Valeurs démocratiques, valeurs chrétiennes : où êtes-vous ?

Du Cauchemar de Darwin au Syndrome du Titanic, d’Inside Job à Solutions locales pour un désordre global,  nombreux sont les documentaires qui ont attiré notre attention, ces dernières années, sur les manifestations et les effets d’une crise planétaire et multiforme.

Nous traversons une crise économique, écologique, sociale ; c’est aussi une crise morale et spirituelle. Face au creusement des inégalités, nous  semblons nous laisser aller au gré des repères mouvants qui s’imposent à nous. Une accoutumance aux injustices dont Benoit XVI nous a rappelé la gravité: « Ce qui est stupéfiant, c’est la capacité de sélectionner arbitrairement ce qui, aujourd’hui, est proposé comme digne de respect. Prompts à se scandaliser pour des questions marginales, beaucoup semblent tolérer des injustices inouïes. Tandis que les pauvres du monde frappent aux portes de l’opulence, le monde riche risque de ne plus entendre les coups frappés à sa porte, sa conscience étant désormais incapable de reconnaître l’humain. » (Caritas in Veritate, n°75) Cette crise du sens est une crise des valeurs : non pas parce que nous n’en aurions plus, mais parce que nous  ne savons plus comment les mobiliser, les ordonner, les traduire en actes, les vivre.

Remarquons tout d’abord l’ambiguïté de la notion de valeur : créer de la valeur est devenu synonyme, dans les entreprises, d’une création de richesse monétaire équivalente au retour sur investissement le plus élevé possible pour les actionnaires.  Par ailleurs, la mobilisation des valeurs peut aller de pair avec une perspective individualiste et autocentrée, et peut servir à justifier des comportements n’ayant aucune référence à une  visée éthique: je choisis cela, je fais telle dépense, j’ai telle activité, « parce que je le vaux bien ! » Si la valeur est ce à quoi j’accorde de l’importance, du prix, du poids, une valeur ne vaut, « éthiquement » parlant, que si elle est orientée dans une certaine direction – vers le bien commun, vers la dignité reconnue de chacun.

Par ailleurs, les valeurs, dans l’existence humaine, n’existent pas indépendamment les unes des autres. Le grand défi, c’est de les conjuguer sans faire le sacrifice d’aucune d’entre elles , mais en en disposant en vue d’une fin qui est celle du développement de tous. Comme le souligne Simone Weil, le grand enjeu est bien celui d’une forme de détachement à vivre, à l’égard de toutes les valeurs comme des idoles possibles, de façon à s’engager pleinement dans une vie d’équilibre instable, mais pleine de sens, orientée vers la construction de sociétés justes.

Dans ce cadre, et en pleine période électorale, revisitons nos valeurs républicaines et chrétiennes : liberté, égalité, fraternité.

  • La liberté pourrait être redécouverte comme autonomie et créativité relationnelles et responsabilité élargie à l’égard des conséquences de chacun de nos choix sur nos écosystèmes naturels et humains.
  • L’égalité pourrait être la lutte passionnée contre les inégalités injustes qui détruisent le tissu social et créent des ghettos.
  • La fraternité pourrait être la culture inventive de l’amour et de la solidarité vis-à-vis des prochains proches et lointains.

Ce sont les conditions d’une démocratie vivante qui sont entre nos mains. Rappelons que tous les droits sociaux que nous considérons comme acquis et comme dus ont fait l’objet d’actions collectives. Les Evêques de France ont proposé des critères pour les élections et pour instaurer une dynamique citoyenne [1]: défense de la vie et du plus vulnérable, recherche d’une économie juste et durable, éducation des jeunes et apprentissage d’un vivre-ensemble dans des sociétés plurielles, modification de nos modes de vie.

Saurons-nous, loin des étiquettes  convenues, laisser l’Esprit nous souffler les choix prophétiques à faire,  pour la mise en œuvre d’un grand plan de transition écologique et énergétique, pour vivre une  « tempérance solidaire »?

REPERES

 

Simone Weil sur la notion de valeur ; les défis du double mouvement du détachement et de l’enracinement

« La valeur est quelque chose qui a rapport non seulement à la connaissance, mais à la sensibilité et à l’action ; il n’y a pas de réflexion philosophique sans une transformation essentielle dans la sensibilité et dans la pratique de la vie, transformation qui a une égale portée à l’égard des circonstances les plus ordinaires et les plus tragiques de la vie. La valeur n’étant qu’une orientation de l’âme, poser une valeur et s’orienter vers elle ne sont qu’une seule et même chose. … La pensée détachée a pour objet l’établissement d’une hiérarchie vraie entre les valeurs, toutes les valeurs ; elle a pour objet une manière de vivre, une meilleure vie, non pas ailleurs, mais en ce monde et tout de suite, car les valeurs mises en ordre sont des valeurs de ce monde.»

Simone Weil, Quelques réflexions autour de la notion de valeur, Œuvres, Quarto Gallimard, p.121-123-124.

[1] Cf. Conférence des évêques de France, « Elections : un vote pour quelle société ? », message du conseil permanent à l’approche des élections, octobre 2011,  http://www.eglise.catholique.fr/getFile.php?ID=18950