Centenaire des Traités : Autriche et Hongrie
La séquence du centenaire des Traités qui ont conclu la Grande guerre s’achève. Ils ont été signés par les Alliés avec l’Allemagne à Versailles (28 juin 1919), l’Autriche à Saint-Germain (10 septembre 1919), la Bulgarie à Neuilly (27 novembre 1919), la Hongrie au Trianon (4 juin 1920), l’ancien Empire ottoman à Sèvres (10 août 1920). Non sans conséquences encore aujourd’hui.
L’an 1000 voit l’émergence du Royaume de Hongrie : Étienne Ier (975-1038 ; canonisé en 1083) est couronné par le savant pape aquitain Gerbert d’Aurillac – Sylvestre II (999-1003). Le 18 février 1867, le Royaume de Hongrie, à l’histoire mouvementée, se joint à l’Empire d’Autriche (issu de l’Empire Habsbourg en 1804) pour former un régime de double monarchie [1] : deux parlements, mais une union personnelle assurée par les Habsbourg, dotée d’une armée et de ministères communs. En pleine guerre, le 22 novembre 1916, Charles François Joseph de Habsbourg-Lorraine devient l’empereur Charles 1er d’Autriche. Il est aussi le roi Charles IV de Hongrie et Charles III de Bohême. Il a été béatifié le 3 octobre 2004 par Jean-Paul II, pour ses tentatives de paix et son soutien à la médiation de Benoît XV, en 1917.
Le Projet Wilson
Le 8 janvier 1918, devant le Congrès des États-Unis, le Président Wilson énonce son célèbre « programme de la paix du monde » en quatorze points, traversé de bout en bout par le « le principe évident… d’une justice pour tous les peuples et toutes les nationalités, et leur droit de vivre dans des conditions égales de liberté et de sécurité les uns avec les autres, qu’ils soient forts ou faibles ». Le Xe point reformule le principe des nationalités du 19e s. plutôt qu’un droit, encore implicite, des peuples à disposer d’eux-mêmes [2] : « Aux peuples de l’Autriche-Hongrie, dont nous désirons voir sauvegarder et assurer la place parmi les nations, devra être accordé au plus tôt la possibilité d’un développement autonome ». Le XIVe point prévoit la constitution d’une Société des Nations « ayant pour objet d’offrir des garanties mutuelles d’indépendance politique et d’intégrité territoriale aux petits comme aux grands États ».
La dislocation de l’Empire austro-hongrois
Le 27 septembre 1918, Charles 1er propose de transformer son Empire en fédération. Or, le 4 octobre, les députés du Reichsrat reconnaissent le droit des peuples de l’Empire à l’auto-détermination. Le 17 octobre, Charles 1er impose la fédéralisation. Mais, le 21 octobre, les députés germanophones instituent une Assemblée nationale provisoire [3], qui décide, le 30, de fonder un État. Le 27 octobre, Charles 1er nomme l’archiduc Joseph-Auguste de Habsbourg-Lorraine homo regius, prince palatin, de Hongrie pour contenir les indépendantistes, mais ces derniers s’emparent de Budapest le 30 octobre. L’Empire austro-hongrois est défait le 31 octobre 1918. Le 3 novembre, l’armistice est signé. Le 11 novembre, Charles 1er renonce au trône.
En Autriche, le 12 novembre, une République d’Autriche allemande est proclamée, « démocratique » (art. 1), se donnant comme « une partie de la République allemande » (art. 2) ; le 22 novembre, elle revendique les territoires peuplés majoritairement d’Allemands en Cisleithanie (partie autrichienne de l’ex-Empire austro-hongrois). En Hongrie se succèdent les éphémères République hongroise démocratique (16 novembre 1918 – 20 mars 1919), et République hongroise soviétique de Béla Kun (21 mars- 6 août 1919).
Trois traités
Le traité de Versailles (28 juin 1919), non ratifié par les USA, institue la Société des Nations (art. 1 à 26, repris dans les deux autres traités). Il instaure une indépendance inaliénable de l’Autriche que l’Allemagne doit reconnaître et respecter (art. 80). Les Alliés refusent le droit à l’autodétermination des peuples vaincus et des peuples colonisés. À rebours, la constitution allemande de la République de Weimar (31 juillet 1919) prévoit que « d’autres territoires peuvent être admis dans le Reich, si leur population le décide par voie d’autodétermination » (art. 2), rejoignant les aspirations de la République d’Autriche allemande (infra) [4]. En Hongrie, le 6 août, une armée franco-roumaine occupe Budapest ; c’est la fin de la République hongroise soviétique. Le 23 août, Joseph-Auguste de Habsbourg renonce à la régence. Restait à définir les frontières.
Le traité de Saint-Germain-en-Laye (10 septembre 1919) [5] définit celles de l’Autriche avec la Suisse et le Liechtenstein [6], l’Italie, l’État serbe-croate-slovène, la Hongrie, l’État tchécoslovaque, l’Allemagne (art. 27-35). L’indépendance de l’Autriche est inaliénable ; l’Autriche ne pourra « participer aux affaires d’une autre Puissance » (art. 88), et donc s’intégrer dans la République allemande. Pressé par les vainqueurs, et rebaptisé République d’Autriche, le pays ratifie le traité le 21 octobre 1919. Il possède huit länder : sept issus de la partie autrichienne de l’ex-Empire austro-hongrois (Vorarlberg, Tyrol du Nord, Salzbourg, haute et basse Autriche, Carinthie, Styrie) et un nouveau land, le Burgenland – quatre districts germanophones issus de l’ancien Royaume de Hongrie [7]. La loi constitutionnelle du 1er octobre 1920 intègre notamment la loi du 3 avril 1919 relative au bannissement et à la récupération du patrimoine de la maison de Habsbourg-Lorraine (art. 149).
Dans l’entrefaite, en Hongrie, le 16 novembre 1919, profitant du retrait roumain, l’amiral Horthy, ministre de la guerre d’un gouvernement contre-révolutionnaire, entre à Budapest. À la terreur rouge, succède une terreur blanche et antisémite. Le 1er mars 1920, Horthy, amiral d’un pays sans accès à la mer, est élu régent d’un royaume sans roi.
Le traité du Trianon (4 juin 1920) définit les frontières de la Hongrie (art. 27-35) [8]. Son indépendance est inaliénable (art. 73). Le pays perd 71 % de son territoire, son accès à la mer, ses mines… et 3,3 millions des magyarophones (32 %) habitent désormais à l’étranger.
Rêves et réalité
Dans l’entre-deux-guerres, les nationalistes hongrois rêvent d’une « Grande Hongrie » ; l’amiral Horthy s’allie aux nazis dans l’espoir de récupérer les territoires perdus. Viennent la défaite et l’occupation soviétique. En 1956, les Hongrois réclament des élections libres (Imre Nagy), mais l’armée soviétique écrase l’insurrection (2 500 morts). L’opinion mondiale découvre la réalité soviétique ; c’est le début du recul du communisme en Europe. Peu à peu la Hongrie se développe ; en 1989, les Allemands de l’Est sont autorisés à passer à l’Ouest via la Hongrie, contribuant ainsi de manière décisive à la chute du mur de Berlin.
La démocratie rétablie, le pays se modernise rapidement et rejoint l’Union Européenne en 2004. Après un long intervalle social-démocrate, l’Union civique hongroise (Fidesz) reprend le pouvoir et Victor Orbàn redevient premier ministre : il prône une démocratie « illibérale ». Cent ans après, le traité de Trianon reste très présent pour la plupart des Hongrois : frontières jamais réellement acceptées, question des minorités (en particulier les Roms), réactions xénophobes et sentiment de ne pas être reconnus au sein de l’Union Européenne. On estime aujourd’hui à 2 millions les magyarophones à l’étranger [9].
[1] La rivière Leitha / Lajta / Litava sépare l’archiduché d’Autriche (Cisleithanie, vue depuis l’Autriche) du royaume de Hongrie (Transleithanie), et, aujourd’hui, deux lands d’Autriche : le Niederösterreich et le Burgenland.
[2] Principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes : Charte de l’ONU, 26 juin 1945, art.1.2 et 55.
[3] Avec des représentants germanophones de Bohême, Moravie et Italie ayant refusé de rejoindre la « Tchécoslovaquie », créée le 28 octobre.
[4] Lors d’un referendum en novembre 1918, les provinces du Tyrol et de Salzbourg avaient demandé l’unification avec l’Allemagne, à plus de 98 %. Le succès postérieur de l’Anschluß, « rattachement » de l’Autriche à l’Allemagne nazie, entamé le 12 mars 1938, n’est pas si surprenant.
[5] La délégation autrichienne est exclue des négociations ; le 23 mai 1919, des Autrichiens brûlent l’ambassade de France à Vienne.
[6] Dans un referendum de mai 1919, le Vorarlberg souhaite son rattachement à la Suisse à 81 %. Le traité n’en tient aucun compte : la Suisse est réticente et le Lichtenstein aurait été enclavé en Suisse.
[7] Par le referendum du 14 décembre 1922 (à 72 %), la capitale du Burgenland – Ödenburg (en allemand), Sopron (en hongrois) – passe en Hongrie.
[8]. Le Tyrol du Sud, quoique purement germanophone, passe à l’Italie, en reconnaissance de son entrée en guerre aux côtés de l’Entente.
[9] Loi fondamentale du 18 avril 2011, art. D : « Gardant à l’esprit qu’il y a une seule nation hongroise unie, la Hongrie assume la responsabilité du sort des Hongrois vivant en dehors de ses frontières, et doit encourager la survie et le développement de leurs communautés ; elle soutient leurs efforts pour préserver leur identité hongroise, affirmer leurs droits individuels et collectifs, établir des communautés autonomes et prospères dans leur pays natal, et elle encourage leur coopération, entre elles et avec la Hongrie ».