Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

Alors que Jérusalem est de nouveau dans tous les esprits à cause d’un regain de tensions et de violences en ce printemps 2021, il n’est pas inutile de faire retour sur le travail d’une Commission Justice & Paix, créée il y a exactement 50 ans, qui œuvre avec constance et malgré un contexte désespérant à nourrir la réflexion des évêques et de l’Église universelle sur la situation de la Terre sainte. Celle-ci tente souvent de faire entendre sa voix dans un contexte où le désespoir et le découragement ont pris le dessus.

La Commission Justice & Paix du diocèse de Jérusalem a été fondée en mars 1971 comme un service de l’Église de Terre sainte, région qui regroupe des catholiques d’une variété de rites : latins, mais aussi grecs-catholiques, maronites et, à un moindre degré, arméniens, syriens-catholiques et chaldéens. Ces chrétiens sont présents à la fois en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés (Cisjordanie et Gaza). La commission est actuellement composée d’une vingtaine de membres, palestiniens pour la plupart, et travaille sous la présidence active de Sa Béatitude Mgr Michel Sabbah, patriarche latin émérite de Jérusalem. Elle se réunit chaque mois et travaille en lien avec le Patriarche latin, les évêques et le Délégué apostolique. La qualification de ses membres – avocats, journalistes, religieux représentant des institutions et activités de l’Église locale – lui permet de préparer des notes ou des documents plus aboutis à destination de l’Assemblée des évêques et/ou de l’opinion publique.

Deux axes principaux structurent le mandat confié par les évêques : analyser et suivre la situation politique en Palestine et au Moyen-Orient en général ; réfléchir sur l’avenir de la présence chrétienne en Israël/Palestine dans un contexte d’incertitudes aux plans politique et social. Une des plus récentes expressions de son travail est un livre publié en 2019 : Is Peace Possible ? Christian Palestinians Speak (La paix est-elle possible ? Les chrétiens palestiniens prennent la parole) (Presses du Patriarcat latin de Jérusalem, 130 p.).

Dans son travail d’évaluation de la situation, la Commission est aidée et même stimulée par une grande sensibilité des diverses confessions chrétiennes de Terre sainte aux enjeux de Justice et Paix. Un des plus beaux exemples est l’organisation œcuménique de théologie de la libération en contexte palestinien, Sabeel, qui existe depuis des décennies et s’appuie sur le travail de théologiens palestiniens comme l’Anglican Naïm Ateek, dont l’ouvrage A Palestinian Theology of Liberation (Orbis books, 2017) est un bel exemple de l’effort de penser Justice et Paix dans le contexte spécifique de la Palestine, où la plupart des chrétiens vivent sous occupation militaire et sont privés de droits élémentaires comme celui de circuler, d’avoir une résidence garantie. L’année 2009 avait vu aussi la publication du document Kairos Palestine, Un moment de vérité, qui tentait de dégager le sens particulier de la vie chrétienne dans ce contexte difficile : « dire comme chrétiens et comme Palestiniens, une parole de foi, d’espérance et d’amour ».

La Commission Justice et Paix de Jérusalem a donc devant elle une double tâche : évaluer une situation qui se dégrade et aider les chrétiens à trouver le sens de leur présence. L’érosion de leur nombre est massive depuis la Partition de la Palestine en 1948 et l’occupation de Jérusalem en 1967 ; ils sont aujourd’hui moins de 1 % de la population en Palestine et 2 % en Israël. Tout en aidant les Églises à trouver des moyens concrets pour soutenir leur présence (logement, travail, défense des droits), il faut, en permanence, redire la vocation particulière des chrétiens dans cette terre qui fut celle de Jésus. À la fin de son ministère épiscopal, le patriarche Michel Sabbah l’avait résumé en des termes puissants : « les chrétiens sont un petit nombre sur cette Terre sainte et dans l’Église de Jérusalem. Cela n’est pas seulement la conséquence de circonstances historiques ou sociales. Cette réalité est en lien direct avec le mystère de Jésus sur cette terre… Être petit sur cette terre, c’est tout simplement vivre comme Jésus vécut ici… Nous savons pourquoi nous sommes petits, et nous savons quelle place nous avons à prendre dans notre société et dans le monde incorporés au mystère de Jésus, nous restons auprès de lui au Calvaire, forts et soutenus par l’espérance et la joie de la résurrection à vivre et à partager… Être petit, voir en Jérusalem la ville de la Rédemption et de la paix pour le monde, et non pour elle-même, voilà ce qui détermine la vocation de tout chrétien sur cette Terre sainte : vocation à être témoin, vocation à une vie difficile, aujourd’hui à cause du conflit politique, et demain parce que sa vie restera une lutte permanente pour être un sel savoureux, un levain utile, une lumière dans la société et une Rédemption qui s’accomplit, jour après jour, dans le mystère de Dieu » (Lettre pastorale de Mgr Michel Sabbah, 1er mars 2008).

 

Jusqu’où ? Jusqu’où laisser les apprentis censeurs d’aujourd’hui définir ce qu’on peut dire et ce qu’il faut taire ? Jusqu’où tolérer que la haine envahisse le monde numérique ? Jusqu’où supporter que des extrémistes privatisent les règles de la parole et refusent le débat pour installer leur hégémonie ?

La parole fait mal ; elle change le seuil du tolérable et peut même réduire au silence. Il est donc légitime de la limiter, mais au plus près des délits et sans censure préventive. On peut tout dire, mais pas n’importe comment.

Monique Canto-Sperber nous parle remarquablement de la liberté de parler à partir de son histoire et de ses raisons d’être. « Il me parait plus judicieux et utile de définir la liberté d’expression en termes d’équilibre entre les capacités de parler plutôt que de morale et de valeur. Tous les propos sont admissibles sauf s’ils n’ont pas d’autre but que de faire taire et d’anéantir tout débat. »

Sauver la liberté d’expression, Monique Canto Sperber, Albin Michel, 2021, 336 p.

L’auteure interroge l’héritage des Lumières et résiste aux anti-Lumières. Elle dépasse l’anthropocentrisme et le dualisme entre nature et culture qui conduisent vers un développement aberrant et déshumanisant. Elle promeut de nouvelles Lumières qui dépassent l’imaginaire capitaliste en vue d’une émancipation. Afin de fonder « les Lumières à l’âge du vivant », elle substitue le schème de la considération à celui de la domination. La domination se manifeste dans un capitalisme qui exploite la nature, le monde animal et les humains. « Notre culture qui consacre la rationalité instrumentale et la réification des vivants est une culture de mort. » (p. 62)

La considération met en lumière l’autonomie : l’autre échappe à mon pouvoir, je dois me porter garant de sa dignité. On « substitue à la compétition et à l’accumulation des biens les valeurs de coopération, de convivialité, de sobriété et de partage. » (p. 174)

Corine Pelluchon se réfère à Ricoeur pour qui « l’éthique est la recherche d’une vie bonne, avec et pour les autres, au sein d’institutions justes. »

Il s’agit de raviver la démocratie comme capacité d’opérer une transition écologique et solidaire. Habiter la terre, c’est cohabiter avec les autres, ce qui implique une éthique de l’hospitalité.

 

Les lumières à l’âge du vivant, Corine Pelluchon, Seuil, 2021, 336 p.