Éthique sociale en Église n° 22 juillet 2020
Tout en restant prudents et dans la solidarité nous reprenons des rencontres, nous faisons des projets de découvertes pour l’été.
Un peu par obligation, nous reconnaissons que, pour changer d’air et d’horizon, il n’est pas nécessaire de se mettre sous pression et de multiplier les kilomètres. Pour profiter des beautés en proximité, la lenteur prend goût de liberté. La joie de la contemplation ne se confond pas avec la bougeotte !
Un point d’attention : la dignité humaine toujours menacée
Des événements récents, aux USA et chez nous, nous ont montré que le racisme menace toujours. Nous avons un rapport ambigu à l’autre, en raison de sa différence. Il y a bien le désir de rencontre, avec les découvertes que cela permet, mais aussi la peur d’être déstabilisé dans ses habitudes, la crainte d’être perturbé dans son identité. Ces tensions résultent aussi d’une histoire douloureuse marquée par l’esclavage et la colonisation. L’évocation de ces héritages ravive des émotions contrastées et pose une question majeure : comment des institutions, des cités, des nations ont-‐elles pu fonder leur richesse en dominant d’autres humains, au mépris de leur dignité élémentaire ? Pour tirer les leçons du passé, il ne suffit pas de déboulonner les statues de Colbert (instigateur du code noir) ou de Jules Ferry (promoteur du colonialisme) et de regarder nos aïeux comme des cyniques bornés. Il vaut mieux demeurer attentif aux actuelles résurgences de mentalités qui ouvrent la voie au mépris de l’autre humain, en raison de sa couleur de peau, de sa culture ou de sa religion. Souvent aussi l’attente de profits matériels jette un voile pudique sur des pratiques indignes. Si les vêtements sont produits à bas prix en Asie, si le travail des enfants en Afrique permet d’extraire les terres rares nécessaires à nos outils informatiques, on préfère trop souvent en ignorer le coût humain. La mondialisation devient lourde de violence lorsqu’elle oublie la solidarité et ne voit en l’humain qu’un instrument permettant d’optimiser les avantages de ceux qui se trouvent en position de force.
Deux alertes et des enjeux de solidarité
* Notre humanité compte actuellement 80 millions de réfugiés, dont la moitié à l’intérieur de leur propre pays. À noter une augmentation de 10 millions en un an, en raison de conflits (ex. en Syrie), de famine, de dérèglement climatique. Des observateurs craignent une aggravation de la situation en raison de la pandémie et de son impact sur les activités économiques, notamment « informelles ». Quelles solidarités peuvent être mises en œuvre à l’échelle mondiale ? Un beau chantier pour les décennies à venir ! * En France, 5,5 millions de personnes dépendent de l’aide alimentaire (cf. La Croix, 4-‐ 5 juillet 2020). Un chiffre surprenant et inquiétant. Heureusement, des millions de bénévoles s’activent dans le cadre d’associations humanitaires qui, souvent, associent les bénéficiaires à la mise en place des secours. Mais peut-‐on se satisfaire d’une telle situation de dépendance ? Comment faire pour que chacun puisse disposer de revenus lui permettant d’accéder au logement et à la nourriture ? C’est une décision politique qui relève de l’État et des collectivités territoriales. Chaque citoyen peut s’impliquer pour assurer un soutien minimum et pour organiser une solidarité effective. Celle-‐ci se décline dans le cadre d’engagements personnels qui sont importants bénéficiaires que pour les aidants. Mais la solidarité se joue aussi à l’échelon politique, afin que, grâce à l’organisation de la vie commune, nous prenions soin les uns des autres, à commencer par les plus fragiles.
Une nécessaire vigilance politique
Nous savons que le choc économique et social causé par la pandémie va mettre à l’épreuve notre vie commune. Ceux qui ont la capacité de peser sur les décisions publiques peuvent être tentés de vouloir obtenir des avantages pour leurs groupes particuliers au détriment du bien commun. Les applaudissements pour remercier celles et ceux qui ont fait face avec courage et créativité au défi sanitaire étaient précieux. Mais dans «l’après», nous risquons de retrouver les rapports de force cyniques et brutaux, oubliant que le mot fraternité brille sur nos édifices publics. Fraternité : la promesse d’une vie commune qui a du cœur ! Mais la « technostructure » estime trop souvent qu’elle sait mieux que le peuple ce qui est bon pour lui. Veillons à ce que la politique nous laisse déployer ce que nous portons de meilleur en nous afin que partage et solidarité ne restent pas des vœux pieux ! Certes, la laïcité est précieuse pour organiser la vie commune dans une société pluraliste, de manière à nous entretenir mutuellement. Mais à en faire une arme seulement défensive, on risque d’opposer les uns aux autres. Veillons à ce que les clichés populistes ne polluent pas le nécessaire débat public. Certes, le communautarisme peut être destructeur quand il cherche le seul bien symbolique ou matériel d’un groupe particulier au détriment de la solidarité commune. Mais, heureusement, chacun peut se nourrir des apports éthiques et spirituels puisés en diverses communautés afin de promouvoir des solidarités actives. Demeurons vigilants et contribuons à la vie politique afin de manifester la force et la beauté d’une fraternité toujours en chantier.
Une invitation à l’hospitalité mutuelle
Un exemple de partage d’une réflexion éthique enracinée dans une expérience de foi. Éric de Moulins-‐Beaufort, président de la conférence des évêques de France a rédigé une lettre suite à l’invitation du Président de la République (Ed. Bayard Cerf Mame). Extraits : « L’épidémie nous a fait toucher du doigt que chacun de nous était par son comportement responsable du sort de tous les autres. » (p. 52) « La peur, la crainte d’être contagieux pour les autres a été transmuée par beaucoup en désir de se rendre utile aux autres. » (p. 31) « On peut se demander où et comment un jeune Français apprend la responsabilité à l’égard de tous. (…) Comment la liberté intérieure, comment la vertu est-‐elle nourrie, affermie, encouragée ? » (p. 43) « La figure de l’humanité accomplie est celle de l’hospitalité mutuelle. » (p. 50) « L’État ne peut pas donner ce qu’il n’a pas : il peut organiser, réguler, confiner, mobiliser ; il ne peut pas rendre hospitalier qui veut rester enfermé chez lui et il n’a pas le droit moral d’empêcher une personne d’en accueillir une autre. (…) La seule vraie force vient de chaque être humain, de notre capacité à tous et à chacun à habiter notre corps, notre maison et à y donner librement l’hospitalité. » (p. 58-‐59) Le terme hôte désigne tant la personne qui accueille que celle qui est accueillie : grâce à l’hospitalité, l’enrichissement peut être mutuel. Oublions les peurs qui nous rendent méfiants et nous referment sur nous-‐mêmes ! Alors, malgré les nécessaires précautions, que cette période estivale nous permette des rencontres chaleureuses et heureusement surprenantes ! Le vœu le plus sincère est celui qu’on commence à réaliser !