Éthique sociale en Église n° 54 mars 2023
1 – Des signaux alarmants
Dans notre pays, l’augmentation de la demande d’aide alimentaire : + 30% en 2022. La dépendance pour se nourrir atteint la dignité humaine puisqu’il s’agit d’un besoin essentiel. C’est aussi le signe d’une pauvreté souvent cachée parce qu’elle paraît humiliante. La qualité de notre vie commune se trouve gravement questionnée par l’incapacité d’une partie de nos concitoyens à se nourrir correctement ou à disposer d’un abri. Heureusement, des associations s’efforcent de parer au plus pressé, mais au nom de la solidarité nationale il est nécessaire de trouver des réponses institutionnelles et durables.
La spéculation sur les biens alimentaires : un rapport de l’ONU estime que la spéculation est l’explication majeure d’une hausse des prix alimentaires qui amplifie l’extrême pauvreté. À titre d’exemple, 70% des opérations sur le marché du blé de la place de Paris proviennent de banques ou de fonds d’investissement, de manière opaque et rapide, signes d’actions spéculatives. Mais au bout du compte, c’est la vie des populations les plus démunies qui se trouve en cause. La recherche du profit maximal ne peut être la référence dominante : le politique doit jouer son rôle de régulateur.
La mort de migrants notamment en Méditerranée, parmi eux des Afghans, y compris des femmes et des enfants. Il y a le risque de s’habituer à de tels naufrages, de tolérer des décisions politiques qui, sciemment, mettent en danger des vies humaines. Un point positif : l’accueil de 115 000 réfugiés ukrainiens dans notre pays en 2022. Quand nous le voulons, nous savons faire.
2 – Une interrogation : qu’est-ce qui est vraiment désirable ?
Tout d’abord, un préjugé tenace : l’économie se caractériserait par la rareté. Mais en fait, pour la part la plus favorisée de notre commune humanité, il s’agit d’une économie de l’abondance, avec comme critère central une croissance censée résoudre tous les problèmes, ce qui suppose une stimulation permanente de la consommation (ex. par la publicité). On ne part plus des besoins fondamentaux, mais de la nécessité de « faire tourner la machine » de plus en plus vite, au point que le gaspillage se trouverait considéré comme une vertu. Le désir de bonheur, tout à fait louable, se trouve alors confondu avec une progression continue de la consommation.
-Deux questions sont laissées de côté. L’impact environnemental de telles pratiques en termes de pollution, d’épuisement des ressources, de dérèglement climatique ; ce qui veut dire que la course à la consommation induit un affaiblissement de la qualité de vie qui s’amplifiera au cours des années. Mais on note aussi une polarisation sur la concurrence qui pèse sur les plus fragiles, avec la souffrance et la faiblesse de revenus liés au travail ; pensons par exemple au coût social des vêtements à prix bas, mais aussi à la pression sur les revenus de certains agriculteurs.
-Trois remarques à propos d’expressions courantes. La « valeur travail » paraît bien abstraite quand elle ne prend pas en compte tant les conditions concrètes de travail que le rapport entre le revenu et le coût de la vie.
Quand le mot valeur apparaît sans autre précision, on pense immédiatement à la seule valeur monétaire, risquant d’oublier les dimensions sociale (l’heureuse fraternité) et écologique (les bienfaits de la nature).
-Il est intéressant d’évoquer la sobriété, pas seulement pour éviter des coupures d’électricité ! La sobriété permet d’élargir heureusement nos représentations d’un bonheur qui ne se réduit pas à la quantité d’objets dont on dispose. « Le bonheur requiert de savoir limiter certains besoins qui nous abrutissent, en nous rendant ainsi disponibles aux multiples possibilités qu’offre la vie. » François, Laudato si’, l’ensemble du § 223 mérite d’être lu ou relu.
3 – Des motifs de fierté
Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, intervenant devant les représentants de Justice et Paix Europe, a mis en avant trois raisons de se réjouir à propos de l’Union européenne. Elle promeut un modèle social unique au monde qui met l’accent sur la dignité humaine, prenant en compte les conditions de vie, misant sur la solidarité ; mais n’oublions pas la part de la population qui se trouve gravement en marge des bienfaits de la vie commune. L’UE promeut une vie sociale dans laquelle chacun peut vivre convenablement de son travail ; mais il ne faut pas oublier les personnes exclues durablement de l’emploi. Un autre signe de solidarité : la popularité de l’euro dans les pays qui l’ont adopté, ce qui permet de faire face ensemble aux défis (ex. crise du Covid). Notons la manière dont l’UE conjugue la prise en compte des différences (de langue, de culture, d’histoire…) et la volonté de tenir solidairement, d’avancer ensemble ; un modèle qui peut apparaître comme un signe positif en des régions du monde où les différences deviennent fatalement des causes de fragmentations, de divisions, de conflits.
4 – Une référence intéressante : la « richesse relationnelle »
La COMECE (Commission des Épiscopats de l’Union européenne) a répondu à une consultation de la Commission européenne sur l’économie sociale. En référence aux grands textes de l’Église catholique concernant les questions sociales, le terme richesse est associé à celui de relation. « L’économie sociale serait ainsi une économie qui place la relation au cœur de l’économie en privilégiant les relations qui créent de l’alliance, de l’appartenance commune, et du soin réciproque entre les vivants. » La notion de relation devient centrale, en associant la vie sociale comme relation entre les humains et la visée écologique comme relation des humains avec l’ensemble du vivant. On élargit ainsi grandement la notion de richesse ! Cette contribution a été travaillée sous la présidence de l’évêque français Antoine Hérouard et l’élaboration finale fut assurée par Elena Lasida. Celle-ci avait déjà précisé en quoi consiste une « conversion écologique » : « Il s’agit de sortir d’une relation utilitaire à l’égard du vivant pour tisser avec lui une relation de communion. Or si la communion n’est jamais évidente à tisser entre les humains, elle est encore plus difficile à imaginer avec des créatures non humaines. Mais c’est bien là qui réside le cœur de la conversion écologique. Nous avons l’habitude de penser l’environnement en terme de « ressource » à utiliser. La conversion écologique suppose de le penser avant tout en terme de relation. » Une bonne base pour envisager positivement l’avenir !
André Talbot
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