombre de sous-munitions contenues, présence ou non d’un système d’auto-destruction ou d’auto-désactivation). Certes, pour un pays comme la France, les BASM interdites par le traité représentent l’essentiel de ses stocks actuels (98% selon un diplomate). Mais le développement possible des systèmes autorisés par l’article 2 est loin d’être sans risque.
Risque humanitaire d’abord car la fiabilité de ces matériels est régulièrement mise en cause. Or lorsque les dispositifs d’auto-destruction ou d’auto-désactivation sont défaillants, les sous-munitions qui n’ont pas explosé à l’impact se transforment en véritables mines antipersonnel. Risque politique ensuite car, en introduisant des différences de traitement selon le degré de technicité des matériels, ces dispositions confortent la suprématie technologique et militaire de certains pays. Enfin, le Traité autorise la conservation ou l’acquisition par les Etats parties d’un nombre limité d’armes à sous-munitions et de sous-munitions explosives pour la formation aux techniques de déminage, ou pour développer les capacités à se défendre contre l’emploi de BASM (article 3-6). Il est toutefois précisé que la quantité de sous-munitions explosives conservées ou acquises dans cette optique ne devra pas excéder le nombre minimum absolument nécessaire à ces fins.
Quel avenir ?
Il est trop tôt pour le prévoir. Aux limites inhérentes au texte lui-même, s’ajoute le refus des principaux producteurs et utilisateurs de BASM de rejoindre le processus d’Oslo et de signer le nouveau Traité : Etats-Unis, Inde, Russie, Chine et Brésil. Pourtant, le parallèle avec le Traité d’Ottawa interdisant les mines antipersonnel appelle à un optimisme raisonnable. Alors que 40 pays – dont la Russie, la Chine et les Etats-Unis – refusent toujours de le signer, l’utilisation des mines antipersonnel est depuis quelques années quasi inexistante. Selon le rapport 2007 de l’Observatoire des mines rapport 2007 de l’Observatoire des mines, seules la Birmanie et la Russie en auraient utilisé entre mai 2006 et octobre 2007. Pour parvenir à un résultat similaire dans le cas des bombes à sous-munitions il convient de ne pas baisser la garde ; la vigilance et l’engagement de la société civile sont plus que jamais requis.