Lutter pour le climat : chaque année compte

L’évolution de la température à la surface de la Terre montre que nous en sommes à +1,1°C (+ 1,7 en France) et c’est le résultat des activités humaines, avec une aggravation des conséquences en France et dans le monde. L’évolution future du climat va dépendre de nos émissions de gaz à effet de serre, et l’évolution des risques liés au climat va dépendre des actions d’adaptation. Les enjeux de transformations, choisies ou subies, sont donc majeurs.

L’été 2022, signal d’alerte
L’été 2022 en France a été emblématique des conséquences du changement climatique ; il s’inscrit dans une augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes extrêmes chauds sur terre comme en mer, des sécheresses, propices aux incendies, et, en montagne, au recul de l’enneigement, des glaciers et au dégel des sols gelés.

Cet été difficile a été marqué par trois vagues de chaleur avec des records de précocité, de durée et d’intensité (plus de 40°C en Bretagne, nombre de jours chauds et de nuits tropicales dans certaines régions). Le mois de juillet a été le plus sec avec une situation de crise pour les cours d’eau et des réserves basses pour la production d’hydroélectricité. La température de surface en Méditerranée est encore 4°C plus chaude que d’habitude et a dépassé 30°C cet été, ce qui affecte la vie marine.

Un climat plus chaud augmente aussi la quantité de vapeur d’eau dans l’atmosphère et la fréquence des pluies extrêmes.

L’action pour le climat dans le monde
Dans le monde, l’action pour le climat monte en puissance, avec une trentaine de pays, dont la France, qui ont programmé une baisse régulière des émissions de gaz à effet de serre, des engagements de régions et de villes, une baisse des coûts et une augmentation des capacités pour l’électricité renouvelable et les véhicules électriques. Malgré cela, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont atteint un niveau record au cours de la dernière décennie (et sont reparties à la hausse après la forte baisse et le rebond liés à la pandémie de Covid-19).

Ce sont les émissions de CO2 (charbon, pétrole, gaz fossile et déforestation) et de méthane, tirées à la hausse par les fuites de gaz, l’élevage de ruminants qui pèsent le plus sur l’augmentation de l’effet de serre. D’où qu’elles viennent, ces émissions de gaz à effet de serre entraînent une accumulation de chaleur.

Les pays qui se sont industrialisés plus tôt ont une lourde responsabilité historique sur le cumul des émissions (la France est dans le top 10 pour cela). L’empreinte carbone d’une personne en France est d’environ 9 tonnes par an, largement au-dessus de la moyenne mondiale (avec environ 40 % liés aux importations). Les zones urbaines pèsent pour 70 % des émissions mondiales. Dans le monde, 10 % des personnes émettent 40 % des gaz à effet de serre mondiales, tandis que les 50 % les plus pauvres sont responsables de moins de 15 % des émissions, et ils sont souvent particulièrement vulnérables aux impacts climatiques.

Une rupture inédite et des conséquences palpables
Nous vivons une rupture profonde (inédite depuis plus de 2 millions d’années pour le CO2). L’accumulation de chaleur qui en résulte entraîne des changements rapides, généralisés et qui s’intensifient.

Le réchauffement conduit à un recul généralisé de ce qui est enneigé et englacé (la cryosphère) : dégel des sols gelés, recul du manteau neigeux, de la glace de mer autour de l’Arctique, recul généralisé des glaciers, inédit sur plus de 2000 ans, et perte de glace du Groenland et de l’Antarctique multipliée par 4 depuis 30 ans.

L’océan accumule près de 90 % de la chaleur supplémentaire qui ne part plus vers l’espace, ce qui contribue, avec la fonte des glaces continentales, à une montée du niveau de la mer qui accélère aussi une rupture par rapport aux derniers 3000 ans.

L’océan et la végétation captent environ la moitié chaque année de nos rejets de CO2. La moitié des espèces étudiées sur terre comme en mer est contrainte à se déplacer, et on observe une dégradation d’écosystèmes, comme les coraux tropicaux et les forêts. Le potentiel de prises de pêche a déjà diminué dans les régions tropicales.

Pour chaque degré de plus, l’air peut contenir 7 % d’humidité en plus, ce qui exacerbe l’intensité des pluies extrêmes. Dans le sud-est de la France, les records de pluies ont augmenté de 20 % depuis les années 1960. Les extrêmes chauds et le ruissellement sont amplifiés par l’urbanisation. La montée du niveau de la mer augmente le risque d’inondations composites lors des tempêtes (pluies extrêmes et submersion marine).

Les conditions propices aux incendies s’intensifient et s’élargissent (saison plus longue, régions nouvelles, intensité). L’une des conséquences de l’intensification des sécheresses concerne environ 10 millions de maisons, en France, via le retrait-gonflement des sols argileux. Le stress thermique et hydrique affecte les rendements agricoles et les forêts.

Que prévoyait l’accord de Paris ?
L’ensemble des pays du monde s’est engagé, dans l’Accord de Paris sur le climat (en 2015), à limiter le réchauffement planétaire sous 2°C avec l’aspiration à le limiter à 1,5°C. La marge de manœuvre pour limiter le réchauffement à 1,5°C correspond à environ 500 milliards de tonnes de CO2, ce qui est à comparer à l’ampleur des émissions annuelles (plus de 40 milliards de tonnes) et aux émissions attendues des infrastructures fossiles existantes et prévues (centrales thermiques) si elles sont utilisées tout au long de leur durée de vie initialement prévue.

L’enjeu n’est donc pas l’inertie du climat (pour le réchauffement de surface), mais l’inertie des infrastructures existantes et la capacité à réorienter très rapidement les investissements et les choix d’infrastructures.

Dans tous les scénarios examinés, il faut s’attendre à atteindre +1,5°C dans les prochains 20 ans, et il est essentiel de s’y préparer pour limiter les risques et aider les plus fragiles à le faire.

La poursuite des politiques publiques actuellement mises en œuvre dans le monde conduirait à dépasser 2°C d’ici à 2050. La réponse du climat serait de l’ordre de 2,1 à 3.5°C en fin de siècle, et le climat continuerait à dériver, tant que les émissions de CO2 ne seraient pas à zéro (net).

En cas d’action immédiate permettant de diminuer fortement ou très fortement les rejets de gaz à effet de serre, le réchauffement pourrait être stabilisé sous 2°C, voire proche de 1,5°C dans la seconde moitié de ce siècle.

Se préparer et s’adapter
Il est donc essentiel de se préparer à faire face à des événements plus intenses, plus fréquents, affectant de nouvelles régions, à des moments différents de l’année, et à des combinaisons inédites d’événements extrêmes.

Pour un pic de réchauffement de 2°C, la montée du niveau de la mer serait de 2 à 6 mètres d’ici 2000 ans ; pour 3°C, ce serait de 4 à 10 mètres : une motivation à agir pour les littoraux que nous voulons préserver.

Une source majeure d’incertitude porte sur la déstabilisation de secteurs de l’Antarctique ; si ces écoulements sont déclenchés, cela pourrait encore ajouter à l’ampleur de la montée du niveau de la mer au cours de ce siècle et des suivants.

La montée des eaux entraîne aussi des effets d’intrusion d’eau salée, et provoque une érosion des côtes sableuses et des falaises meubles, qui fait reculer le trait de côte. La France (îles et métropole) est particulièrement exposée à ces multiples conséquences et il s’agit d’une course contre la montre pour les littoraux, du fait du temps de planification et de mise en œuvre, des limites et de la durée de vie des options de réponses.

Seul le fait de ne plus construire ou de planifier un repli stratégique permet d’éviter les risques ; les autres réponses (ouvrages en dur, approches fondées sur les écosystèmes ou sédiments côtiers) ne font que les retarder.

Mais les options aujourd’hui faisables et efficaces, avec de nombreux bénéfices, perdent en efficacité dans un monde plus chaud.

Les flux financiers sont insuffisants pour l’adaptation, notamment pour les personnes et régions hautement vulnérables.

Pour garder une marge de manœuvre et davantage d’options d’adaptation ouvertes, limiter le niveau de réchauffement est donc fondamental, et pour cela, chaque année compte.

Des leviers d’action
Les engagements des différents pays, réactualisés avant la COP26, s’ils étaient mis en œuvre d’ici à 2030, impliqueraient une légère diminution des émissions mondiales de gaz à effet de serre, un effort largement insuffisant par rapport aux trajectoires permettant de limiter le réchauffement sous 2°C, voire à un niveau proche de 1,5°C. Pour y contribuer, la France doit (et peut) doubler son rythme de baisse d’émissions de gaz à effet de serre.

Il existe un ensemble de leviers d’action, à des coûts abordables, dans chaque secteur et du côté de la demande, permettant de réduire de moitié, voire davantage, les émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici à 2030.

Les enjeux, pour les années à venir, sont d’enclencher des transformations structurelles, en mettant l’accent sur la soutenabilité (production, consommation, qualité de vie, qualité de l’air, santé).

Les besoins d’investissements sont importants et sont évalués de 0,05 à 0,1 % du PIB mondial chaque année. Le coût de l’inaction est clairement supérieur au coût des investissements pour construire une économie bas carbone Les bénéfices, par exemple, en matière de qualité de l’air et de dépenses évitées de santé publique peuvent être supérieurs aux investissements.

Chaque décision compte et peut, soit accentuer les vulnérabilités, soit engager des transformations profondes, dans tous les domaines, en tenant compte des enjeux d’équité et de transitions justes. L’action pour le climat ne doit pas être du ressort des scientifiques, ou des plus jeunes, elle doit augmenter avec le niveau de responsabilités, et les décideurs politiques ont des leviers d’action essentiels.

Il reste une étroite fenêtre d’opportunité pour limiter la casse, mais elle se referme rapidement.