Éthique sociale en Église n°37 octobre 2021
1 – Vie sociale et tensions
* Qu’il y ait des différences de points de vue, quoi de plus normal ! Les intérêts des uns et des autres ne s’accordent pas spontanément : ce qui avantage certains peut s’opposer aux légitimes aspirations des autres ; ne rêvons pas d’un marché instaurateur de justice ! Et l’humain ne peut être réduit à un automate obsédé par la course aux intérêts particuliers. Il y a bien en nous le désir d’être reliés à nos semblables, de pouvoir compter sur la bienveillance des autres, bref, de faire communauté. Selon Durkheim, les individus s’associent non seulement pour protéger leurs intérêts, mais d’abord « pour le plaisir de communier, c’est-à-dire, en définitive, pour pouvoir mener ensemble une même vie morale. » Aujourd’hui, nous ne nous référons pas spontanément aux mêmes critères moraux, mais la vie commune suppose que nous partagions des repères fondamentaux.
* Nous avons la référence aux droits humains, rappelée dans le préambule de la Constitution, et la trilogie républicaine : liberté, égalité, fraternité. La vie commune, dans notre pays, n’est donc pas condamnée au flou, au bruit de polémiques malsaines. Mais il faut encore que les citoyens aient à cœur d’incarner concrètement ces perspectives humanistes dans leurs choix quotidiens. Veillons à ce que des propos démagogiques ne viennent pas saper ces principes qui fondent notre vie commune.
* Il y a des débats, réjouissons-nous, la démocratie assume les différences et permet qu’elles s’expriment. Mais toutes les opinions ne se valent pas : certaines affirmations peu fondées risquent de renier le socle de nos valeurs communes. Notamment quand la campagne électorale ouvre la voie à des polémiques qui flirtent avec la discrimination de certaines catégories de concitoyens. La violence des mots, sous la forme du mépris de l’autre, peut ouvrir la voie à des oppositions ravageuses. Il est grand temps de réhabiliter la belle vertu du respect : on peut débattre sans humilier l’adversaire.
* La démocratie suppose aussi que les citoyens soient associés à l’organisation de la cité. On peut s’inquiéter de l’usage fréquent du mot « pédagogie » dans la bouche de responsables politiques, or la pédagogie est « la science de l’éducation des enfants ». Les citoyens peuvent avoir une vision raisonnée des orientations à prendre ; ils ne sont pas des incapables, des gamins, tout juste bons à être manipulés par des stratégies com’ ! Un candidat aux élections doit-il dire «je ferai» ou «nous ferons ensemble» ?
2 – Entreprise et devoir de vigilance
Une loi de 2017 institue un « devoir de vigilance » des entreprises concernant la prévention des atteintes aux droits humains (ex. santé et sécurité des personnes) et à l’environnement. Ce devoir concerne les entreprises elles-mêmes ainsi que leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs. Mais certaines ne rendent aucun compte à ce propos et ne respectent donc pas la loi ; quant aux pouvoirs publics, ils se révèlent très peu actifs pour obtenir le respect de la loi. Aussi, des ONG ont lancé des actions en justice contre 6 entreprises qui considèrent la loi comme lettre morte.
Un signe que la vigilance doit être à l’ordre du jour : en 2020, 227 défenseurs de l’environnement ont été assassinés, le plus grand nombre en Amérique latine.
3 – Bonnes nouvelles
* Un projet des pouvoirs publics en vue d’ouvrir en permanence un contingent suffisant de places pour les personnes sans abri, le nombre de celles-ci étant évalué à 140 000. Ce programme serait établi en fonction des besoins locaux et en concertation avec les collectivités territoriales. Le but étant d’éviter un gâchis humain et financier lié au fait de ne raisonner qu’en termes d’hébergement d’urgence (notamment par grand froid). Cette politique d’aide permanente au profit des personnes à la rue comprendrait un réel accompagnement, de manière à faciliter l’accès à un vrai logement et à la réinsertion. Espérons que cette initiative ambitieuse ne tarde pas à se mettre en place et qu’elle survive aux polémiques qui empoisonnent les débats électoraux. De telles politiques demandent du temps et des concertations pour être mises en œuvre. Souhaitons que la persévérance devienne une vertu politique.
* On connaît le programme Erasmus qui émane de la Commission européenne et qui concerne notamment les étudiants ; ils peuvent aller dans un autre pays durant un semestre ou plus et voir leurs examens validés. On estime à 1 million le nombre de « bébés Erasmus« , d’enfants nés de parents de nationalités différentes. J’imagine l’étonnement ce ces bébés Erasmus à l’écoute de discours étroitement nationalistes ! Heureusement, l’amour se moque joyeusement des frontières : des jeunes peuvent croiser les richesses de cultures différentes. Heureusement, nos identités puisent à plusieurs sources et résistent aux replis tristounets, voire agressifs.
* La générosité des Français est en hausse : les dons en 2019 (derniers chiffres disponibles) se montent à 8,5 milliards d’euros, soit 1 milliard de plus qu’en 2015. Les dons émanant des particuliers représentent 59% de l’ensemble, l’autre part venant des entreprises, notamment sous forme de mécénat. Les bénéficiaires sont des organismes dédiés à la solidarité et à la santé (40%), puis les organismes à caractère cultuel (23%). Un point sombre cependant : le nombre de donateurs diminue de manière continue…
4 – Humanité en souffrance
* Selon l’ONU, en 2020, 768 millions de personnes se trouvent en situation de grave sous alimentation mettant leur vie en danger et 2,4 milliards en insécurité alimentaire. Une situation qui se dégrade depuis 6 ans, alors qu’on espérait résoudre ce problème dramatique. En cause : le changement climatique qui affecte les ressources alimentaires, la pandémie qui prive de revenus certaines populations fragiles, des politiques qui laissent croître les inégalités. Un exemple inquiétant : le Brésil.
* Dans le monde, 1,2 million de mineurs (enfants et jeunes) se trouvent en prison ou en centre de détention. Ces lieux d’incarcération ne permettent guère un parcours d’éducation et de réinsertion. Quand les mineurs se trouvent mêlés à d’autres populations, ils sont les premières victimes de mauvais traitements en tous genres.
5 – Véronique MARGRON, présidente de la conférence des religieux et religieuses de France, à propos du rapport Sauvé sur les abus sexuels en Église : «Cette réalité est terrifiante et plonge dans l’abîme. Derrière les chiffres, il y a des vies, des histoires singulières, brisées. (…) Alors que témoigner de l’Évangile est la seule finalité de l’Église, certains ont usé d’emprise en invoquant la charité, la volonté de Dieu ; on se sert du meilleur pour le transformer en œuvre de mort. (…) S’il incombe à notre génération de rendre justice aux victimes présentes de crimes passés, il lui incombe aussi de faire face à l‘avenir afin qu’un tel scandale ne puisse se reproduire.» La Croix du 6 octobre.
Père André Talbot
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