Mutatis mutandis
En participant au colloque organisé par le Vatican et l’Université grégorienne sur le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, les 10 et 11 décembre derniers, il était frappant de voir combien les 200 participants environ, venus du monde entier, étaient marqués par le phénomène français des gilets jaunes.
Beaucoup restaient interrogateurs. Notre pays était perçu de façon ambivalente : pays – soi-disant et réellement – des droits de l’homme, pays donneur de leçons qu’il ferait bien de s’appliquer à lui-même[1]et pays restant néanmoins source d’inspiration, dont on attend une certaine créativité et des initiatives, notamment en matière des droits et devoirs humains.
Voici un autre illustration de la diffusion du phénomène : ce même 10 décembre dernier, l’avocat Mohamed Ramadan, spécialiste de la défense des prisonniers politiques, des victimes de la torture et des défenseurs des droits humains, était arrêté à Alexandrie, pour avoir publié sur sa page Facebook une photo où il était revêtu d’un gilet jaune, en solidarité avec le mouvement français ; « la police a déclaré avoir saisi plusieurs gilets jaunes à son domicile, le jour de son arrestation, comme autant de preuves qu’ils étaient destinés à être utilisés pour contester le régime… les autorités avaient conditionné la vente de gilets jaunes à une autorisation préalable de la police » (La Croix, 21 janvier 2019).
Les messages du pape François sur la situation internationale délivrés au corps diplomatique donnent des éléments de réflexion, instructifs, mutatis mutandis, pour notre pays et la compréhension du phénomène des gilets jaunes. Ainsi, le 8 janvier 2018, tirant, de la première guerre mondiale, des « avertissements », le Pape dénonçait les processus d’humiliation (des vaincus) et affirmait la nécessité (pour les nations) de traiter (entre elles) « dans un climat de parité ». Certains gilets jaunes ne se perçoivent-ils pas, à tort ou à raison, comme humiliés, comme « non-pairs », rejetant dès lors démocratie représentative et corps intermédiaires ? Mais une « contre-humiliation » en forme de non-réponse aux propositions de débat est-elle une réponse ?
Une globalisation trop rapide ?
Le 7 janvier 2019, le Pape relevait « une certaine incapacité du système multilatéral à offrir des solutions efficaces à diverses situations irrésolues depuis longtemps, comme certains conflits “gelés”, et à affronter les défis actuels de manière satisfaisante pour tous. C’est en partie le résultat de l’évolution des politiques nationales, toujours plus fréquemment déterminées par la recherche d’un consensus immédiat et intransigeant, plutôt que par la poursuite patiente du bien commun avec des réponses à long terme ». Et d’ajouter : « C’est en partie la conséquence de la réaction dans certaines parties du monde d’une globalisation qui s’est développée trop rapidement dans certains aspects et de façon désordonnée, si bien que se produit une tension entre la globalisation et la localisation. Il faut donc prêter attention à la dimension globale sans perdre de vue ce qui est local »[2]. Cette analyse ne peut-elle être décalquée sur notre situation française ?
Le pape pointait le risque d’un « manque de confiance général », d’une « crise de crédibilité de la politique (internationale) », d’une « marginalisation des … plus vulnérables ». La défiance envers les journalistes, les politiques, les « experts » etc…, et les discours sur la « post-vérité », ou en forme de fake news ou de théories du complot, ne sont-ils pas un résultat et un facteur de ce manque général de confiance ? On pourrait poursuivre l’analogie entre la situation internationale et la crise française… L’Église est dans son rôle quand elle rappelle les fondements : la dignité de tout homme, l’aspiration à la fraternité (cf. le message de Mgr Aupetit : « l’urgence de la fraternité », 5 décembre 2018).
Notes :
[1] Certains interrogent la notion d’universalité des droits de l’homme, au nom de coutumes et traditions différentes (les droits humains seraient en quelque sorte seulement « occidentaux »), ou en raison de pratiques jugées (néo-)colonialistes de pays réputés à l’origine des droits humains (leurs pratiques invalident le concept même des droits humains qu’ils ont élaboré). Le pape François a déclaré au corps diplomatique le 7 janvier 2019 : « Un rôle fondamental est joué par les droits humains, énoncés dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, dont nous avons célébré il y a peu le 70ème anniversaire, dont il serait opportun de redécouvrir le caractère universel, objectif et rationnel, afin que ne dominent pas des visions partielles et subjectives de l’homme, qui risquent d’ouvrir la voie à de nouvelles inégalités, injustices, discriminations et, à l’extrême, aussi à de nouvelles violences et de nouveaux abus » et le 8 janvier 2018 : « Les traditions de chaque peuple ne peuvent être évoquées comme un prétexte pour manquer au respect dû aux droits fondamentaux énoncés par la Déclaration universelle des droits humains ».
[2] « Devant l’idée d’une globalisation sphérique, qui nivelle les différences et dans laquelle les particularités semblent disparaître, il est facile que ré-émergent les nationalismes, tandis que la globalisation peut être aussi une opportunité, dès lors qu’elle est “polyédrique”, c’est-à-dire qu’elle favorise une tension positive entre l’identité de chacun des peuples et pays et la globalisation même, selon le principe que le tout est supérieur à la partie. »