Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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1 – Nous allons voter ! Enfin une bonne nouvelle !

Ces derniers mois, l’actualité la plus prégnante, parfois angoissante, avait trait à la pandémie. Les images en boucle d’écouvillons dans le nez, puis d’aiguilles plantées dans le bras, devenaient obsédantes et risquaient d’atténuer notre capacité à réfléchir. Il pourrait bien y avoir une victime collatérale du Covid : l’esprit démocratique.

Il n’est donc pas inutile de signaler que nous sommes appelés aux urnes les 20 et 27 juin prochains pour les élections départementales et régionales. Nous pouvons commencer par remercier celles et ceux qui viennent d’assumer un mandat d’élus ; même si nous ne sommes pas pleinement accordés aux décisions et orientations prises, nous ne devons pas oublier que les services publics ont été globalement assurés, grâce aux impulsions des élus. Merci également aux candidats pour les prochains scrutins ; ces personnes ont leur part de soucis personnels, familiaux, professionnels et elles donnent de leur temps pour se présenter aux suffrages de leurs concitoyens.

Il peut être utile de s’informer, notamment sur les compétences de ces instances intermédiaires que sont les conseils départementaux et régionaux. On peut regretter que nombre de commentateurs évoquent cette échéance électorale en pensant surtout à l’élection présidentielle de l’année prochaine et non aux décisions qui relèvent de ces instances. Parmi les diverses compétences, le département a la charge de l’action sociale envers les plus fragiles tandis que la région s’occupe de l’aménagement du territoire et l’environnement ; des questions importantes pour la qualité de notre vie commune sur lesquelles il y a vraiment de quoi débattre ! Prendre part à cette échéance démocratique, c’est aussi une manière de résister au centralisme et à la personnalisation excessive de l’action politique qui gangrènent notre vie commune.

 2 –  Vive la démocratie ! Précieuse, fragile…

Nous avons pu voir des images de foules qui manifestent et qui prennent des risques considérables face à des pouvoirs autoritaires et souvent corrompus, en Europe de l’Est, en Asie, en Afrique, en Amérique latine… De tels témoignages peuvent nous réveiller quand nous prenons un air de consommateur blasé face à l’avenir de la démocratie dans notre pays, en Europe.

Retenons deux atouts majeurs de la démocratie. C’est le système politique qui met au cœur le respect de la dignité humaine. Chacun peut faire valoir le droit à être reconnu comme une personne ; il faut donc veiller à ce que des lois de circonstance ne viennent pas entraver indûment les libertés, notamment celles des plus fragiles, des sans voix. Certains s’inquiètent à juste titre de voir des règles prises en situation d’urgence (attentats, pandémie) entrer dans le droit commun. Restons vigilants.

Mais cette vigilance nous concerne tous comme membres et acteurs de la société civile. Nous voyons la violence prendre le dessus quand les paroles ne sont plus des échanges mais des injures, quand les propos racistes ou xénophobes se répandent de manière insidieuse, sans oublier les cas extrêmes de passage à l’acte.

La démocratie est également mise à mal lorsque le complotisme devient monnaie courante ; sur ce point également, les réseaux sociaux peuvent répandre des rumeurs infondées qui à force d’être partagées deviennent des « vérités alternatives ». Il y a la tentation d’appartenir à un cercle d’initiés en se donnant l’illusion de connaître ce qui serait caché au plus grand nombre. Sans oublier le renvoi à un soi disant « bon sens » qui  fait fi de la raison et de la réflexion. Gardons l’esprit critique à l’égard des rumeurs qui empoisonnent la confiance mutuelle, au mépris de la rigueur de jugement.

L’esprit démocratique suppose aussi la participation active des citoyens, en prenant part au vote bien sûr, mais aussi par les solidarités effectives dans les soutiens de voisinage et la vitalité des associations. On peut se réjouir des multiples initiatives prises pour faire face aux difficultés liées à la pandémie. La démocratie ouvre justement la voie à cette dynamique sociale et elle s’en nourrit ; il faut encore que chacun déploie son esprit civique en des actions concrètes et n’en reste pas aux récriminations du client mécontent. Mais il faut bien aussi une organisation de la vie commune sous le signe de la justice sociale, c’est le rôle du politique, à condition de ne pas tout en attendre comme s’il s’agissait d’une « providence » séculière. La qualité de la vie commune en démocratie suppose l’engagement responsable de chaque citoyen !

3 – Une ressource : la fraternité, Pape François, encyclique Fratelli tutti :

« Reconnaître chaque être humain comme un frère ou une sœur et chercher une amitié sociale qui intègre tout le monde ne sont pas de simples utopies. Cela exige la décision et la capacité de trouver les voies efficaces qui les rendent réellement possibles. (…) Il s’agit de progresser vers un ordre social et politique dont l’âme sera la charité sociale. Une fois de plus, j’appelle à réhabiliter la politique qui est une vocation très noble, elle est une des formes les plus précieuses de la charité, parce qu’elle cherche le bien commun. » (n° 180)

La vie commune ne se réduit pas à un emboîtement d’initiatives individuelles, en évitant des empiètements. Elle se nourrit de la volonté et du désir de vivre ensemble dans un échange d’amitié sociale. De son côté, Durkheim évoquait en 1890 la volonté « de s’associer, pour le plaisir de ne plus faire qu’un à plusieurs, de ne plus se sentir perdu au milieu d’adversaires, pour le plaisir de communier » dans une vie commune qui a du sens.

 

4 – Migrations : Un rapport note que, en 2020, 55 millions de personnes ont dû s’enfuir au sein de leur propre pays, on parle alors de « déplacés internes ». Pour les trois quarts d’entre eux, ces déplacés ont été obligés de partir en raison d’une catastrophe naturelle ou de phénomènes météorologiques extrêmes. Durant la même année, ce sont 26 millions de réfugiés qui ont traversé une frontière internationale pour chercher un abri. Les solidarités se jouent donc d’abord à l’intérieur de chaque pays. Mais nous devons également envisager des solidarités internationales, en venant en aide aux habitants de régions dévastées, en accueillant des personnes et des familles en difficulté.

Solidarité ou repli ? Peur de perdre son identité ? Une revue émanant de la conférence des évêques de France propose une réflexion intéressante sur ce thème : « La marge de manœuvre de chacun apparaîtra étroite à l’égard d’orientations qui relèvent de décisions politiques. Il reste pourtant des initiatives à notre portée. La première est de pacifier notre peur de l’étranger. Certains sont habités par la crainte de perdre leur identité culturelle ou religieuse. Il ne tient qu’à nous de la manifester par la culture de l’accueil qui est au cœur de cette identité et qui nous rend fiers d’être français. »

Documents épiscopat n° 3, 2020, Et maintenant ? Vers un nouvel art de vivre. P. 64

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Elections, quels enjeux ? Deux handicaps : les citoyens ont la tête ailleurs, entre les inquiétudes liées à la santé et le désir de retrouver..

 

D’emblée, il faut préciser que les difficultés des chrétiens palestiniens sont essentiellement d’ordre politique. Contrairement à des pays comme l’Irak ou la Syrie, il n’y a pas ici de persécution des chrétiens. Il s’agit plutôt de pourrissement d’une situation qui date de la partition de la Palestine en 1948 et a été aggravée par des politiques ultérieures qui leur sont de plus en plus défavorables.

Les chrétiens de Terre sainte constituent aujourd’hui moins de 1 % de la population en Palestine et environ 2 % en Israël, soit respectivement 50 000 et 120 000 chrétiens palestiniens, répartis en diverses confessions : Grecs orthodoxes, Latins, Arméniens, Syriaques, Maronites, Coptes, Éthiopiens, Anglicans, Luthériens. Il y a aussi environ 150 000 migrants chrétiens. L’émigration massive des chrétiens au moment de la Nakba (1948) fait que la majorité des chrétiens palestiniens vit aujourd’hui à l’étranger (Jordanie, Liban, Syrie, Amérique du Nord et du Sud, Australie, Europe, etc.). À titre d’exemple, il y a 350 000 Palestiniens au Chili et 280 000 au Honduras (toutes confessions confondues) ! À Jérusalem même, la population chrétienne décroit rapidement : ils étaient 31 400 en 1946 et ne sont plus que 9 000, alors que les Musulmans sont passés de 33 700 à 250 000 sur la même période. Les chrétiens qui étaient 20 % de la population en Palestine en 1948 pourraient n’être qu’un résidu insignifiant dans quelques décennies. Pourtant, ils refusent d’être considérés comme une minorité, car ils sont nés ici, ce pays est le leur et c’est ici que se situe leur vocation.

Musulmans et Chrétiens sont, en réalité, affrontés aux mêmes défis : avoir une nationalité, un droit de résidence, un logement, un travail. La situation est plus facile pour les chrétiens citoyens israéliens, résidant essentiellement en Galilée. Ils ont une nationalité, bénéficient des avantages de l’État d’Israël en matière de sécurité sociale, de liberté de circulation, d’accès aux écoles, aux hôpitaux, mais restent considérés comme des citoyens de seconde classe. Les Chrétiens de Jérusalem, de Cisjordanie et de Gaza, en revanche, sont soumis à de grosses restrictions de liberté, à des permis de séjour aléatoires et précaires, à un moindre accès aux services sociaux. Ce sont ces raisons, et non la persécution, qui font que de plus en plus de jeunes chrétiens sont tentés par l’émigration.

Sur ces différents dossiers, la Commission Justice & Paix du diocèse s’emploie à suivre les questions, à préparer des dossiers. Un des plus sensibles est celui du logement, du droit de résidence et de la liberté de circulation, avec des degrés dans la privation de liberté : les deux millions d’habitants de Gaza ne peuvent jamais quitter cette étroite bande de terre, à de rares exceptions près (travail ou santé) et selon le bon vouloir de l’armée israélienne qui en contrôle les frontières ; les Palestiniens de Cisjordanie eux ne peuvent jamais venir à Jérusalem avant l’âge de 40 ans ; aucun n’est autorisé à venir en Israël en franchissant avec son propre véhicule le « mur de sécurité » ; les Palestiniens nés et résidant à Jérusalem peuvent se voir retirer le droit d’y résider s’ils s’absentent longuement de leur domicile. Les uns et les autres ont, au plus, une carte d’identité, mais pas de passeport attestant d’une nationalité. L’actualité récente a mis en lumière les expulsions arbitraires de Palestiniens dans un quartier de Jérusalem-Est, Sheikh Jarrah. Ces Palestiniens avaient déjà dû quitter leur logement de Jérusalem-Ouest après le partage de la Palestine en 1948. Les évictions sont pour une large part le résultat de l’activisme de puissantes associations de colons comme Nahalat Shimoun ou Ateret Cohanim qui, avec la bienveillance des autorités, s’emploient à réaliser ce que l’historien Ilan Pappé a qualifié de nettoyage ethnique de la Palestine « ethnic cleansing ». Cette politique est régulièrement dénoncée par diverses ONG comme l’ONG israélienne Btselem ou l’ONG internationale Human Rights Watch qui, dans son rapport de 2021, parle de pratiques d’apartheid.

Pour favoriser le maintien de familles chrétiennes à Jérusalem, les Églises ont lancé des projets immobiliers avec des plans de construction de logements : elles estiment qu’aux 1 000 logements déjà construits il faudrait en construire 1 000 autres. Les Églises sont également très actives au plan de l’éducation, à travers un réseau d’écoles, allant du jardin d’enfants à l’Université, afin de donner aux jeunes une chance de trouver un emploi qualifié. Ces écoles accueillent aussi un grand nombre de musulmans et les responsables s’efforcent d’y promouvoir une éducation au vivre ensemble, urgente dans ce pays. Elles donnent aussi beaucoup d’emplois aux chrétiens. Un récent ouvrage de la Commission Justice & Paix (Is Peace Possible ? Christian Palestinians Speak, 2019) donne en annexe le texte d’une vingtaine de prises de position de la Commission traitant de questions brûlantes comme les expropriations, la démolition illégale de domiciles, la « normalisation » des relations avec l’État d’Israël, la définition de cet État comme « État juif » (loi de juillet 2018), etc. Le défi est de continuer à travailler à la paix dans un contexte d’aussi criantes injustices.