Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
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Il y a dix ans, en 2014, le réseau Caritas Ukraine a pris la décision de répondre à la crise humanitaire émergente, conséquence du lancement d’activités militaires par la Fédération de Russie sur le territoire de l’Ukraine. Chaque année, Caritas a aidé près de 100 000 personnes dans le besoin – en répondant aux besoins de base (nourriture, eau, médicaments), en réparant les maisons, en renouvelant l’accès à l’eau, en créant des centres de crise, en apportant un soutien psychologique aux enfants, aux familles et aux enseignants, en assurant la cohésion sociale et en menant des activités de développement communautaire. De nombreuses organisations Caritas du monde entier nous ont soutenus alors que nous apprenions à répondre à ces besoins.
Lorsque nous nous sommes engagés sur la voie de l’action humanitaire en 2014, nous ne pouvions pas prévoir ce qui allait suivre. Cependant, en agissant en 2014, nous nous sommes préparés et avons été en mesure d’intervenir en tant que réseau en 2022.
Le 24 février 2022, les forces russes ont lancé une invasion totale du pays à partir du nord, de l’est et du sud et ont envoyé près de 100 missiles balistiques ciblant toutes les régions. Presque du jour au lendemain, le nombre de personnes dans le besoin en Ukraine a augmenté de 500 %, passant de 3 millions à 15 millions et, à la fin de l’année, à plus de 17 millions. Avec les 8 millions de personnes cherchant une protection temporaire à l’étranger, la vie de plus de la moitié de la population ukrainienne a été bouleversée.
Dès les premiers jours, nos organisations Caritas locales sont devenues des centres communautaires qui ont offert de l’aide et créé de l’espoir. Les fournitures et le soutien nécessaires ont afflué, d’abord de la part des citoyens locaux, puis de l’étranger. Il est difficile d’expliquer ce que c’est que d’être sous le stress de la guerre, de lutter et de travailler pour répondre aux besoins autour de soi, et de réaliser soudain que l’on n’est pas seul, qu’il y a d’autres personnes qui nous voient et qui nous aident. Merci d’être avec nous, pour vos prières et votre soutien. Vous avez été et continuez d’être un élément vital de notre résilience.
Au cours des deux dernières années, avec le soutien de la famille Caritas mondiale, le réseau Caritas Ukraine a touché plus de 3 millions de personnes dans le besoin – avec une aide vitale et stabilisatrice, dans le style Caritas – attentive, compatissante, centrée sur l’individu. Nous avons adapté notre réponse aux besoins de chaque région. De l’aide d’urgence immédiate pour les personnes fraîchement déplacées et les zones proches des combats (nourriture, eau, abris, soutien psychosocial) à l’aide stabilisatrice dans les zones plus éloignées des lignes de front : centres de crise, soutien psychosocial pour les enfants, les adultes, les enseignants, aide aux personnes porteuses de handicaps, rétablissement des moyens de subsistance et intégration dans les communautés d’accueil. Dans les zones libérées, nous ajoutons des programmes supplémentaires : réparation des maisons endommagées par les combats, rétablissement de l’accès à l’eau. Parallèlement, nous poursuivons nos programmes d’aide sociale avec les personnes âgées, les personnes ayant des besoins spécifiques et les familles vulnérables, mais en les adaptant au contexte de la guerre. Nous développons davantage nos initiatives de cohésion sociale et de développement communautaire, en activant les communautés et en les aidant à renforcer leur résilience. Et dans toutes ces activités, vous avez été avec nous. En Ukraine, nous portons vos intentions à ceux qui en ont le plus besoin. Nous sommes vos mains et votre cœur sur le terrain.
Aujourd’hui, la situation reste difficile. Le nombre de personnes dans le besoin continue de s’élever à plus de 14 millions. Tout au long de la frontière avec la Russie et de la ligne de front, les tirs d’artillerie, les bombardements et les tirs d’obus s’intensifient. Les attaques sur les infrastructures énergétiques provoquent des coupures d’électricité dans tout le pays, ce qui constituera un défi de plus en plus important pour les mois d’automne et d’hiver. L’intensification des combats dans les régions de Kharkiv et de Donetsk a entraîné la mort de civils et de nouvelles vagues d’évacuation. Ces évacués sont plus vulnérables que ceux des vagues précédentes et comprennent des personnes âgées, des familles dont l’un des membres est alité ou handicapé, des personnes qui ont eu du mal à partir.
Au milieu de l’horreur de la guerre, des missiles, de la destruction et de la mort, chez Caritas, nous trouvons notre résilience dans la communauté : ensemble, nous faisons face à la réalité qui se présente à nous et nous agissons, en répondant aux besoins dans la mesure de nos possibilités. Faire partie du mystère de la rencontre, de l’écoute, de l’offre d’une aide matérielle avec gentillesse et accompagnement, restaure l’humanité que la guerre détruit.
Je « vois » chaque jour le visage humain de Dieu. Dans chaque membre du personnel qui se lève chaque matin après une nuit d’alarmes aériennes pour faire sa part dans la chaîne d’action pour aider ceux qui sont dans le besoin. Dans les personnes que nous avons aidées, dont les visages s’illuminent lorsqu’elles me disent que Caritas les a aidées à tourner une page, après avoir tout perdu, et à recommencer leur vie dans un nouvel endroit. Dans les mères qui voient leurs enfants se dégeler, sourire et rire à nouveau. Dans les nombreux bénéficiaires qui reviennent à Caritas en tant que bénévoles et employés, pour apporter leur contribution à l’aide aux autres. Et je le vois dans chaque prière, chaque mot gentil et compatissant et chaque soutien offert par nos amis à l’étranger. Chaque pas que nous faisons pour nous aider les uns les autres est un pas en avant pour renouveler la confiance, le sens de la relation et l’humanité. Caritas est plus qu’une organisation. C’est un mouvement du cœur qui mène à l’action et restaure notre visage humain, collectivement.
Les temps sont durs dans le monde d’aujourd’hui. Mais en Ukraine, nous avons été témoins de la force et de l’espoir qui naissent de l’action dans l’amour, pour toutes les personnes concernées. Ensemble, nous avons déjà déplacé des montagnes. Poursuivons ce travail et, ensemble, restaurons le visage de l’humanité. Merci pour vos prières et votre soutien.
Une tension croissante depuis quinze ans entre la Russie et l’Ukraine, aux racines historiques et locales multiples et complexes, a fini par conduire à des agressions caractérisées, avec l’annexion de la Crimée, les manœuvres politico-militaires dans l’Est de l’Ukraine et les opérations d’invasion et de guerre déclenchées le 24 février 2022, sur terre, dans les airs sillonnés de missiles et de drones et en Mer Noire. Mais le conflit en cours, qualifié de danger majeur, voire mortel pour l’Europe par le Président Macron, entraîne des conséquences sur bien des situations géostratégiques à travers le monde en accentuant des fractures et des instabilités et en débouchant, au bout du compte, sur des menaces que le pape François et la diplomatie vaticane évoquent en de nombreuses occasions.
Sur la scène internationale officielle, diplomatique et multilatérale, l’initiative de déclencher une guerre par un membre permanent du Conseil de Sécurité a bloqué toute chance de compromis aux Nations unies
Le fonctionnement formel des mécanismes a néanmoins rapidement montré combien l’agression russe était condamnée par la majorité des États.
Dès le 25 février 2022, le Conseil de sécurité, saisi d’un projet vigoureux préparé par les États-Unis et l’Albanie, coparrainé par 81 États-Membres et exigeant le retrait immédiat, complet et sans conditions des forces russes, recueille 11 voix favorables et 3 abstentions (Chine, Émirats arabes unis, Inde), mais avec veto russe. « La Russie est seule » déclare la France. Le 2 mars, l’Assemblée générale adopte par 141 voix pour, les voix hostiles de la Russie, du Bélarus, de l’Érythrée, de la Syrie et de la Corée du Nord, et 35 abstentions (dont Chine, Inde, et 17 pays africains dont l’Afrique du Sud et l’Algérie; mais les Émirats rallient le camp des « pour »), sa résolution intimant à la Russie de cesser immédiatement son agression contre l’Ukraine. Le 23 mars, une nouvelle résolution, à dimension humanitaire, initiée par la France et le Mexique, est adoptée avec une répartition quasi identique des votes. Début avril, après les massacres de Boutcha et de Kramatorsk, une résolution suspendant la Russie du Conseil des droits de l’homme est adoptée, mais avec un moindre soutien : 93 voix pour, 24 contre dont la Chine, 56 abstentions dont celles de membres non permanents du Conseil de sécurité, Brésil, Mexique, Inde, EAU, Ghana, Kenya, jugeant qu’il faut attendre le résultat des enquêtes lancées par le Procureur de la Cour Internationale de Justice. Parallèlement, l’ensemble des institutions spécialisées de la famille des Nations unies se mobilise, à l’image du HCR, du Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA), de l’Organisation internationale des migrations (OIM), de l’AIEA, de l’UNESCO, de l’UNICEF, du PAM. Toutes dénoncent « le climat de peur omniprésent dans les zones occupées », « le ciblage d’infrastructures énergétiques essentielles », « les attaques à grande échelle de missiles et de drones », « les abus horribles, généralisés et systématiques » à l’encontre de civils et de détenus militaires, « les attaques contre les biens culturels ».
Il n’y a donc aucun doute que, quoique répondant systématiquement par toutes les voies diplomatiques qu’elle peut continuer à activer, la Russie voit sa posture largement condamnée à travers les institutions internationales et, dès lors, par une part importante de l’opinion publique globale. Au demeurant, le quasi-bannissement de Vladimir Poutine, privé de G8 depuis l’invasion de la Crimée et visé depuis mars 2023 par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre dans la déportation d’enfants ukrainiens, qui l’empêche de facto de sortir de Russie (notamment lors des G20) hormis pour se rendre à Pékin ou Pyongyang, contraste avec l’aura dont bénéficie Volodymyr Zelensky. Ce dernier est en mesure de s’exprimer avec détermination, en visioconférence ou en présence, dans de multiples enceintes internationales, politiques, parlementaires, stratégiques (comme en juin 2024 au très couru Forum de défense Shangri-La), économiques, culturelles, avec une parfaite maîtrise de la communication; il a, les premiers mois de la guerre passés, cultivé son omniprésence par de nombreux déplacements courts, en Europe, en Amérique du Nord et même en Asie (Sommet du G7 à Hiroshima en avril 2023, Singapour, Philippines en 2024). Dans des circonstances très officielles comme la commémoration du Débarquement de Normandie, le président ukrainien finit même par se substituer au russe pour représenter les États continuateurs de l’URSS. Étonnante revanche d’une diplomatie ukrainienne, artificiellement dotée en 1945 d’un siège à l’ONU à la demande de l’URSS mais sans aucune liberté d’action, balbutiante mais encore soumise dans les années 1990 à 2010 et, par contraste, vigoureusement aguerrie, si l’on ose dire, depuis 2014; elle a gagné le soutien de bon nombre de pays, au sein de l’UE et de l’OTAN, où, dans les deux cas, elle a obtenu ses billets d’entrée, et du monde occidental (Japon, Corée du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande) mais aussi dans des pays du Sud global. Le président Zelensky se félicitait, il y a quelques semaines, d’avoir signé des accords de sécurité avec 5 des membres du G7, tandis que Vladimir Poutine en est venu à devoir solliciter des obus et des missiles du bien peu fréquentable Kim Jung-un.
Mais la déstabilisation d’une partie de l’ordre international engagée par le régime de Moscou ne se limite pas au seul multilatéralisme. Le recours à des déclarations ambiguës sur l’emploi potentiel d’armes nucléaires remet en cause des équilibres déjà fortement fragilisées par la fin, en 2019, du traité américano-soviétique de 1987 sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. L’entrée de troupes russes en Ukraine a mis fin de facto aux mémorandums de Budapest de 1994 par lesquels la Russie, reconnaissant la volonté de l’Ukraine (avec le Kazakhstan et la Biélorussie) de ne pas conserver d’armes nucléaires sur son sol, lui garantissait le respect de ses frontières. Au moment où la Chine renforce fortement et sans bruit son propre arsenal, ces incertitudes nouvelles peuvent donner du champ aux États non dotés (Iran, entre autres) ou « faiblement » dotés (Corée du Nord).
Au demeurant, la Russie est loin d’avoir perdu de ses influences plus ou moins discrètes.
En premier lieu, elle conserve, dans le cadre élargi des BRICS, désormais constitué de 9 partenaires, une audience plus ou moins explicite, allant d’un soutien fort en armements vulgarisés comme les drones (Iran, Inde) à une neutralité active ostensible (Chine) en passant par une entremise diplomatique plus ou moins opérationnelle (Brésil, Afrique du Sud, EAU). Le fait que des pays du Sud l’aient condamnée à l’ONU n’empêche nullement le maintien de canaux bilatéraux, comme le reconnaissait le 29 mars 2024 dans une interview au Monde le président de la République Démocratique du Congo Felix Tshisekedi, confirmant un entretien téléphonique qu’il avait eu avec Vladimir Poutine deux jours plus tôt : « Nous sommes parmi les rares Nations africaines à avoir condamné l’agression de la Russie, car nous savons nous-mêmes ce que s’est d’être un pays agressé. Mais si Poutine respecte les lois de la RDC, il y aura des relations avec ce pays ». Le Tchadien Mahamat Idriss Deby s’est rendu à Moscou en janvier 2024, quelques semaines avant d’être confirmé dans ses fonctions de président. En Afrique, la Russie sait encore capitaliser sur un réseau diplomatique actif, habilement mis en place du temps des indépendances, sous la Guerre froide, et parvient à programmer à Moscou un sommet Russie-Afrique en juin 2024.
D’ailleurs, beaucoup de pays du Sud s’accommodent à présent de ce que d’aucuns appellent le « multi-alignement »; les positions de principe n’empêchent pas les échanges commerciaux ou la médiation : en 2022 le commerce de la Russie avec les Émirats a cru de 68 % et avec l’Inde de 205 %, laquelle importe le pétrole russe frappé d’embargo en Europe ; le Kazakhstan s’efforce de s’extraire de la sphère d’influence russe sans pour autant s’aligner sur Kiev ; en Amérique Latine, seuls deux chefs d’État ont explicitement condamné l’invasion russe en Ukraine : le Chilien Gabriel Boric et l’Uruguayen Luis Lacalle Pou ; les trente-et-un autres s’en sont abstenus et beaucoup de délégations ont participé fin septembre 2023 à une conférence interparlementaire Russie-Amérique latine sur le thème « Coopération en vue d’un monde juste pour tous ». Beaucoup d’observateurs ont aussi relevé la modération mutuelle de la Russie et d’Israël depuis le 7 octobre 2023, un institut allemand de géostratégie ayant même laissé entendre que c’était la Russie qui avait servi, à la demande d’Israël, de voie d’information préalable à l’Iran quant aux cibles qui seraient visées à Ispahan en réponse à l’attaque de missiles iraniens menée le 13 avril 2024.
Dans un espace international moins conventionnel que l’ordre mondial officiel, l’agressivité du régime de Moscou génère des incertitudes et des fractures nocives
Bien des stratèges estiment que le conflit en Ukraine marque, dès son point de départ en 2014, une rupture profonde dans un monde qui, depuis 1989, avait pu se nourrir d’un relatif optimisme. À bien des égards, c’est un retour aux stratégies de puissance, ne se limitant d’ailleurs pas au seul domaine politique car on peut élargir cette assertion au domaine économique.
Ainsi, l’on connaît la volonté à peine masquée de Vladimir Poutine d’agir aux marges de l’ancienne URSS : une Biélorussie vassalisée ; une Géorgie menacée dans ses fragiles équilibres démocratiques malgré la courageuse réponse d’une majorité de ses citoyens ; une Arménie laissée pour compte dans son conflit avec l’Azerbaïdjan ; une Moldavie, voire des États baltes, régulièrement victimes d’intimidations. Parallèlement, la Chine, également depuis le milieu de la décennie 2010, s’approprie progressivement et méthodiquement des archipels qu’elle estime, à raison ou à tort, parties de son espace maritime historique, et multiplie sur mer et dans les airs les rappels à l’ordre de Taïwan. Ces deux puissances agissent aussi sur des terrains africains et océaniques, éloignés géographiquement mais riches en ressources naturelles : au Sahel et en Centrafrique, l’Africa corps russe s’est substitué aux Wagner et a obtenu de Niamey début 2024, après le départ des troupes françaises, la dénonciation de l’accord de défense signé en 2012 par le Niger avec les États-Unis et qui permettait encore une présence militaire américaine d’un millier d’hommes. Dans le Pacifique, la Chine cultive son collier de perles insulaires, comme aux Îles Salomon pour ne donner qu’un seul exemple. Alain Frachon, dans le Monde du 10 novembre 2023, avait raison de rappeler la signature, le 4 février 2022 à Pékin, d’une déclaration « d’amitié sans limites » entre la Russie et la Chine, illustrée depuis par de très visibles visites officielles et de plus discrètes coopérations techniques. Certaines postures de l’Iran – avec ses soutiens subalternes au Proche-Orient dont au Yémen et son rapprochement avec des pays riches en minerais comme le Niger -, de la Turquie – au crédit de laquelle on pourrait porter l’une des rares parenthèses de modération dans le conflit déclenché par la Russie, à savoir l’arrangement sur les exportations navales de céréales ukrainiennes – voire de l’Azerbaïdjan – qui, en prenant le contrôle total du Haut-Karabakh, a obtenu du même coup le départ des forces d’interposition russes – peuvent s’assimiler à ces stratégies de puissance, à tout le moins au niveau régional.
Au-delà, ce sont aussi bien des déstabilisations qui sont générées par cette guerre hybride menée par le régime de Moscou en amplification du conflit sur le terrain et dénoncée par Volodymyr Zelensky à chacune de ses rencontres avec les Occidentaux. Face au besoin de toujours plus de soldats, les ressources internes, même tirées des marges asiatiques du territoire russe, ne semblant plus suffire, la Russie n’hésite pas à attirer des mercenaires comme le révèlent quelques épiphénomènes : 500 ex-militaires sri-lankais engagés dans les rangs russes et certains fait prisonniers en Ukraine, beaucoup d’Indiens et de Népalais, ou encore des Cubains. Plus ouvertement documentées : les actions d’influence par des moyens « traditionnels » mais renouvelés via les réseaux sociaux cultivant un discours « anti-impérialiste ». Plus encore, la guerre entraîne son cortège de sanctions et d’embargos contournés par des circuits plus ou moins opaques, de tensions sur les marchés de l’énergie et des matières premières alimentaires, de recours à des livraisons d’armes échappant aux contrôles que la période plus pacifique de l’après- Guerre froide avait permis d’instaurer progressivement, de mobilisation de ressources financières qu’en Occident on peine à maintenir dans des limites légales comme le montre le débat sur les intérêts des avoirs de la Banque centrale russe immobilisés sur le sol européen. Il n’est pas jusqu’aux compétitions sportives qui ne soient bousculées par le désordre ambiant.
Bien loin des idéaux moraux et religieux de justice et de paix internationales, la guerre en Ukraine et l’absence même de perspectives de négociations pèsent sur les consciences mondiales
Sans verser dans la naïveté de croire que toutes relèvent d’intentions pures, on se doit de relever que les initiatives de paix en provenance du Sud n’ont pas manqué pour essayer de mettre fin à dix ans de tensions et désormais d’affrontements : Chine en février 2023, le Brésil de Lula en avril, l’Indonésie puis l’Afrique, sous la conduite du président Cyril Ramaphosa en juin. Ces tentatives illustrent, à tout le moins, la prise de conscience par le Sud global des répercussions du conflit sur les marchés des matières premières agricoles ou énergétiques ou sur l’enchérissement des dettes et les poussées inflationnistes sur des économies fragiles en Asie, Afrique et dans les Caraïbes. Mais, pour autant que l’on puisse en juger loin des chancelleries et des expertises stratégiques, aucune de ces initiatives ne semble avoir prospéré.
Peut-on espérer plus et mieux de la conférence sur la paix en Ukraine annoncée pour la mi-juin 2024 dans le luxueux palace du Bürgenstock à Lucerne et dont la préparation a été amorcée un an plus tôt à Copenhague dans une relative discrétion ? On ne peut que le souhaiter tout en relevant que le printemps 2024 a été plutôt marqué sur le terrain par une accentuation des combats, une pression accrue sur une Ukraine en défensive et des perspectives d’accroissement des moyens militaires engagés de part et d’autre, aides alliées comprises là aussi de part et d’autre.
Dans ce contexte, Justice et Paix ne peut que tourner son regard vers le Saint-Siège. Peu de temps après le début de son pontificat et dans cette période de basculement de 2013-2014 évoquée plus haut, le pape François a appelé les consciences à s’inquiéter d’une « troisième guerre mondiale en morceaux » : assurément l’intervention russe en Ukraine en est une illustration et, depuis deux ans, le Saint-Père en dénonce tous les maux : combats, massacres, victimes civiles et militaires, migrations forcées, traumatismes physiques et moraux, vengeances, recours aux armements et à leur approvisionnement, et même menace nucléaire. Ses propos publics, place Saint-Pierre, les prières auxquelles il associe les fidèles, traduisent le souci de faire part de sa douleur lucide et de la partager; la discrète action diplomatique qu’il a confiée à plusieurs de ses proches, membres de la Curie ou cardinaux influents comme Matteo Zuppi, archevêque de Bologne, président de la Conférence épiscopale italienne et proche de la communauté de Sant’Egidio, illustre sa conviction qu’un champ reste possible pour identifier des voies de dialogue et esquisser des solutions d’apaisement, et que le Saint-Siège peut y contribuer. Sans doute, met-il ainsi implicitement en garde contre une certaine hypocrisie : la solidarité stratégique occidentale qui s’exprime à l’égard de l’Ukraine et le soutien à sa population qui va au-delà d’une simple compassion d’une partie de l’opinion publique mondiale ne doivent pas obscurcir la lucidité avec laquelle il faut juger d’un conflit qui fait saigner les corps – des dizaines, des centaines de milliers de corps – mais aussi les cœurs. Il est des voix russes qui s’élèvent contre le comportement du pouvoir de Moscou mais qui nous appellent aussi à ne pas ignorer l’histoire, locale, là où d’innombrables destins personnels russes ou ukrainiens se sont croisés. Il est des voix ukrainiennes qui crient l’insupportable agression et l’héroïsme de la résistance, mais admettent que les souffrances ne pourront demeurer sans fin. Toutes sont entendues au Vatican. Le Saint-Siège, respectueux des États mais porteur d’une exigence universelle de paix, pourra-t-il contribuer, avec patience mais détermination à une solution juste ? Il faut vraiment l’espérer.
Juin 2024
Un regard sur des situations actuelles
Les conflits du XXe siècle semblaient s’écarter pour la plupart, du moins aux yeux des occidentaux, des motivations religieuses, pour s’articuler sur des motivations politiques (nationalisme, décolonisation), idéologiques (socialisme ou communisme face au libéralisme), avec des formes plus traditionnelles (conquêtes territoriales ; questions des minorités). Or plusieurs conflits actuels semblent comporter des éléments relevant plus directement du « religieux ». Ce n’est certes pas une nouveauté : la partition de l’Inde britannique entre hindous et musulmans, du Pakistan et du Bengladesh, lors de l’indépendance constitue sans doute l’exemple le plus dramatique humainement. Mais la dimension religieuse des conflits actuels au Proche et Moyen-Orient (islamisme dit radical ou extrémiste, et plus loin en Asie (à nouveau en Inde où le régime actuel utilise l’hindouisme contre les minorités ; en Birmanie contre les Rohingyas, etc.) progressent dans les motivations, réelles ou avancées, les analyses, et même les pratiques d’affrontement : terrorismes, déplacements de populations, cruautés…
Il en va de même dans les affrontements en Israël / Palestine et ses formes extrêmes à Gaza. D’un côté, le sionisme, qu’un observateur divisait entre sionisme « messianique », groupes religieux dont l’influence gouvernementale a considérablement grandi depuis une quinzaine d’années, et qui se réfère à des notions bibliques (terre promise) ; un sionisme « laïque » ; et enfin un sionisme « d’aubaine » profitant d’aides gouvernementales plus importantes si on s’installe dans les colonies de Cisjordanie qu’en Israël même. De l’autre, des courants islamistes, qui ne croient plus aux mécanismes politiques d’origine occidentale (« processus de paix ») et utilisent de prétendues références coraniques pour légitimer leur violence, y compris le terrorisme. Mais on voit aussi ces dérives religieuses dans le contexte de la guerre en Ukraine, avec des oppositions internes entre Églises orthodoxes, le pouvoir russe mobilisant le facteur religieux pour s’opposer à ce qu’il nomme la décadence morale occidentale… Aux États-Unis, la représentation générale d’avoir à jouer un rôle messianique dans une tradition puritaine s’articule sur le courant évangélique, appuyé sur des interprétations résolument littérales de la Bible pour influencer les décideurs politiques et notamment soutenir la politique messianique de l’État hébreu. La plupart de ces pratiques politiques, qui recourent à une violence soi-disant légitimée par le religieux, méritent d’être interrogées dans l’usage qu’elles font de la religion.
Une perspective chrétienne et un problème permanent…
Pour le christianisme, la parole de Jésus rapportée par les Évangiles « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 15-22) introduit une distinction entre ce qui relève du pouvoir politique et de la compétence religieuse. L’expression évangélique apparaît dans un contexte polémique qui recèle deux dangers : soit Jésus dit qu’il faut payer l’impôt à César et il apparaît comme un collaborateur de l’occupant ; soit il se prononce contre et il s’expose, ainsi que ses proches, à une répression terrible. Cependant, la tradition chrétienne a repris constamment cette expression pour éviter une confusion, en se basant sur une séparation entre les pouvoirs.
Le mode de rapport s’est cependant diversifié selon les confessions chrétiennes. L’orthodoxie conjoint facilement les appartenances nationales et ecclésiales. Dans la Réforme, Luther a évolué dans ses interprétations : pour sortir des guerres civiles, dites de religion notamment dans l’Allemagne de la guerre de Trente Ans, on préconisa que les sujets adoptent la religion de leur prince. Dans le même temps en France, le souverain fondait son pouvoir absolu en se présentant comme le protecteur de la religion catholique, ce qui lui permettait de la contrôler étroitement. Le plus souvent, la religion se trouve instrumentalisée par le politique. La pratique demeure toujours complexe, puisqu’il s’agit des mêmes individus qui sont à la fois citoyens d’un pays et membres d’une religion ou en-dehors de toute appartenance religieuse.
En France, la notion de laïcité, qui « sépare » le politique et les confessions religieuses, a l’ambition de créer un espace relativement pacifié. Mais des problèmes pratiques apparaissent tous les jours et les applications diffèrent tellement que l’article consacrée à la laïcité dans Wikipédia donne des définitions et surtout des règles subséquentes pour presque chaque État, sans compter ceux qui définissent une religion nationale : type État islamique, quitte à définir des tolérances variables… Dans le cas de la France, les lois de séparation (1905) ont tendu les relations, au moins jusqu’à la guerre de 1914, qui après des accusations souvent injustes contre le Vatican et l’Église de France, se sont paradoxalement inversées. La participation sans réserve des catholiques à la guerre ainsi que les souffrances communes ont rétabli une large confiance. La séparation ne signifie pas absence de relations, puisque les membres d’une religion sont aussi des citoyens : le débat a lieu en chaque individu pour éviter un clivage imaginaire, mais aussi dans la société.
La situation actuelle demeure ambiguë : on constate une régression du religieux en Europe, une majorité de Français se dit ainsi « sans appartenance religieuse » (51% en 2023). Mais dans le même temps on note un « retour du religieux », avec un pluralisme qui, sous certaines formes, peut paraître inquiétant.
L’approche théologico-politique éclaire-t-elle le débat ?
Sans nul doute, le théologique et le sacré influent sur le politique, lequel s’est longtemps tourné vers le religieux pour légitimer et souvent fonder son propre pouvoir, assurer la cohésion sociale et éloigner un chaos susceptible de ruiner la vie commune. Les pouvoirs temporels exercés par les clergés participent souvent de cet objectif, même s’ils peuvent être aussi un facteur potentiel d’opposition.
Pour se limiter au XXe siècle en Europe occidentale, un débat intellectuel à propos du théologico-politique fut relancé, entre les deux guerres en Allemagne, par le juriste Carl Schmitt (1888-1985) ; il soulignait, en historien du droit, les racines chrétiennes de nombreux concepts politiques européens. Le théologien d’origine protestante Erik Peterson (1890-1960), converti plus tard au catholicisme, s’est opposé dès l’origine à cette conception, en soutenant que les deux notions sont séparées dans le Nouveau Testament, et par ailleurs que la notion de Trinité s’opposait fondamentalement à une conception totalitaire de la souveraineté politique. Si Schmitt fut grandement disqualifié en raison de son appartenance assumée au parti nazi, sa mise en avant de l’opposition « ami-ennemi » comme une affirmation déterminante de l’identité nationale, ainsi que l’importance d’une capacité de décision souveraine, notamment dans les situations dites « exceptionnelles », a profondément marqué les esprits et surtout des constitutions nationales. Ainsi, son ami et introducteur le juriste Julien Freund reprit, dans sa définition du politique, l’opposition ami-ennemi, considérée comme fondamentale pour beaucoup, y compris en raison de ses racines religieuses.
Le théologico-politique, malgré sa négation même dans la pensée de Peterson, du moins pour le christianisme, représente-t-il une catégorie pertinente pour traiter des rapports entre le religieux et le politique ? La pensée dominante, du moins en Europe sinon en Occident, préfèrerait s’en tenir au constat statistique un peu simpliste de l’entrée dans une ère « post-métaphysique » ; mais elle se trouve confrontée à la réalité de courants religieux et à des pratiques très vivantes, dont les effets politiques sont incontestables. Cela est vrai dans le judaïsme, où les courants orthodoxes ont une influence déterminante sur la politique israélienne. On le note aussi dans le christianisme puisque le rôle des évangéliques conservateurs est décisif dans le corps électoral aux États-Unis et en Amérique du Sud. On le retrouve également dans les revendications des droites et extrêmes droites en Europe. Enfin, le poids des organisations musulmanes dans l’espace arabo-islamique influe sur les gouvernements, au-delà de ses formes extrémistes ; il s’étend dans les pays d’immigration, soit pour reconstruire une identité bousculée, soit pour certains, souvent incultes d’un point de vue religieux, en vue de justifier leur recours à la violence. Tout se passe comme si la représentation courante, en Occident ou du moins en Europe, d’un religieux en déclin et vouée à sa disparition progressive s’avérait fausse et contre-productive dans l’analyse des situations politiques contemporaines, notamment conflictuelles.
Un passage par les références éthiques
Certes, le catholicisme – fidèle à cette appellation – a toujours privilégié une vision universelle de l’humanité, même s’il y eut des hésitations malheureuses à propos des esclaves ou des peuples colonisés. La tradition catholique, notamment avec l’enseignement social de l’Église (ou doctrine sociale), s’est efforcée au cours du dernier siècle, d’analyser les situations socio-politiques grâce aux outils fournis par les sciences sociales et les approches philosophiques, mais aussi en prenant appui sur la parole des personnes impliquées et l’expression de leurs organisations représentatives. À partir de cette analyse des situations, une évaluation éthique peut se faire, ce qui permet de partager un vocabulaire commun entre différents courants de pensée. L’attitude politique ne découle donc pas directement d’un corpus religieux, elle transite par une approche éthique toujours en débat ; ce qui évite une disjonction radicale entre les approches politiques et religieuses.
Dans le même temps, la réflexion éthique et morale se nourrit de références bibliques, dans le cadre d’une tradition ecclésiale. Il y a donc un jeu continu d’interprétations et non la simple affirmation de principes bruts. L’héritage chrétien peut prendre place dans le débat commun en apportant ses propres références. Il reçoit aussi des questionnements qui l’aident à prendre conscience de ses points aveugles, par exemple quand le sacré sert à couvrir des dominations, des abus, voire des crimes.
Quelques références majeures, qui éclairent les enjeux sociaux et politiques, peuvent être évoquées. Tout d’abord un principe fondamental : « choisis la vie et non la mort ! » On peut l’opposer à ceux qui légitiment des attentats et des actes de guerre pour des raisons religieuses. Un tel principe n’élimine pas toute violence comme par enchantement, les rapports humains comportant toujours une dimension conflictuelle, mais il met en garde contre la fascination liée au pouvoir sur la vie et la mort d’autrui. De telles passions perverses ne sont pas seulement individuelles, elles peuvent aussi contaminer l’opinion publique et pousser à l’action destructrice, tandis que le pouvoir politique mobilise une telle propension à dominer l’autre pour s’imposer et asservir.
Une possible référence commune
Dans la continuité du judaïsme, le fait de « choisir la vie » implique la prise en compte de la dignité de tout être humain, quelle que soit sa race, sa religion, sa position sociale. Sur ce point le christianisme a ouvert la voie à l’universalité (cf. la parabole du bon Samaritain, l’énoncé de Paul « Il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme. » (Ga 3, 28). Après les apports des Lumières, même s’il a fallu du temps, l’Église catholique a salué la Déclaration universelle des droits humains (DUDH) comme une étape décisive sur la route de l’humanité. La dignité inaliénable de chaque être humain se trouve associée étroitement à une culture du bien commun, de telle manière qu’on n’en reste pas à une affirmation formelle des droits, laissant de côté les conditions concrètes d’existence : d’où l’importance accordée aux droits sociaux selon la DUDH, mais aussi au rôle du politique comme organisateur du bien commun. L’Église rappelant qu’aujourd’hui le bien commun doit être mis en œuvre à l’échelle de l’humanité entière, sous le mode de solidarités effectives.
Une référence ultime indique le sens des principes énoncés et apparaît comme un accomplissement : oser parler de fraternité universelle, mais aussi d’amour. C’est toute la question du messianisme, que l’on peut comprendre dans le christianisme comme une utopie incitative évoquée en termes de « Royaume de Dieu », lequel est « déjà là » (donc à l’œuvre) et « pas encore » (donc toujours en attente), au sens qu’aucune réalisation historique ne peut être confondue avec l’accomplissement espéré. Mais certains, dont les évangélistes, vont y voir une incitation à accélérer sa venue, par exemple en soutenant les politiques d’expansion israélienne. L’héritage néo-testamentaire retient la promesse d’alliance, en notant que celle-ci ne peut être réservée à un peuple particulier : elle concerne l’ensemble de la communauté humaine, mais aussi, selon des modes divers, le vivant et la création tout entière. L’actuel questionnement écologique provoque à une ouverture de notre conception de l’alliance : un ensemble de relations sous le signe du respect, mais aussi de l’amour qui, selon la Bible, a présidé à la création et prépare à la réconciliation finale, quand « Dieu sera tout en tous » (1 Co 15, 28).
En politique comme en religion, dépasser la polarisation sur l’Un !
Une telle récapitulation, trop rapide, peut être source de malentendus. D’autant que le rapport au monothéisme est susceptible d’ouvrir à des visions totalisantes, voire totalitaires, de la vie commune. Dans le cadre des critiques du totalitarisme au XXe siècle, Claude Lefort et d’autres, ont notamment mis en cause la polarisation sur l’Un, qui en vient à promouvoir une vision globalisante, non plurielle, de la société et à légitimer ainsi un pouvoir fort incarné en un individu. Un autre apport de la philosophie morale contemporaine montre que le conflit n’est pas un danger pour la démocratie, mais au contraire son mode de fonctionnement même, dès lors qu’il s’arrête à l’approche obscure de la violence.
D’un point de vue social et politique, la vie commune ne peut alors être comprise à la manière d’un ensemble homogène soumis à un chef suprême. L’organisation d’une vie commune sera considérée en tenant compte des tensions, des différences et des relations qui constituent la société. Une telle perspective théologique donne à penser et à vivre en matière de fraternité (des relations qui osent s’exprimer en termes d’amour) et de démocratie (les différences sont vues comme une chance, à condition qu’elles soient vécues sous le signe du respect mutuel et du désir de rencontre). La politique ne devra pas demander à ceux qui se rattachent à une religion d’être moins « religieux », mais au contraire de l’être mieux, en allant au cœur de la foi qu’ils confessent. On sait que la ferveur religieuse risque aujourd’hui d’être considérée comme un risque de radicalisation dangereuse ! Il faut donc toujours préciser de quelle forme religieuse on parle. D’autre part, les communautés religieuses, à commencer par celles qui s’inscrivent dans la tradition chrétienne, doivent aussi s’organiser d’une manière qui soit conforme à leur profession de foi, les dérives institutionnelles risquent toujours de l’emporter sur le dynamisme de l’amour proclamé.