Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Face au départ d’un ami, on est toujours tenté par le silence et le repli. Pourtant je trouve dans ce qui va constituer le souvenir de Michel, une raison de dire.

Il y a cinquante ans à Sciences Po, il présentait déjà cette discrète mais forte affirmation des vérités auxquelles il croyait. Dans les tumultes de l’époque, il maintenait un soutien raisonné mais résolu, faisant naître par sa discrétion et l’élégance de son expression plus de partage que bien des cris.

Cette attitude s’incarnait dans sa vie professionnelle où, au service des parlementaires, il allait pendant des décennies leur fournir les données, les arguments opposés qui leur permettaient ensuite de construire et d’étayer leurs positions, sans que les sources réelles de leurs phrases n’apparaissent. Position ingrate, tempérée peut-être par le sentiment que dans tel ou tel discours politique, ce en quoi il croyait était exposé. Il se peut d’ailleurs que son appétence pour les langues vivantes, qu’il se sera plu à pratiquer sans cesse, comme son attirance pour les zones frontalières, notamment celle des plats pays, aient traduit son goût de l’autre et compensé les silences professionnels.

Est-ce à l’occasion des rares dialogues sur des événements parallèles de nos vies que je lui ai parlé de Justice et Paix ? En tout cas, je suis sûr qu’il a trouvé dans notre groupe, et dans quelques autres instances, un lieu pour exprimer enfin librement ce qu’il pensait et surtout ce sur quoi il avait si longtemps réfléchi. La recherche de la paix et de la sécurité, qu’il incarnait dans une progression du droit international, passait particulièrement par une critique pointue du nucléaire militaire et le combat pour sa progressive élimination. Il rejoignant là une longue position de l’Église, souvent méconnue, voire dissimulée. Il la défendait dans des articles, des livres et des interventions en France et en Europe dont sa rigueur et sa retenue augmentaient la force. Ce fut, enfin, un plaisir de dire, dont les maladies l’ont si vite privé.

Aujourd’hui il est parti. Mais pour nous, et avec lui, tout n’est pas dit.

André Brigot, ancien membre de JPF

 

Pour la troisième fois cette année JPF est en deuil ! Michel Drain nous a quittés le 19 juin dernier.

Michel est né le 15 avril 1948. Après une licence d’anglais puis d’histoire, il a été diplômé de Sciences-Po en 1970 et a fait un DESS de relations et affaires internationales. Il a passé le concours d’administrateur de l’Assemblée Nationale en 1974 et a travaillé au service des affaires européennes, puis comme conseiller à la commission des finances, chef du secrétariat de la commission défense et enfin directeur adjoint du service des études.

Spécialiste des questions stratégiques, du désarmement nucléaire et des relations franco-allemandes, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI), Michel parlait l’anglais, l’allemand, le russe et le néerlandais. Son manuel « Relations internationales », qui a vu Cécile Dubernet le rejoindre pour sa 25e édition, est devenu un classique pour les étudiants et les chercheurs.

Michel a commencé à travailler pour Justice et Paix France en 2001, en rejoignant André Brigot dans les groupes de travail. Entre 2011 et aujourd’hui, il a rédigé pour la Lettre 36 articles : 14 sur l’Europe (les derniers sont parus en mars et avril), 5 sur la paix et la sécurité, 17 sur l’arme nucléaire (dont 4 sur la position du pape François). Vous retrouverez la majorité d’entre eux sur le site de JPF. En les relisant, je reste frappé par la clarté de son écriture et son souci pédagogique. Mais c’était également le cas pour toutes ses prises de parole.

Michel a animé deux colloques pour JPF : « Désarmement nucléaire » et « Responsabilité de protéger les populations ». Il a participé à plusieurs AG de Justice et Paix Europe (Athènes, Berlin, Taizé). Il faisait partie du groupe de travail sur les questions internationales de la COMECE. Il a organisé et animé le colloque de Paris pour le Conseil sur les approches chrétiennes de la défense et du désarmement. Il était responsable du groupe Paix et Sécurité de JPF et membre du bureau.

Il a co-écrit le livre « La Paix sans la bombe » ainsi que « L’illusion nucléaire ».

Michel était un pilier de notre commission, nous lui faisions une totale confiance dans ses propos et ses jugements sur les questions qu’il traitait. À Pascale sa femme et à ses enfants, toute notre tristesse, nos remerciements et nos prières.

Marc de Montalembert, membre de JPF

 

Son approche de la responsabilité

Est responsable, celui qui prend en charge… En 1896, on confie à celui qui est alors le trappiste Marie-Albéric la formation de deux oblats de 18 ans environ, hébergés à l’orphelinat de la Trappe. L’un est syrien catholique maronite, l’autre arménien, issu d’une famille protestante, mais converti au catholicisme après sa venue à l’orphelinat. Ayant demandé à entrer dans l’Ordre, ils sont reçus d’abord à titre d’oblats, avant d’être novices. Pour eux, et pour la première fois de sa vie, Charles de Foucauld va exercer un ministère de formateur. Depuis sa conversion en 1886, plein de charité fraternelle pour les autres, il n’avait pas de responsabilité ecclésiale ; là, il reçoit une « charge pastorale ». Il écrit à sa cousine cette nouveauté, et son souci : « C’est une grosse occupation comme une grave responsabilité, un assez grand changement. »

Quelques mois plus tard, le P. Abbé de Staouëli lui demandera de fortifier la vocation assez fragile du P. Jérôme, récent profès, en l’aidant durant ses études et son service militaire.

Alors qu’il craint devant ces charges, l’abbé Huvelin, son père spirituel, est, lui, satisfait : « Avoir à diriger des âmes, cela fait sentir ce qu’on est, si incapable ; et cela porte à demander beaucoup. » Pour le P. Jérôme, même invitation à accepter : « Faites plaisir au P. Abbé de Staouëli au sujet de ce qu’il vous demande pour ce jeune homme… C’est très humiliant de passer pour ce qu’on n’est pas, et je ne vois pas de présomption à donner cette petite direction, mais je vois là au contraire un exercice d’humilité. »

Charles de Foucauld envisageait aussi sous l’aspect de « responsabilité » ses relations avec certains de ses correspondants. Ce qu’il a reçu comme grâce de lumière, il se considère tenu de le présenter à des amis qui n’en ont pas bénéficié. Avec des lettres régulières, adaptées à chacun, il exprime son souci de les élever humainement et spirituellement : il parle à Duveyrier de la foi catholique en déroulant son propre cheminement ; avec de Castries, il part de ce qui constitue le centre d’intérêt de cet islamologue, et lui avoue comment avant sa propre conversion il a admiré l’Islam.

Dans ces responsabilités assumées, pour être conforme à ses paroles, le voici invité à l’authenticité intime. Sa méthode, avec les deux oblats, avec le P. Jérôme, avec ses amis incroyants ou indifférents, consiste à communiquer dans la vérité de l’humilité ses propres pensées, ses élans spirituels, finalement livrer son être le plus intérieur, non pas dans une exhortation mondaine faite comme de l’extérieur, mais dans une communication sincère de sa foi et de son amour pour Dieu. C’est une forme d’évangélisation qu’il adopte volontiers.

Lors de ses retraites d’ordination, il endossera une nouvelle et large responsabilité en se vouant à ces « frères de Jésus qui n’ont jamais entendu parler de l’Évangile, de l’histoire de Jésus, des vertus évangéliques, de la douceur du sein maternel de l’Église » et il précise : « C’est à cela que me poussent l’Évangile, l’attrait, mon directeur ». « À cela », c’est-à-dire à cette prise en charge d’apôtre. Désormais, il vouera sa vie au monde musulman.

Dans ses premiers contacts à Beni Abbès, il affronte la grave pratique de l’esclavage, pourtant interdit par la France, mais maintenu dans cette région par les petits chefs locaux. Il veut mettre les autorités devant leur responsabilité pour que cesse cette « infamie » comme il la nomme à son ami de Castries, à qui il disait également : « Aucune raison économique ou politique ne peut permettre de laisser subsister une telle immoralité, une telle injustice. »

Quant au devoir missionnaire, Charles de Foucauld le présente à partir de la responsabilité des parents envers leurs enfants. Conformément à son époque, après le foyer familial chargé de l’éducation des enfants, cette responsabilité vise ensuite la famille élargie, puis la patrie qui est une grande famille, puis les colonies qui sont une extension de la patrie. Il analyse ainsi en termes de responsabilité les devoirs d’une nation chrétienne comme la France qui est en train de bâtir un empire colonial. Plus loin encore, existent ces peuples dont les pays chrétiens ne s’occupent pas et qui sont comme des enfants adoptés ou comme des handicapés dans une famille, auxquels les parents, et les frères et sœurs apportent une plus grande affection et une attention toute particulière. Il appelle ces peuples : « délaissés », « les plus perdus », « les plus malades ».

Pour le contact et la présence dans ces périphéries, et y aider les missionnaires en titre, Charles de Foucauld se réfère volontiers au couple de Priscille et Aquila, auxiliaires de St Paul dans ses voyages missionnaires. Les laïcs, pense-t-il, sont évangélisateurs autant que les prêtres, et sont souvent mieux placés pour se mêler aux gens.

Il regarde l’organisation de la mission de l’Église dans les pays de mission en partant des responsabilités : au Sahara, ce sont les Pères blancs qui ont reçu la charge d’implanter l’Église avec le Préfet apostolique de Ghardaïa comme responsable. Lui-même, prêtre libre, se considère comme un auxiliaire chargé de préparer le terrain avant l’arrivée des semeurs et des moissonneurs. Ainsi l’évangélisation se fait en coresponsabilité, en Église.

Avec cette idée de responsabilité, on va donc assez loin dans les conceptions missionnaires de Charles de Foucauld. Être responsable appelle urgence, obligation, engagement fort et total. Il dira qu’il est prêt à y consacrer sa vie : le 27 février 1903, à Mgr Guérin qui lui dit de veiller sur sa santé parce qu’il le voit destiné au Maroc, il écrira : « Vous me demandez si je suis prêt à aller ailleurs qu’à Beni Abbès pour l’extension du Saint Évangile : je suis prêt pour cela à aller au bout du monde et à vivre jusqu’au jugement dernier. »

Cette responsabilité s’exerce dans la proximité

Le sous-lieutenant Foucauld était déjà proche de ses hommes. Lors d’opérations en sud-oranais, il se signalait par des gestes d’attention pour ses soldats : « Il savait se faire aimer, celui-là, mais c’est qu’il aimait aussi le troupier ! », remarquera l’un d’eux.

En 1916, Charles de Foucauld proposera aux catholiques de France trois pistes missionnaires : se convertir soi-même ; convertir ceux qui nous entourent ; aider ceux qui travaillent à la conversion des infidèles. La conversion du prochain le plus proche est bien mise en évidence.

En quête d’un moyen concret, il évoque celui de Jésus : « Il s’est mêlé à nous, a vécu avec nous dans le contact le plus familier et le plus étroit, de l’Annonciation à l’Ascension. »

Se montrer proche, c’est devenir ami.

 L’amitié, manifestation de la bonté, commence par l’entrée en contact. Dans les conseils de Charles de Foucauld, le mot contact revient souvent avec des qualificatifs de vérité et d’intensité : familier, étroit, bienfaisant, intime, assidu, affectueux, etc. Le premier contact, suivi de beaucoup d’autres, aboutit à l’amitié et à une proximité de plus en plus réelle et sûre.

Fratelli tutti (3 octobre 2020)
286. … Mais je voudrais terminer en rappelant une autre personne à la foi profonde qui, grâce à son expérience intense de Dieu, a fait un cheminement de transformation jusqu’à se sentir le frère de tous les hommes et femmes. Il s’agit du bienheureux Charles de Foucauld.
287. Il a orienté le désir du don total de sa personne à Dieu vers l’identification avec les derniers, les abandonnés, au fond du désert africain. Il exprimait dans ce contexte son aspiration de sentir tout être humain comme un frère ou une sœur [Méditations sur le Notre Père (23 janvier 1897)] et il demandait à un ami : « Priez Dieu pour que je sois vraiment le frère de toutes les âmes… » [Lettre à Henry de Castries (29 novembre 1901)]. Il voulait en définitive être « le frère universel » [Lettre à Madame de Bondy (7 janvier 1902)]. Mais c’est seulement en s’identifiant avec les derniers qu’il est parvenu à devenir le frère de tous. Que Dieu inspire ce rêve à chacun d’entre nous. Amen !

Pour lui, l’évangélisation n’est pas affaire de technique relationnelle, ou de tactique avec résultat automatique, mais elle demande du temps. Concernant les musulmans, il parle d’années, et même « de siècles ». D’où son conseil de ne jamais se décourager. D’où aussi son conseil de patience, car la personne à évangéliser a beaucoup de chemin à parcourir, surtout au début du cheminement, quand il s’agit de la préparation du terrain, avant l’ensemencement et la moisson. Patience dans la confiance, en acceptant les gens comme ils sont, et comme Dieu les voit.

Il faut surtout donner à chacun ce qu’il est capable de recevoir : « Prêcher Jésus aux Touaregs, je ne crois pas que Jésus le veuille, ni de moi, ni de personne. Ce serait le moyen de retarder, non d’avancer, leur conversion. Cela les mettrait en défiance, les éloignerait, loin de les rapprocher… Il faut y aller très prudemment, doucement, les connaître, nous faire d’eux des amis, et puis après, petit à petit, on pourra aller plus loin avec quelques âmes privilégiées qui, elles, attireront les autres. »

À la confrérie en formation, Charles de Foucauld écrivait : « Qu’ils cherchent à porter au bien, moins par la parole que par l’exemple. Qu’ils soient bons pour tous. C’est leur bonté qui, les faisant aimer, fera suivre leur exemple. » L’évangélisation par la proximité et le contact, par la douceur et l’affection, telle est la ligne d’apostolat qui aura ses préférences. L’exemple d’une vie rayonnante donnera par attraction, par contagion, par imprégnation, l’envie d’être chrétien.

Et que ce soit en douceur, non pas en militant ! Ce terme, qui pourtant veut dire effort ou persévérance, peut surprendre ; mais il est à l’adresse d’un correspondant qui faisait sans doute un peu trop de prosélytisme. Le prosélytisme serait violence faite à autrui ; il faut au contraire « être charitable, doux et humble », « être un frère tendre pour tous, pour amener petit à petit les âmes à Jésus en pratiquant la douceur de Jésus. »

Cette importance de la douceur, appelée aussi suavité, est notable chez lui. Après la suavité de Jésus, il a relevé celle de son « père », l’abbé Huvelin, qui a « une suavité incomparable », celle aussi de St Paul, qui lui apprend à « être tendre, chaud, à aimer passionnément les âmes, à rire avec ceux qui rient, à pleurer avec ceux qui pleurent, à être tout à tous, pour les gagner tous ».

Puissent ces perspectives inspirer les mentalités actuelles, et devenir lignes directrices pour le futur.

Pierre Sourisseau, Auteur de Charles de Foucauld (1858-1916), biographie, Salvator, 2016, 720 p.

 

 

1 – Lucidité et modestie. Au vu des dernières élections et de l’abstention.

* Les 2/3 des citoyens ne se sont pas déplacés pour aller voter. Un signal qui nous concerne tous, qui invite à un regard critique. L’abstention électorale ne concerne donc pas seulement des pays soumis à un pouvoir autoritaire. Restons modestes aussi parce qu’une nation développée comme la nôtre n’a pu assurer un service public mettant à disposition des électeurs les documents utiles pour un vote lucide. Quand les pouvoirs publics font preuve d’une telle légèreté, le citoyen a du mal à se motiver pour aller voter.

* On semble oublier ce choc de l’abstention, rêvant que la future élection présidentielle remette tout en ordre. Naïveté ! Nous risquons de succomber à une vision magique de l’élection et de la fonction présidentielles. La politique s’inscrit d’abord dans la proximité : évaluons donc à leur juste mesure les élections locales. On peut aussi s’inquiéter de la personnalisation excessive des débats, au détriment de programmes politiques qui prennent en compte la situation mondiale. Nous nous trouvons face à des défis majeurs en matière écologique, mais aussi avec la montée des pauvretés et l’augmentation des revenus des plus riches, sans oublier le poids croissant de pays qui ne font pas grand cas des droits humains. Face à de tels enjeux, les querelles de personnes paraissent ineptes, même si elles passionnent certains commentateurs.

* La formation de l’esprit citoyen se tisse d’abord au quotidien, parlons aussi des bonnes nouvelles. Des enfants et des jeunes qui s’engagent pour des gestes écologiques, pour réguler les tensions entre eux ; une hypermédiatisation des actes de violence ne rend pas compte de la situation réelle et oublie ces engagements de tous les jours. Il y a aussi tous les acteurs économiques qui modifient leurs pratiques, avec courage et intelligence, afin que notre maison commune devienne plus saine et plus solidaire. La démocratie se construit au quotidien grâce au développement d’un tel esprit citoyen et responsable.

* Encore un mot à propos des dernières élections. Une fois de plus, les annonces des sondages ont été démenties par le vote. Des commentaires qui laissent penser que tout est joué d’avance n’incitent guère à se déplacer. On affirme trop souvent : «  les Français veulent que… », alors que « l’opinion » mesurée à un moment ne correspond pas forcément aux choix réfléchis. Ne nous laissons pas impressionner par le discours pseudo scientifique qui accompagne les sondages : il y a aussi du « prêt à penser » !

 

2 – Alarme pour les plus pauvres

* La pandémie affecte gravement la vie des populations fragiles. Les vaccins arrivent difficilement dans les pays les plus pauvres tandis que les tensions économiques accentuent la misère. On estime à 155 millions le nombre de personnes qui souffrent de famine aiguë, ce qui signifie que leur survie est immédiatement en danger ; 55 pays sont concernés (ex. Madagascar) dont certains semblaient tirés d’affaire, exemple le Brésil ou l’Éthiopie ; en ce pays, la région du Tigré est particulièrement affectée, la famine peut être une arme de guerre. Pourquoi n’y a-t-il pas une mobilisation mondiale d’urgence ?

* Autre conséquence : le travail des enfants est en hausse, il concerne 160 millions (1 enfant sur 10), la moitié d’entre eux ont entre 5 et 11 ans.

* À la suite des objectifs  du millénaire pour le développement (OMD, de 2000 à 2015) qui avaient eu des effets positifs en impliquant les acteurs politiques, économiques et associatifs, les 17 objectifs pour un développement durable (ODD, 2015-2030) comportaient des projets ambitieux pour améliorer la situation des plus pauvres, ils ne sont actuellement pas tenus. La misère n’est pourtant pas une fatalité !

 

3 – Justice sociale et bien commun

* Nous retrouvons la politique et sa mission propre de mise en œuvre des solidarités. Celles-ci s’organisent d’abord au plan local, territorial et bien sûr national ; mais elles doivent aujourd’hui déborder les frontières. La pauvreté extrême représente une violence qui engendre d’autres violences. Il ne peut y avoir de paix en l’absence de solidarités effectives à tous les niveaux et de respect des droits humains fondamentaux.

* Un signal : la défenseure des droits en France et le président du comité consultatif national d’éthique (CCNE) ont publié un appel commun concernant les conditions de vie inhumaines de migrants, amplifiées par les expulsions des camps en vue de les rendre « invisibles ». Ils estiment que « nos grandes valeurs sont bafouées tous les jours en mettant gravement en cause la dignité humaine ». Avant de jouer les donneurs de leçon face au monde, commençons par nommer nos propres incohérences. Cet appel a été peu relayé par les médias, il questionne pourtant notre esprit civique.

* Les échéances électorales interrogent nos visions de l’humain. Si on le réduit à un individu en quête de ses seuls intérêts immédiats – vision réductrice largement répandue – à quoi bon s’engager pour un bien commun qui inclut les générations à venir, pour des solidarités qui débordent les frontières ? Le renouveau de l’esprit démocratique comprend donc une dimension culturelle et, osons le mot, éthique.

 

4 – Déploiement spirituel

Nous souffrons d’un individualisme doublé d’un matérialisme qui réduit le goût du bonheur à un appétit de possession d’objets. Nous valons mieux que cela ! Ne ratons pas les occasions de déployer notre désir d’une vie bonne sous le signe du partage. J’ai eu cette chance dans le cadre d’une rencontre à Salvert dont l’objet était clairement un partage spirituel. Salvert (www.salvert.org), un héritage basé sur une communauté religieuse qui comprend aujourd’hui des maisons d’accueil pour enfants, une pour femmes en difficulté et une pour mineurs étrangers ; mais aussi une école Montessori et une ferme bio.

Ce temps fort spirituel a permis une rencontre étonnante entre une trentaine de personnes d’origines diverses, d’âges différents, de convictions religieuses variées, sans oublier des fonctions professionnelles ou associatives diversifiées. La proposition d’un partage spirituel a permis des échanges sur la base d’un respect de la personne humaine en sa singularité, tout en prenant en compte la formation d’un esprit commun. Une telle reconnaissance mutuelle permet à chacun de déployer ce qu’il porte de meilleur en lui-même, au bénéfice de l’ensemble. Les témoignages évoquant des situations de souffrance, qui furent dépassées grâce à la confiance accordée, ont rappelé à chacun que ses fragilités ne sont pas un handicap absolu ; chaque personne peut grandir en se mettant au service des autres. Une telle expérience de partage spirituel favorise une créativité inventive, les actions entreprises se basent alors sur des attitudes nourries d’amour. La référence à l’amour n’est pas réservée à l’intime, elle peut être efficace d’un point de vue social : il s’agit de goûter la vie fraternelle en la servant concrètement.

Père André Talbot

Rendez-vous dans un mois pour le prochain numéro de # DIÈSE