Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Michel Wieviorka publie un état des lieux sur les études « postcoloniales » récemment mises en cause par la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal.

Il y a tout juste un mois, la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal dénonçait « l’islamo-gauchisme » qui « gangrène » l’université. Après l’émotion, les polémiques et les pétitions, voilà enfin un premier élément de réponse argumentée par Michel Wieviorka, l’un des sociologues les plus au fait du racisme et des études dites « postcoloniales ».

La ministre avait souhaité « un état des lieux de ce qui se fait en recherche en France sur ces sujets ». Le directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) s’est saisi du sujet et adresse à la ministre un « rapport » qui intéressera tout autant le grand public.

Le chercheur restitue d’abord les racines de ces études qui connurent une transformation dans les années 1960 aux États-Unis et explicite les concepts et approches tels que « racisme institutionnel », « intersectionnalité », « postcolonialisme » et « décolonialisme », etc. Il explique pourquoi la « race » – non pas au sens biologique mais culturel du terme – « s’impose de plus en plus comme une catégorie pertinente » sans taire ses réserves : la notion d’intersectionnalité n’est pas « inintéressante », mais « ses usages politiques et militants sont vite consternants », juge-t-il.

Son « rapport » renvoie dos à dos deux extrêmes. D’une part, les nouveaux militants de l’antiracisme qui essentialisent les identités et finissent par faire le jeu du racisme. L’auteur estime toutefois très mal choisi le chef d’accusation « islamo-gauchisme », car ce radicalisme n’est pas l’apanage de réseaux musulmans. Le livre de Michel Wieviorka débute ainsi par son témoignage édifiant sur les pressions et boycotts dont il a été victime à l’EHESS, par exemple sur un sujet comme le génocide rwandais.

D’autre part, le sociologue s’en prend aux « tenants de l’universalisme républicain » qui pratiquent « l’excès, la polémique, l’invective, le sectarisme parfois aussi, sur fond de calculs politiciens qui n’arrangent rien ». Michel Wieviorka dénonce l’influence du Printemps républicain (fondé en 2016) et de l’Observatoire du décolonialisme (2020), la connivence d’intellectuels et de ministres, dont Frédérique Vidal elle-même. Il réfute leur dénonciation sans nuance. « Dans l’ensemble, les chercheurs qui relèvent de la nébuleuse postcoloniale, ou s’en approchent, savent se tenir à distance de ses principales dérives et maintenir une réelle activité scientifique », souligne Michel Wieviorka.

Son plaidoyer pour les sciences sociales débouche sur plusieurs pistes. L’enjeu est selon lui de recréer des échanges internationaux, alors qu’on assiste à des replis nationaux qui engendrent une « fragmentation » de la vie scientifique à l’échelle planétaire. Il est tout aussi essentiel de développer conjointement les études sur le racisme, sur l’antisémitisme et sur l’antiracisme. Ce dernier terme est, selon lui, un angle mort de la recherche, alors que les mouvements militants ont beaucoup évolué. Quant aux deux premiers, ils peinent de plus en plus à cohabiter dans le champ universitaire.

Racisme, antisémitisme, antiracisme. Apologie pour la recherche, Michel Wieviorka, La Boîte à Pandore, 2021, 77 p.
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La transparence fiscale est une mesure simple et essentielle pour lutter contre l’évasion fiscale, qui fait perdre des centaines de milliards chaque année aux Etats et aggrave les inégalités. Malgré les scandales d’évasion fiscale à répétition, l’opacité demeure sur les impôts réellement payés par les grandes multinationales.

En obligeant les grandes entreprises multinationales à publier des informations sur leur activité économique réelle et les impôts payés dans chacun des pays où elles opèrent, le reporting pays-par-pays public devrait justement permettre de vérifier que les entreprises paient leur juste part d’impôts en fonction de leurs activités réelles sans procéder à des montages d’évasion fiscale. Malheureusement, le compromis annoncé par le Conseil et les rapporteurs du Parlement européen dénature complètement la mesure, qui n’a de « reporting pays-par-pays public » que le nom.

En effet, l’accord négocié entre les institutions européennes limite la portée géographique du reporting : les entreprises devront seulement rendre compte de leurs activités dans les Etats Membres de l’Union Européenne et dans les pays figurant sur la liste européenne des paradis fiscaux, liste dont demeurent absents les principaux paradis fiscaux. Alors qu’une seule filiale permet de faire de l’évasion fiscale, il est indispensable que les reportings couvrent tous les pays du monde avec des données pour chaque pays, afin de pouvoir analyser les transferts artificiels de bénéfices entre filiales. Ce recul rend la mesure inopérante, et citoyens et citoyennes du monde entier vont rester dans l’opacité, y compris ceux des pays en développement, encore plus fortement frappés par l’évasion fiscale.

Force est aujourd’hui de constater que la lutte contre l’évasion fiscale a été sacrifiée sur l’autel de la compétitivité des entreprises, les Etats Membres, dont la France, ayant suivi les arguments, pourtant non étayés, de certains lobbys d’entreprises.

« Cette mesure en trompe l’œil n’est pas un vrai reporting pays-par-pays public, elle ne permettra pas de lutter contre l’évasion fiscale des multinationales. Sans une couverture géographique complète, il sera impossible d’analyser les données et de suivre les montages d’évasion fiscale, alors que c’est tout l’intérêt de la mesure. L’Union européenne avait l’occasion de permettre une réelle avancée, au final c’est un véritable échec, et ce sont les lobbys – le MEDEF en tête – qui remportent la mise. » déclare Lison Rehbinder, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire et coordinatrice de la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires.

« Les banques européennes sont soumises à une exigence de reporting public depuis 2014, ce qui nous avait permis d’analyser le décalage entre les impôts payés et les activités réalisées. Malheureusement, nous ne pourrons pas faire cet exercice pour les entreprises multinationales avec un reporting où seront exclus les trois quarts des pays, dont des paradis fiscaux de premiers plans comme les Îles Caïmans, la Suisse ou les Bermudes. C’est vraiment regrettable qu’Etats et parlementaires aient cédé aux pressions des lobbys pour amoindrir autant la mesure, alors même qu’elle ne pose aucun problème de compétitivité. » explique Quentin Parrinello, responsable plaidoyer à Oxfam France.

« C’est incompréhensible que les Etats membres et les député-es européen-nes aient conclu un accord sur une mesure inefficace. Journalistes, responsables politiques, citoyens et citoyennes du monde entier méritent de savoir combien d’impôts payent réellement les multinationales en fonction de leurs activités réelles : ce compromis bancal ne permettra pas de répondre à cette exigence démocratique.» regrette Sara Brimbeuf, responsable de plaidoyer à Transparency International France.

Cet accord est révélateur de l’absence d’ambition politique des dirigeants et parlementaires européens après des années de débat alors que le manque de ressources pour financer les politiques publiques est aggravé par la crise Covid. Les multinationales pourront malheureusement poursuivre leurs pratiques d’évasion fiscale !

Paris, 1er juin 2021

Notes :
-La directive sur le reporting pays-par-pays public a été proposée par la Commission européenne en 2016, à la suite du scandale des Luxleaks.
Le Parlement avait voté sa position en juillet 2017, le Conseil avait adopté la sienne en février 2021. Les négociations en trilogue avaient débuté seulement fin février.
-Accord du trilogue : Les entreprises devront déclarer leurs activités pays-par-pays pour les pays de l’Union européenne, ceux de la liste noire des paradis fiscaux de l’UE, et ceux restés sur liste grise

En raison de la pandémie, la vie ordinaire des jeunes s’est dégradée économiquement et socialement. 25 % des étudiants ont besoin d’un travail à côté de leurs études. La suppression des petits boulots et l’impossibilité de bénéficier des repas peu chers des Crous, fermés lors des confinements, ont fait exploser la demande d’aide alimentaire. Le président Macron a annoncé fin janvier une aide pour tous les étudiants de 2 repas par jour à 1 €. Des syndicats et des associations étudiantes ont demandé l’extension du RSA aux moins de 25 ans ; le gouvernement renforcerait plutôt la garantie jeune, dispositif d’accompagnement vers l’emploi et la formation en incluant une aide financière.

L’exiguïté des logements a accentué l’isolement des jeunes ne bénéficiant pas du soutien d’une colocation, d’une résidence étudiante ou du foyer familial. Le manque d’interactions sociales, à un âge où elles comptent beaucoup, et la saturation des visioconférences ont joué sur leur santé psychologique : 41 % des 18-24 ans déclarent souffrir de troubles anxieux et dépressifs (enquête INSV/MGEN 2020).

L’incertitude empêche de réaliser des projets, comme partir à l’étranger pour un échange ou un volontariat international, trouver un premier emploi, célébrer son mariage avec famille et amis. Pour les trentenaires célibataires, la réduction de la vie sociale complique les occasions de rencontre en vue de construire une vie de couple. Les jeunes portent déjà la dette écologique ; certains craignent aussi de subir la dette économique engendrée par le financement de la crise sanitaire.

Les jeunes catholiques ont rencontré les mêmes difficultés. Ils ont aussi été éprouvés dans leur foi. Au cours de la consultation de la CEF et du réseau Ecclesia Campus en février dernier, la moitié des étudiants catholiques déclarait avoir vu leur vie spirituelle restreinte par la crise, notamment par l’absence de messe. Néanmoins, la foi a constitué, disent-ils, une aide dans l’épreuve. Ces étudiants ont trouvé plus de soutien auprès de leur groupe (aumônerie, scoutisme, chorale, groupe de prière…) que dans les paroisses et ils se montrent majoritairement confiants dans l’avenir.

Quelles traces durables laissera cette pandémie chez les jeunes ? Difficile d’en juger, mais dans les mois à venir, la vigilance reste de mise.