Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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6 mars 2024,

Bien qu’au premier regard peu de choses rapprochent les guerres en Ukraine et en Palestine, si ce n’est leur simultanéité, un peu de recul fait apparaître d’étranges similitudes.

D’abord, deux des dix premières puissances militaires et nucléaires mondiales, la Russie et Israël, combattent des pays (on ne peut employer le mot État pour la Palestine) qui soit s’en sont défaites (Ukraine), soit n’en dispose évidemment pas.

Les enjeux (on ne peut parler de « but de guerre », ni déclaré, ni avouable) sont des territoires, dont il s’agit de chasser la population au pire, au mieux de la contrôler. À ce stade (mars 2024), ces deux puissances ont obtenu des gains territoriaux conséquents. La Russie occupe avec la Crimée et le Donbass environ 20 % du territoire ukrainien et dans les hypothèses de négociations sur un « compromis pour la paix », il est peu probable qu’elle se retire sur les frontières d’avant l’annexion de la Crimée. Israël, derrière de légitimes opérations de représailles suite au crime de guerre du 7 octobre, a détruit plus de la moitié des habitations de la bande de Gaza, le nord étant devenu un no mans land protecteur vidé d’une population poussée vers le sud où on ne voit plus comment un million et demi de personnes reviendraient.

L’agression est présentée comme une réaction de défense. Ces deux puissances nucléaires et conventionnellement surarmées ont avancé des justifications invraisemblables à leurs actions. La Russie affirme agir préventivement pour se prémunir d’une attaque par les nazis ukrainiens et les forces de l’OTAN, et réactualise « la Grande Guerre patriotique » (1942-1945), voire la menace séculaire de l’Ouest décadent. Israël, État nucléaire, dixième puissance militaire, inconditionnellement soutenu par les États-Unis, en poursuivant ses opérations militaires parce que prenant au pied de la lettre les proclamations aussi incendiaires qu’irréalistes de voir sa population rejetée à la mer. Ces références ne servent qu’à éviter la définition actuelle de « buts de guerre » crédibles. À ces brouillages de la propagande à court terme, la Russie ajoute que l’Ukraine a toujours fait partie de l’empire aujourd’hui requalifié en « monde russe » afin d’y inclure les territoires frontaliers russophones, voire les populations extérieures d’origine russe. En Israël, pour certains théocrates, parvenus démocratiquement au pouvoir, l’affirmation qu’une zone allant de l’Euphrate au Nil, ou pour les modérés du Jourdain à la mer, lui revient comme don de Dieu, s’appuie sur des interprétations messianiques, largement soutenues aux États-Unis par d’influents évangéliques. L’utilisation contemporaine de l’histoire ou de ses fictions ouvre la comparaison avec un autre lieu de confrontation potentiel :la revendication de Taïwan par la Chine. Le statut de victime est toujours très recherché, surtout par les plus forts, qui ont évidemment plus de peine à en faire la preuve.

Les formes nouvelles de la guerre
Quand on observe ces deux affrontements en cours, certes très différents dans leurs acteurs, apparaît l’importance des transformations de la guerre elle-même, malgré les représentations traditionnelles qui perdurent. Ni la « terre brûlée », ni les guerres d’anéantissement de l’adversaire, ne sont des innovations. Mais les capacités techniques employées changent quantitativement et qualitativement les opérations. Elles utilisent des moyens de destruction considérables, depuis des bombardements massifs jusqu’à des frappes relativement ciblées. Il y a moins des « champs de bataille » que des affrontements et destructions urbaines élargies. D’où plusieurs conséquences : elles atteignent majoritairement les civils, qui en Ukraine comme en Palestine sont quantitativement beaucoup plus touchés que les militaires, surtout si on intègre les « réfugiés ». Le « nettoyage » des populations par déplacements ou extermination est (re)devenu pratique courante. Quant aux forces militaires, les capacités techniques (missiles, drones) reposent la question de l’infanterie : faut-il des forces spéciales ou recourir à des forces massives et à terme à la conscription ? Par ailleurs, l’importance des munitions nécessaires dans tous les cas fait apparaître des dépendances vis-à-vis d’acteurs extérieurs fournisseurs, justifiant des « alliances », de jure ou de fait, mais aussi des choix politiques de tiers, ainsi les fournitures étasuniennes à Israël pèsent sur les possibilités d’aide à l’Ukraine.

Ces conflits locaux ont déjà eu pour conséquences, d’une part de relancer dans plusieurs États tiers les « économies de guerre », d’autre part ils influent sur les échéances électorales et en dépendent. Dans les démocraties ou dans les régimes autoritaires, risques, menaces, guerres et peurs surdéterminent les demandes sociales, et deviennent les thèmes privilégiés et les motivations des candidats.

Enfin, dans des affrontements asymétriques les tiers ne peuvent intervenir contre les plus forts, soit en raison des rapports de forces crées par le nucléaire ou les soutiens extérieurs (États-Unis pour Israël ; Chine et en partie « les pays du Sud » pour la Russie). Soit, plus gravement, en raison des blocages des institutions et du droit international (droits de veto au Conseil de sécurité ; mépris des résolutions : ajournement des mesures réclamées…). La régression généralisée des institutions du droit international décrédibilise les efforts de décennies de tentatives de régulation.

 

5 mars 2024

Déclaration
Nous, responsables religieux chrétiens de France, sommes solidaires de toutes les victimes de la guerre entre Israël et le Hamas et appelons au cessez le feu. Porteurs des valeurs de l’Évangile, nous souffrons de la désespérante situation que connaissent plus de deux millions de personnes vivant dans la bande de Gaza. Nous tenons à affirmer que la restriction d’accès à des ressources essentielles telles que les soins médicaux, la nourriture et l’eau est fondamentalement inhumaine.
Nous nous sentons solidaires de toutes les victimes de cette guerre, particulièrement des populations civiles mais aussi des soldats ou des combattants qui portent et porteront les conséquences des actions qu’ils doivent mener. Nous avons exprimé notre solidarité au lendemain de l’attaque terroriste du 7 octobre 2023. Nous la redisons, comme c’est notre devoir, après la tuerie de plus d’une centaine de gazaouis affamés qui a eu lieu le jeudi 29 février 2024, et oblige à voir ce qu’il y a d’inhumain dans la situation présente.
Les objectifs militaires et les intérêts politiques poursuivis par cette guerre ne peuvent négliger la priorité que revêt la sauvegarde de toute vie humaine. Nous réprouvons les actes de violence qui exacerbent la souffrance humaine et empêchent l’émergence d’une paix durable. Nous exhortons les parties prenantes de cette guerre à faire de la protection de la vie humaine et de la dignité des civils leur plus haute priorité.
Dans cet esprit, nous demandons instamment à tous les responsables politiques et religieux d’intensifier leur action pour mettre fin à cette violence et de prendre les mesures essentielles dans le cadre d’un processus visant à instaurer une paix durable entre Israéliens et Palestiniens. Nous demandons notamment
– Un cessez-le-feu immédiat, pour assurer l’acheminement d’une aide humanitaire indispensable, en premier lieu les soins médicaux, la nourriture et l’eau,
– La libération immédiate de tous les otages conformément au droit international humanitaire et aux droits humains ;
– Des efforts internationaux pour ouvrir par le dialogue une nouvelle voie politique vers une paix durable, relancer le débat sur une solution viable à deux États, et entamer le travail sur la guérison des mémoires de tous les habitants de la région.
En ce temps de carême, nous invitons les chrétiens de toutes les confessions à continuer de porter instamment la situation du Proche-Orient dans leur prière, à ne pas s’habituer à cette situation de guerre et de violence, à être facilitateurs de dialogue et de rencontre là où les sensibilités des uns et des autres s’opposent, à prier et travailler sans relâche pour que tous puisent dans leur religion des raisons de servir la paix et dépasser les peurs et les colères.

Les sionismes avant 48
Jusqu’à 1914, 1, 6 millions de Juifs fuient les persécutions et quittent l’Europe orientale. 90 % vers les États-Unis et le Canada, 2 % vers la Palestine. Le Premier Congrès sioniste réunit par Herzl à Bâle en 1897 ouvre d’innombrables débats entre partisans d’une intégration aux États existants et tenants de la fondation politique d’un territoire où les Juifs seraient enfin en sécurité.

Soucieux de diriger l’émigration juive de Russie hors du Royaume Uni, le Premier ministre britannique, Arthur Balfour, philosémite biblique et son ministre des Colonies Chamberlain envisagent le nord-est du Sinaï (1902), voire l’Ouganda (1903). Puis en novembre 1917, les dirigeants britanniques et américains chrétiens adoptent la Déclaration Balfour : « le gouvernement envisage favorablement l’établissement d’un foyer national pour le peuple juif en Palestine ». La centralité de Jérusalem est imposée.

En juillet 1922, la SDN approuve le mandat britannique sur la Palestine. Au-delà des acquisitions de terres, seules les aspirations nationales du peuple juif sont reconnues. Les gouvernements étasuniens soutiennent les immigrations juives en Palestine, par fondamentalisme chrétien et pour limiter celles vers les USA.

Afin de faire face aux soulèvements arabes croissants contre l’immigration juive, les Britanniques organisent des milices juives (Haganah : Défense), mais tentent surtout de plafonner l’immigration. Les dirigeants sionistes (Ben Gourion et Benzion Netanyahou) se retournent alors vers les politiciens américains, qui cherchent moins à favoriser un « vote juif », qu’à obtenir celui des sympathisants chrétiens du sionisme. Truman demande à la Grande Bretagne en août 1945 de favoriser l’immigration de 100 000 rescapés du nazisme et en 1946 l’établissement d’un « État juif viable dans une partie convenable de la Palestine ». Londres transfère la question à l’ONU.

La commission de l’ONU recommande (juillet 47) le retrait britannique, l’indépendance de la Palestine et un plan de partage. Dès le vote (29 novembre 47) une guerre civile éclate et à l’approche du retrait britannique, Ben Gourion proclame l’État d’Israël (14 mai 48). Cinq armées arabes sont repoussées et le 1er décembre un Office des Nations Unies de secours et de travaux (UNRWA) est créé, financé pour moitié par les États-Unis.

En 1949, Israël signe des cessez-le-feu avec les États arabes voisins. Israël s’étend désormais sur 78 % de l’ancienne Palestine. C’est la Nakba (la Catastrophe) pour les Palestiniens, dont 700 à 900 000 fuient vers les pays proches.

L’installation 1948-1967
En juillet 1950 une « loi du retour » permet à tout Juif d’effectuer son alya en Israël, et la loi sur « les biens des absents » transfère à des institutions sionistes les propriétés des Arabes absents depuis le partage de l’ONU.
1956. Le canal de Suez que Nasser voulait nationaliser, est contrôlé par les forces britanniques et françaises, tandis que l’armée israélienne s’empare de Gaza et du Sinaï. Mais les USA et l’URSS imposent les retraits. Ben Gourion s’engage dans l’obtention de l’arme nucléaire avec l’aide française.
1967. Nasser bloque le port israélien d’Eilat, et avec la Syrie, la Jordanie et l’Égypte encercle Israël qui passe à l’offensive et s’empare (guerre des 6 jours) de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie, de Gaza, du Sinaï égyptien et du Golan syrien. En 1969 les travaillistes se rallient à Golda Meir qui affirme qu’il « n’y a jamais eu de nation palestinienne ».
L’expansion coloniale 1973 (octobre), l’Égypte et la Syrie attaquent Israël (guerre du Kippour) mais un pont aérien (feda) étasunien d’assistance militaire permet d’établir un cessez-le-feu au bénéfice d’Israël et des désengagements progressifs. Les colons, (Bloc de la foi) bien que minoritaires, multiplient les implantations (Naplouse, autour d’Hébron…) et des « faits accomplis » que Rabin accepte.
En 1977 les conservateurs du Likoud arrivent au pouvoir. En mars 1978, le leader palestinien Arafat infiltre des fedayins en Israël auxquels Begin riposte au Liban. Le président Carter organise une rencontre Begin-Sadate, d’où les accords de Camp David qui restent sans effet. À la suite de nouveaux affrontements au Liban, Reagan obtient un cessez le feu (1982), le retrait israélien du Sinaï et le démantèlement d’une colonie en territoire égyptien.
Israël intervient alors contre l’OLP et Arafat au Liban ; ce dernier, assiégé à Beyrouth, est évacué par les États-Unis et la France vers Tunis où il s’installe avec son état-major.
De 1987 à 1993 des soulèvements palestiniens pas ou peu armés (Première Intifada, guerre des pierres) se multiplient, durement réprimés par Shamir, pendant que les colons, passent de 1985 à 1990 de 46 000 à 81 000, notamment du fait de l’immigration de 185 000 Juifs suite à l’éclatement de l’URSS.

Des « accords » d’Oslo à ceux d’Abraham et la progression électorale continue vers la droite.
1993. Le gouvernement Rabin, élu en juin, pousse à des accords entre Israël et l’OLP. À Oslo Arafat reconnaît Israël et Israël une Autorité palestinienne sur les territoires évacués. Les extrémistes juifs s’indignent et Rabin est assassiné le 4 novembre1994. Une vague d’attentats-suicides du Hamas en février-mars 1996 sert les critiques de Netanyahou contre les travaillistes. Le Likoud l’emporte aux élections en mai. Netanyahou, annonce de nouvelles colonies (1997), sabote la mise en œuvre des accords passés et de ceux obtenus par Clinton (Wye Plantation).

En septembre 2000, Sharon « visite » l’esplanade des Mosquées, provoquant la Deuxième Intifada, soulèvement palestinien armé et attentats suicides. Le leader travailliste Barak, malgré son profil de militaire intransigeant, est battu par Sharon en février 2001. Les colons en Cisjordanie (et Gaza) passent de 110 000 en 1993 à 190 000 en 2000. Nouvelles élections triomphales pour Sharon en 2003, tandis que Mahmoud Abbas, premier chef du gouvernement palestinien appelle à la démilitarisation de l’Intifada et à l’arrêt des violences. Sans effet, il démissionne ; les chefs du Hamas sont tués dans des attentats ciblés et les murs de séparation étendus, séparant les maintenant 235 000 colons.

Septembre 2005. Retrait unilatéral de 8 000 colons Israéliens de Gaza, dès lors bombardée en réponse aux périodiques tirs de roquettes. La division entre l’OLP d’Abbas et le Hamas se territorialise et les négociations ne peuvent aboutir : Israël reste intransigeant et l’OLP ne représente plus qu’une partie des Palestiniens. Netanyahou à nouveau vainqueur des élections en 2009 s’allie aux partis ultraorthodoxes et flatte les sionistes chrétiens américains liés au Parti Républicain, plutôt que la majorité juive, démocrate. Malgré sa visite, Benoît XVI en mai 2009 n’obtient pas l’exemption d’expropriation des possessions du Vatican en Terre-Sainte. À chaque élection (2015) la droite et l’extrême droite progressent ; les colons atteignent 540 000 dont 200 000 à Jérusalem-Est que Trump reconnaît comme capitale (2018). En juillet, Netanyahou fait adopter par la Knesset une « loi fondamentale » où Israël devient « État-nation du peuple juif ». Les élections à répétition ne permettent pas la formation d’un gouvernement, mais les colonies passent à 650 000 colons.

Septembre 2020. Israël signe des accords de reconnaissance et de paix dits d’Abraham avec les Émirats Arabes Unis, Bahreïn, le Soudan et le Maroc, la question palestinienne n’est pas abordée. En revanche, en mai 2021 des émeutes « de la dignité » ont lieu à Jérusalem-Est, des affrontements à Gaza et en Cisjordanie, et surtout intercommunautaires en Israël même où une majorité juive considère désormais la coexistence impossible. Aux élections de novembre 2022, le Likoud arrive en tête, et l’alliance des suprémacistes et des ultra-orthodoxes devient le troisième parti, obtenant les ministères de la Défense et de la Sécurité nationale. Mais c’est le projet de réforme de la Justice neutralisant la Cour Suprême et menaçant l’ensemble des juges qui provoque des manifestations énormes contre Netanyahou et son gouvernement dès janvier 2023.

L’hiver des massacres octobre 23/ printemps 24
7 octobre 2023.
 Opération terroriste du Hamas au sud d’Israël. 685 civils israéliens, 373 membres des forces de l’ordre et 71 ressortissants étrangers sont tués et plus de 250 otages enlevés. Les représailles / tentatives de libération des otages / destructions des villes commencent et, en mars 2024, les deux /tiers de la population de Gaza s’entassent au sud de l’enclave, dont la moitié est détruite, les morts se comptant par dizaines de milliers.