Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
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Bien qu’attendus, les résultats des élections européennes ont su créer la surprise. Tout d’abord par un vote massif pour l’extrême droite qui rejoint et même dépasse la vague bleue européenne. Vote test, à mi-mandat, pour Emmanuel Macron et dont le résultat traduit tant un vote sanction qu’un besoin d’alternance. Un vote aussi de la « désespérance sociale » et du rejet des élites.
La seconde surprise, tant au niveau national qu’européen, est l’annonce par le chef de l’État de la dissolution de l’Assemblée nationale. Rien ne l’y contraignait sur le plan des institutions et même si cela peut être considéré par certains comme une obédience au RN qui le demandait, cela semble avant tout, une volonté de reprendre la main.
Une sorte de pari politique qui prend de court les différents partis. Du côté de la gauche, maintenir les résultats des précédentes législatives implique de reconstruire une unité très dégradée et, pour l’extrême droite, confirmer le score des européennes réclame un nombre suffisant de candidats pour honorer toutes les circonscriptions. Un quitte ou double pour tenter de reconstruire une légitimité déjà mise à mal lors des précédentes législatives.
Alors coup de tonnerre ou coup de poker ? Réponse le 7 juillet.
1 – Quelle justice climatique ?
Au Vatican, durant une session des Académies pontificales des sciences et des sciences sociales, le pape François a retenu des chiffres qui donnent à penser et surtout qui appellent des solutions urgentes et ambitieuses. 1 milliard des habitants de la terre les plus riches produisent plus de la moitié des polluants qui ont un impact sur le climat. 3 milliards des plus pauvres contribuent à ces pollutions pour moins de 10%, mais ils subissent 75% des dommages. Les pays du G 20 produisent 80% des émissions de CO2, tandis que les 46 pays les moins avancés y contribuent pour 1,1%.
On peut parler d’un déni de justice majeur à l’échelle mondiale. Il y a bien une « dette écologique » de la part de ceux qui polluent le plus, ce qui devrait comporter des charges financières. Il faut noter l’hypocrisie des jugements selon lesquels on fait pression sur les populations pauvres afin qu’elles remboursent des dettes monétaires, tandis que l’impact considérable de populations riches sur le dérèglement climatique, pour ne retenir que cet aspect du problème écologique, ne mobiliserait aucune contrepartie ! Le mot justice semble décliné différemment selon qu’il s’agit de puissants ou de ceux dont on ne veut pas entendre la voix.
Durant la session évoquée, il était demandé d’établir un protocole planétaire de résilience climatique, avec des contributions financières à la hauteur des enjeux. Le problème se pose à l’échelle de l’humanité entière, les solutions doivent donc être envisagées à ce niveau sous le mode d’une vraie solidarité : chaque région du monde contribuerait selon ses capacités financières tandis que les populations en danger seraient soutenues en fonction de leurs besoins.
2- Peut-on parler de logiques sacrificielles ?
+ On évoque les sacrifices humains comme des pratiques qui, en raison d’une avancée des civilisations, n’auraient plus cours depuis fort longtemps. Une telle vision, qui s’appuie sur la représentation d’un « progrès » linéaire, risque fort de nous empêcher de voir qu’il existe toujours des situations où l’on sacrifie des vies humaines pour en tirer des avantages stratégiques et/ou pécuniaires.
+ À propos des conflits actuels, en Ukraine, les Russes ne semblent pas faire grand cas de la vie de leurs soldats, les exposant en masse pour gagner quelque terrain ; de même, les bombardements sur les populations civiles ukrainiennes visent à saper le moral des habitants. Des actions dans lesquelles le respect de la vie humaine ne paraît pas peser lourd, selon une « logique » coûts/avantages marquée par le cynisme.
Ce mépris, tant de la morale la plus élémentaire que du droit international, se manifeste particulièrement dans le conflit Palestine/Israël à Gaza, avec la violence inouïe de l’attaque du 7 octobre, puis en retour des actions militaires dont les victimes sont très majoritairement des non-combattants, notamment des enfants, sans oublier les obstacles mis à l’accès à la nourriture et aux soins. Trop souvent, « Chacun s’autorise des crimes de l’autre pour aller plus avant. » (Albert Camus)
Infliger des souffrances extrêmes, provoquer des morts atroces apparaît alors comme un moyen de pression parmi d’autres. Au vu des situations en différents lieux de notre monde, on peut s’inquiéter de la régression d’une approche humaniste, d’une propagation du mépris de la dignité humaine. On sacrifie alors des vies humaines pour s’imposer, mais aussi de manière paradoxale pour impressionner les opinions publiques.
+ Sans confondre ces cas extrêmes avec des pratiques plus habituelles, il est bon de nous interroger sur des mentalités courantes qui imprègnent les rapports économiques à l’échelle mondiale. Certaines formes d’une morale « utilitariste », selon laquelle est bon ce qui sert le plus grand bien-être du plus grand nombre, une part de notre humanité se trouve considérée comme une quantité négligeable, voire comme un déchet que l’on laisse derrière soi pour ne plus le voir. Il s’agit bien d’une vision sacrificielle qui légitime l’exclusion des plus faibles, au motif que les autres pourraient ainsi avancer plus vite. On oublie qu’une telle marginalisation d’une part de l’humanité constitue une violence qui engendre d’autres violences.
On peut, à l’inverse, imaginer des pratiques intégrant mieux l’ensemble des citoyens, permettant ainsi aux plus fragiles d’apporter leur contribution propre au bien commun. Il ne manque pas d’exemples positifs, pensons à « Territoire zéro chômeur de longue durée », à la volonté de mieux intégrer les personnes en situation de handicap dans le travail et la vie sociale, et à bien d’autres initiatives.
Résistons à une normalisation de pratiques sacrificielles qui nous enfoncent dans une barbarie déniant la dignité humaine, conduisant au mépris des plus faibles. N’oublions pas que la fragilité fait partie de notre condition humaine. Il vaut mieux alors promouvoir des pratiques de sollicitude mutuelle, c’est une belle affaire que prendre soin les uns des autres !
3 – Que devient la peine de mort ?
Pratiquer l’exécution capitale, un signe que la logique sacrificielle est à l’œuvre… Au motif que la mise à mort aurait un effet dissuasif. En fait, il s’agit souvent de pouvoirs autoritaires, voire dictatoriaux, qui cherchent à dominer en terrorisant les populations.
Selon Amnesty international, le nombre d’exécutions capitales en 2023 a crû de 30% par rapport à l’année précédente. Les « champions » en la matière, en ordre décroissant des mises à mort : la Chine, l’Iran, l’Arabie saoudite, la Somalie, les USA. Certains pays restent discrets sur le nombre d’exécutions (un peu de honte ?) ; certains états des USA continuent de pratiquer la peine de mort, le moralisme US apparaît donc à géométrie variable…
Une bonne nouvelle : 144 pays ont aboli la peine de mort, en droit ou en pratique.
4 – Quel avenir pour les jeunes ?
+ À l’échelle du monde, les 15-24 ans représentent 16% de la population, soit 1,2 milliard de personnes. Nos sociétés vieillissantes risquent de laisser en marge les plus jeunes qui sont inquiets face aux conflits et à la détérioration de la vie sur terre ; elles peuvent aussi être tentées par le repli sur soi, voyant les jeunes arrivant d’ailleurs comme des envahisseurs.
+ Dans la Lettre de Justice et Paix de juin, Catherine Billet évoque ainsi la maison de la paix à Sainte-Mère-Église : « Alliés et ennemis d’hier marchent main dans la main pour rejoindre les anciens lieux de combats et témoigner que l’amitié et la fraternité entre les peuples sont possibles. Et surtout que la réconciliation et la paix sont une joie. »
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Le cycle de commémorations du 80e anniversaire de la Libération, inauguré le 7 avril dernier en Savoie par le Président de la République durera plus de sept mois en divers lieux. C’est faire mémoire des combats, mais c’est avant tout se souvenir des femmes et des hommes dont le courage a permis à notre pays de retrouver tant sa liberté que sa dignité. La reconstruction et la naissance de l’Europe viendront ensuite…
Un des moments forts de ces célébrations sera le 6 juin à Sainte-Mère-Église. Petit village de 1 600 habitants en 1944, il a été le premier village français libéré lors du débarquement des alliés en Normandie. Ce village, rendu célèbre par le film « Le jour le plus long » en 1962 est devenu un symbole de la Libération mais aussi des combats sanglants du débarquement. Avec son parachutiste accroché au clocher, ses musées qui rassemblent quantité d’engins de combat, ses nombreuses boutiques de surplus militaires, il accueille plus de 700 000 touristes par an.
Sur une carte, on est frappé aussi par l’emplacement de Sainte-Mère-Église, situé presque à équidistance entre deux grands cimetières militaires, l’un Allemand et l’autre Américain. Le cimetière américain d’Omaha Beach, sur le lieu même du débarquement, regroupe les tombes de 9 387 soldats morts au combat. Le général Théodore Roosevelt Jr, fils du président Théodore Roosevelt et cousin du président alors en fonction Franklin Roosevelt, y est inhumé, parmi ses hommes et près de son frère abattu par deux chasseurs allemands en 1918. Le Président Eisenhower dira là quelques années plus tard : « Je hais la guerre comme seul peut le faire un soldat qui l’a vécue ». Cette phrase restera gravée sur un des piliers du mémorial. Un peu plus loin, beaucoup plus sobre, se trouve le cimetière allemand de la Cambe où reposent 12 000 soldats allemands. Le petit musée à l’entrée donne à voir des lettres de soldats allemands, des pères, des époux qui attendent le retour au foyer. Mais parmi eux se trouve aussi la sépulture du général SS Adolf Diekmann qui a donné l’ordre du massacre d’Oradour sur Glane.
Qu’ils soient Alliés ou Allemands, beaucoup sont très jeunes : 18, 19 ou 20 ans. Tous sont morts sur cette terre normande. Et comme un trait d’union entre Omaha Beach et la Cambe, les sépultures de ceux qui se sont entretués hier, se trouve Sainte-Mère-Église. Pour ses habitants, leur village est avant tout un lieu de mémoire. Un lieu de souffrance où l’histoire personnelle s’inscrit dans la grande Histoire. Pour l’un, c’est sa naissance dans un fossé alors que ses parents tentent de fuir dans cette aube de feu et de sang. Pour l’autre, c’est un père, un frère, sortis de la maison et jamais revenus ou bien encore un collège qui met sur la route tous ses pensionnaires : « Rentrez chez vous, on ne peut pas vous garder ». À 11 ans, seul, au milieu des combats, il faut trouver le chemin de la maison. Aujourd’hui très âgés, ils sont là, ils en témoignent encore…
Pour tous ceux-là et pour d’autres, Sainte-Mère-Église ne pouvait être seulement un lieu de commémorations internationales à chaque « grand anniversaire », un lieu de tourisme qui ne parle que de combats, ou pire, de parade pour les nostalgiques de la guerre qui défilent en tenue sur des Jeep camouflées.
Alors est née la « Maison de la Paix ». Située au centre du village, cette maison abrite une communauté de religieuses, à l’origine internationale pour être signe et témoin de la paix entre les peuples. Mais trop de difficultés sont venues à bout de la persévérance des religieuses. On peut, entre autres, se souvenir d’une jeune sœur allemande mal acceptée par les personnes de passage et souvent victime de propos acerbes. Peu à peu, chacune est repartie dans son lieu d’origine. La paix est fragile, il ne suffit pas de la vouloir. Elle est toujours à construire, une autre communauté a pris la suite.
Une association « Amis de la maison de la paix » a ainsi été créée. Chaque année, ils organisent, autour du 6 juin, une marche internationale pour la paix qui rassemble autour de 1 000 personnes, de toutes générations. Alliés et ennemis d’hier marchent main dans la main pour rejoindre les anciens lieux de combats et témoigner que l’amitié et la fraternité entre les peuples sont possibles. Et surtout que la réconciliation et la paix sont une joie.
La grange réaménagée, au bout du jardin, permet d’accueillir des groupes de jeunes. Un programme pédagogique est en place et fonctionne bien. On rencontre aussi des pèlerins, des touristes, ceux qui sont venus sur les tombes de leurs proches restés sur cette terre normande, tous ceux qui cherchent autre chose. Quoi ? Ils ne le savent pas toujours mais ils repartent avec un message d’Espérance et de Paix.