Remets-nous nos dettes comme nous remettons à ceux qui nous doivent

Partons d’un constat : les dettes, publiques et privées, ont atteint des niveaux impayables.

On peut avancer des chiffres, les contester ou élaborer de nouveaux et savants agrégats comptables. Compte tenu des montants, le constat global restera le même pour les générations futures. Les politiques publiques sont sous l’influence de ces dettes. La question financière est au cœur des politiques des Etats et de leurs tentatives de sortie de crise.

Que dit la rumeur ?

On paiera :

  • Grâce au retour de la croissance. Mais chacun se doute bien que les taux de croissance atteints dans les années d’après-guerre ne se reverront plus en Occident, et que l’avenir de la planète suppose plutôt l’abandon ou l’affaiblissement de « l’occidental way of life ».
  • Grâce aux recettes et aux impôts. On va les augmenter. On va faire revenir les contribuables qui s’échappent vers les paradis fiscaux. Mais, d’une part, il est difficile de tondre le chômeur  – disons plutôt que la baisse de la consommation réduit les recettes du fait de la baisse des revenus. Et d’autre part, la course au refus de l’impôt se généralise – disons plutôt que la maximisation fiscale s’affine.
  • Grâce à la diminution des dépenses. En transformant les dettes financières en dettes sociales, en comprimant les services publics pour payer les dettes des Etats. En ne respectant plus, ou moins, les engagements correspondant aux stocks d’épargne obligatoires : caisses de retraites, d’assurances, de Sécurité sociale. Non seulement l’Etat-providence rétrécit, mais les sécurités économiques au sens large (les droits fondamentaux) sont remplacées par le risque permanent : on précarise, on diminue ou supprime le salariat, pour que chacun entre dans des revenus-statuts d’« indépendants » ; on peut aussi faire payer pour les services « publics ». « Allez les jeunes, empruntez pour vos études ! Allez les inquiets, payez pour votre sécurité, pour votre protection ! »
  • Grâce à l’autorégulation exigeante promue par ceux qui profitent de la situation.

Quelle est la perspective ?  Avec un mélange de tout cela, les intérêts  pourraient être payés mais le montant du capital ne baissera pas significativement.

 

Alors : On ne paiera pas ?

  • Grâce à l’inflation et à la planche à billets que les Etats font tourner. Ils remonétarisent ensuite sans scrupules les établissements financiers qui rachètent alors des dettes étatiques.
  • Grâce à la sortie de l’euro. Et tant pis si l’Europe coule avec ! En 2014  verrons-nous des élections anti-européennes?
  • Grâce à « la crise menant à la guerre », dans un scénario qui reproduirait « les suites de la crise de 1929 » ? Corrélons les dettes et les dépenses de défense : les mêmes Etats sont concernés.

D’ailleurs, pourquoi avoir confiance dans le dollar ? Parce que, derrière, il y a 12 porte-avions! La confiance dans une monnaie repose aussi sur les forces de son émetteur, le « seigneuriage »[*] des Etats-Unis en l’occurrence.

Il existe un rempart contre le passage de la crise à la guerre: si la prédation financière a besoin des ours – les Etats – pour garder les abeilles – les producteurs -, les algorithmes qui la gèrent peinent à discerner les profits potentiels d’un combat entre gardiens! Les grandes institutions financières privées qui dominent « le marché financier » n’ont sans doute pas  intérêt à ce que les ours-gardiens entrent en conflit violent. Donc le passage de la crise à la guerre est improbable

Mais les oppositions entre Etats suscitées par le sauve-qui-peut, ou des réactions sociales déstabilisantes – les « marchés » en ont horreur – sont susceptibles de jouer le rôle de « l’assassinat de l’archiduc »: déclencher des réactions aussi automatiques et peu contrôlables que les alliances militaires de l’été 1914. 

Repères

Voir le document de Justice et Paix de juin 2013 :

Postures chrétiennes face à la finance,

Il cite le pape François dans son discours aux ambassadeurs de quatre pays, dont deux paradis fiscaux, le 16 mai 2013 :

« Alors que le revenu d’une minorité s’accroît de manière exponentielle, celui de la majorité s’affaiblit. Ce déséquilibre provient d’idéologies promotrices de l’autonomie absolue des marchés et de la spéculation financière, niant ainsi le droit de contrôle aux États chargés pourtant de pourvoir au bien commun. S’installe une nouvelle tyrannie invisible, parfois virtuelle, qui impose unilatéralement, et sans recours possible, ses lois et ses règles. En outre, l’endettement et le crédit éloignent les pays de leur économie réelle, et les citoyens de leur pouvoir d’achat réel. A cela s’ajoute, si besoin en est, une corruption tentaculaire et une évasion fiscale égoïste qui ont pris des dimensions mondiales. »

[*] Féodalité: tout droit d’un seigneur dont celui de battre monnaie et d’en tirer profit. Économie : situation d’un pays dont la monnaie est utilisée dans les échanges internationaux ; pratique consistant à donner à une monnaie plus de valeur qu’elle n’en a intrinsèquement (dictionnaire encyclopédique Larousse, 1989)