Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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L’arme nucléaire est présentée par les pays qui la détiennent ou leurs alliés comme une garantie essentielle de sécurité : pour les États-Unis, elle « réduit la probabilité » d’une attaque nucléaire sur leur territoire et protège le territoire de leurs alliés[1]. Pour la France, elle représente même « la clef de voûte de [sa] sécurité[2] ».

 

Ces discours occultent les dangers de la dissuasion : dans un système international qui n’est plus structuré par les disciplines de la guerre froide, où l’ONU reste faible et où la prééminence américaine ne peut à elle seule garantir la paix, la coexistence de huit (Etats-Unis  Russie, Chine, Royaume-Uni, France, Israël, Inde, Pakistan) et sans doute neuf puissances nucléaires (avec la Corée du Nord) est inquiétante. La modernisation continue des arsenaux nucléaires et leur maintien, pour partie, en état d’alerte permanente entretiennent un risque  de catastrophe  pour les populations et l’environnement. Sur plusieurs lignes de fracture géopolitique (Ukraine-Russie, Cachemire, péninsule coréenne…), la possibilité d’irruption du facteur nucléaire dans une confrontation conventionnelle est réelle et semble croître avec le temps. Il n’existe pas de garantie absolue contre l’éventualité d’un échange de tirs nucléaires par accident ou erreur d’appréciation.

 

Crainte de percées technologiques

 

Parallèlement, l’époque des réductions de capacités paraît révolue. Même si le nombre d’ogives diminue aux États-Unis, en Russie, au Royaume-Uni et en France, la crainte de percées technologiques dans le camp adverse alimente la course aux armements dans le domaine des vecteurs et des ogives : les dépenses annuelles consacrées à l’arme nucléaire sont estimées à plus de 100 milliards de dollars, un montant proche de l’aide au développement.

 

Enfin de nombreux pays interdits d’arme nucléaire par le traité de non-prolifération (TNP) acceptent de moins en moins un statut qu’ils jugent discriminatoire et s’appuient sur l’article VI pour réclamer un désarmement qui les replacerait en situation d’égalité face aux puissances nucléaires, reconnues ou non.

 

Plus fondamentalement, comme le souligne le pape François, l’équilibre stratégique que la dissuasion vise à établir est « fondé sur la menace d’une destruction réciproque ou d’un anéantissement total[3] ». On ne peut donc y voir une garantie durable de paix et de stabilité.

 

L’adoption d’un traité d’interdiction de l’arme nucléaire

 

La conscience des dangers de l’arme nucléaire a conduit la société civile internationale à demander une interdiction juridiquement contraignante de cette arme, à l’instar des armes chimiques et biologiques ; ce mouvement a rencontré le soutien de nombreux pays non nucléaires irrités de l’impasse des négociations de désarmement. En 2013 et 2014, trois conférences rassemblant jusqu’à 158 pays mettaient en relief les effets humanitaires catastrophiques d’un emploi de l’arme nucléaire et concluaient à la nécessité d’un traité d’interdiction. Le 7 juillet 2017, une Conférence internationale chargée par l’Assemblée générale des Nations Unies de négocier ce traité adoptait un texte approuvé par 122 États (dont le Saint-Siège), sans la participation des pays nucléaires ou bénéficiant d’une protection nucléaire.

 

Ce texte interdit aux parties signataires de « mettre au point, mettre à l’essai, produire, fabriquer, acquérir de quelque autre manière, posséder ou stocker des armes nucléaires ». Cette interdiction s’étend au transfert d’armes nucléaires et à leur déploiement. Pour les États non nucléaires, cette disposition ne fait que reprendre, pour l’essentiel, celles qui leur sont déjà applicables, notamment au titre du TNP. Elle a cependant le mérite de poser l’interdiction de l’arme nucléaire comme un principe général, ce qui devrait favoriser la délégitimation de cette arme et contraindre les puissances nucléaires à rendre compte dans les instances internationales – conférences d’examen du TNP, par exemple – des initiatives prises pour relancer le désarmement nucléaire.

 

En revanche une certaine faiblesse du dispositif du texte concerne la vérification : le contrôle de l’absence d’activités nucléaires militaires est laissé à l’Agence internationale de l’énergie atomique au titre du régime de garantie généralisée, dont l’expérience a montré l’insuffisance. L’adoption de dispositifs plus contraignants est renvoyée à la conférence des États parties ou à des conférences quinquennales. Enfin le traité proposé comporte une clause de retrait, analogue à celle contenue dans le TNP.

 

Mais cette initiative ne saurait être ignorée par les puissances nucléaires. Comme l’ont souligné, le 6 juillet 2017, Mgrs Hollerich et Cantu, présidents des Commissions Justice et Paix d’Europe et des États-Unis « le caractère indiscriminé et disproportionné des armes nucléaires, contraint le monde à dépasser la dissuasion nucléaire ». Il appartient donc désormais « aux États-Unis et aux nations européennes d’œuvrer avec les autres nations à l’élaboration d’une stratégie crédible, vérifiable et applicable d’élimination totale des armes nucléaires ».

 

 

[1] Nuclear matters Handbook, 2016

[2] Discours d’Emmanuel Macron devant le Congrès du Parlement, 3 juillet 2017

[3] Message à la Conférence des Nations Unies pour la négociation d’un traité d’interdiction des armes nucléaires, 23 mars 2017

Le « Développement humain intégral » est à la fois un regard sur le monde, un appel à la conversion et une approche holistique en vue de l’action. C’est en même temps une modalité théorique et pratique de poser le regard sur chaque manifestation de l’humain et du vivant couramment appréhendée comme inconciliable et exclusive.

 

La création du Dicastère pour le service du développement humain intégral

 

Cela est  si crucial aujourd’hui que le Pape François a décidé de créer en 2016 le Dicastère pour le service du développement humain intégral qui agrège quatre Conseils pontificaux : Justice et Paix, Cor Unum, Pastorale des migrants et des personnes en déplacement, Pastorale des services de la santé. Les compétences du dicastère portent sur une vaste gamme de thèmes: le développement, la justice et la paix, les migrations forcées et les migrants économiques, l’environnement, la santé.

Ce dicastère est présidé par le Cardinal Peter Turkson ; le P. Bruno-Marie Duffé, membre de Justice et Paix France et aumônier national du CFFD-Terre Solidaire, vient d’en être nommé secrétaire. Le travail de réflexion, de synthèse et d’élaboration de projets pour des actions de terrain, que les membres du Dicastère pour le service du développement humain intégral mèneront, s’inscrit à plein titre dans la Doctrine Sociale de l’Eglise, à partir de la lecture des liens qui unissent les encycliques Populorum Progressio (1967) et Laudato Si’ (2015).

De Populorum Progressio à Laudato Si’

 

La création du dicastère trouve son socle profond dans l’encyclique de Paul VI, Populorum Progressio, dont en 2017 on célèbre les 50 ans. Elle a été largement inspirée par Louis-Joseph Lebret, dominicain français dont la pensée et la pratique de terrain parcourront le monde entier entre 1941 et 1966. Parmi les sujets abordés, l’importance de l’encyclique Populorum Progressio réside dans la mise en valeur de la notion de développement humain intégral qui y apparaît pour la première fois (PP § 14, 43) : développement non seulement de l’homme mais aussi de l’humanité, mise en commun des ressources disponibles, appel final à la prise de conscience, compte tenu de l’urgence du changement à mettre en œuvre (§ 80).

Si la pensée moderne appréhende le développement sous l’angle strictement économique, en revanche, à partir du milieu du XXème siècle, les dérives d’un développement productiviste apparaissent pour construire une forteresse vide et mettent en crise l’idée même de progrès économique qui dans cette vision va de pair avec le développement humain.

Le caractère illimité du développement vise l’accroissement des richesses matérielles ; or « aujourd’hui, le fait majeur dont chacun doit prendre conscience est que la question sociale est devenue mondiale » (§ 3). Cela veut dire qu’il faut rechercher des nouvelles formes de coopération à l’échelle internationale où les problèmes doivent être traités selon le bien commun et dans l’intérêt des plus faibles pour enfin combattre une certaine dissymétrie entre pays développés, certainement autonomes mais pauvres en partage, et pays dépendants du point de vue économique et culturel, vulnérables mais non moins solidaires.

Avant même Populorum Progressio, en contre-tendance d’un mode de développement incessant, lors du concile Vatican II, Gaudium et Spes (1965) dénonçait les disparités existantes entre ceux qui ont pleinement accès aux ressources et ceux qui sont exclus d’un certain nombre de possibilités, et en même temps ouvrait à des interrogations sur la revendication d’accès  aux droits « tandis qu’un petit nombre d’hommes disposent d’un très ample pouvoir de décision, beaucoup sont privés de presque toute possibilité d’initiative personnelle et de responsabilité ; souvent même, ils sont placés dans des conditions de vie et de travail indignes de la personne humaine » (Gaudium et Spes § 63).

A défaut d‘une authentique prise en compte de l’humain, un réel questionnement ontologique et anthropologique prend toute son importance. Si l’idée intrinsèque à la pensée libérale d’un développement économique ne coïncide plus avec le développement de la personne humaine et de la planète entière, il faut opérer un profond changement de parcours pour rendre justice à l’homme et à ses multiples interdépendances qui coexistent au niveau de son identité propre, de liens sociétaux, communautaires, environnementaux que l’être humain tisse depuis sa naissance. A partir de Laudato Si’, il s’agit d’avoir sous un même et unique regard, la personne comme être de relation en lien avec l’écosystème dans lequel elle vit, interagit, travaille et admire l’univers.

 

Un être du besoin

 

Lebret regardait l’homme comme un être du besoin. Ses besoins répondent à sa double dimension, corporelle et d’esprit. Pour cela, il en isolait trois types : les besoins essentiels, propres au corps et à l’esprit dans leur aspect indispensable, les besoins de confort qui donnent le sens du bien-être et de la sécurité, et enfin les besoins de dépassement qui donnent sens et perspective à la vie. Or, il est propre à l’économie dite humaine de faire aller de pair les besoins basiques, inhérents à la vie du corps, avec ceux d’ordre relationnels, culturels et spirituels. Autrement dit, l’économie humaine ne trouve son accomplissement que dans la réponse qu’elle est capable de donner – que la politique et les gouvernements proposent – à ces trois besoins, en tant qu’attributs de chaque être humain, en élargissant l’horizon des possibles à la communauté humaine, prise dans ses aspects universels et particuliers, dans sa tension vers le pas encore qui pose une interrogation qui ne trouve pas de réponse dans le déjà.

Promouvoir tout homme et tout l’homme

 

A ce propos, un célèbre passage du chapitre 14 de Populorum Progressio éclaire la question: « Le développement ne se réduit pas à la simple croissance économique. Pour être authentique, il doit être intégral, c’est-à-dire promouvoir tout homme et tout l’homme. Comme l’a fort justement souligné un éminent expert : « Nous n’acceptons pas de séparer l’économique de l’humain, le développement des civilisations où il s’inscrit. Ce qui compte, pour nous, c’est l’homme, chaque homme, chaque groupement d’hommes, jusqu’à l’humanité tout entière.».

On assiste ici à la prise en compte englobante, inclusive et progressivement ouvrante sur l’homme, comme être irremplaçable et irréductible à un autre semblable, en vertu de son unicité et de sa dignité Dans le texte : tout homme.

Tout l’homme vise la complexe coexistence de multiples dimensions, inhérentes à la personne humaine, le corps, la vie intérieure, la vie relationnelle et sociale, le savoir et le savoir-faire, les aspirations et le désir, la foi, l’espérance et la capacité d’aimer.

L’humanité toute entière vise tous les hommes sans distinction, considérés dans leur universalité, capables de frayer des chemins pour rejoindre l’autre, des communautés.

Si, comme le pensait Levinas, le visage est l’expression d’autrui, la forme d’une radicalité absolue, l’ouverture vers le monde, face à la responsabilité dont je me sens investi par ce visage – une idée de responsabilité que le philosophe français étend à tout homme et tous les hommes – je ne peux pas oublier tous ceux dont l’humanité est souffrante, voire niée, car pour que tout homme puisse s’exprimer et accomplir son unicité, le tout l’homme doit y être imbriqué dans une relation libre et enfin se dépasser soi-même en se projetant dans un espace pluriel, multiple, diversifié.

Tout est lié

 

Laudato Si’ pousse et corrobore la recherche d’un développement économique et social équilibré avec le message inspirateur du « tout est lié ». L’homme n’est plus au centre de l’univers, ou au moins il l’est en mesure mineure, car cette encyclique cherche à définir sa place et son profil face à tout projet économique et social, et à sa vie sur terre. La technoscience, comme paradigme de compréhension conditionnant la vie des personnes et le fonctionnement des sociétés (LS §107), ainsi que la technique comme principal moyen d’interpréter l’existence (§110) étant mises en cause, nous sommes amenés à adhérer au message écologique, qui relie de façon nouvelle les êtres humains, la terre et le travail. Il s’agit de remettre en question le regard que nous apportons et qui nous fait même entrer en relation avec la planète, et plus généralement aux œuvres de la création, à notre prochain en tant que personne autre et à nous-mêmes, pour trouver un plus juste positionnement et une pleine compénétration entre toutes ces dimensions qui en dialoguant peuvent permettre d’ouvrir à une vie réussie et à un monde plus équilibré. La recherche de la justice réside même dans un rapport renouvelé à l’égard des capacités des êtres humains, comme leviers de transformation et possibilités de changement de notre monde, qui donnerait lieu à un nouveau développement, à un développement authentique et intégral.

Vers une écologie intégrale

 

La spécificité de l’encyclique Laudato Si’ est d’insister sur l’écologie comme organisation harmonieuse de la vie ainsi que des sociétés dans lesquelles nous vivons. La notion d’écologie recouvre plusieurs dimensions qui ne sont jamais séparées de leur lien avec le monde contemporain, des styles et des formes de vie.

L’écologie permet à l’homme de poser son regard en analysant soi-même, le monde et la création, pour pouvoir en apprécier la configuration de ses éléments et discerner la disposition à avoir pour parvenir à un meilleur degré d’équilibre et d’unité entre ses diverses et différentes composantes. Le but ultime est ce que François appelle la conversion écologique comme « un appel à une profonde conversion intérieure » (§217) pour créer un dynamisme de changement durable, une conversion communautaire (§219). Cela se traduit dans une tension vers l’unification de l’homme ; il s’agit de mettre sur la même ligne de mire notre façon de penser, de sentir et de vivre.

L’interdépendance entre les êtres humains et le lien qui s’établit entre les différentes composantes de notre monde résonnent fortement en gravité car la crise environnementale n’est pas séparable des racines humaines. Il faut prendre acte de ce défi, trouver des solutions pour un partage plus équitable des richesses et pour encourager des initiatives inédites d’une économie respectueuse de la création car, si enfin certains pays avancent d’un point de vue économique, nous voyons combien la soif de l’homme et ses aptitudes bridées reculent. Ces problèmes ne seront résolus qu’avec la collaboration de tous et l’implication des talents de chacun. Fondamentalement, ce qui est en jeu est notre humanité et la façon de faire face au désarroi et à la crainte.

Dans le chemin vers un développement humain et intégral, authentiquement recherché, l’économie est au service de l’homme comme l’homme aspire à une considération plus respectueuse de soi-même, des autres, de la terre et de Dieu. Ce qui me permet d’être plus proche des autres est ce qui est universel et non pas réductible à l’avoir ni au pouvoir.

Pour que la justice et la paix soient la condition de possibilité de l’existence de notre monde, l’horizon de notre humanité et la tâche pour nos sociétés, il est nécessaire que l’imagination créatrice de tout homme, tout l’homme et tous les hommes se mette à l’œuvre.

 

Le Sénat a adopté en quelques heures, dans la nuit du 18 au 19 juillet, le projet de loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ». L’Assemblée Nationale doit commencer ses travaux sur ce texte le 11 septembre.

Le piège de l’inquiétude

Il est du devoir des pouvoirs publics de protéger la population et d’apporter des réponses concrètes et efficaces pour assurer la sécurité. Mais la restriction des libertés publiques ne saurait être la réponse aux actes de terrorisme. Le gouvernement se trouve devant un piège, compte tenu de l’inquiétude des Français, car les politiques vivent dans la terreur de ne pas avoir pris une mesure dont l’absence pourrait être considérée comme ayant permis un attentat. Alors, avec ce projet de loi qui fait passer dans le droit commun une série de mesures réservées au cadre exceptionnel de l’état d’urgence, il ne sera plus nécessaire de prolonger celui-ci, puisqu’il sera en grande partie devenu permanent. Il aurait été à l’honneur du gouvernement de résister à l’opinion et de faire preuve de pédagogie.

Le droit français distingue traditionnellement la police administrative défi nie par sa finalité préventive : assurer le maintien de l’ordre public, notamment à travers des activités de surveillance, de la police judiciaire défi nie par sa finalité répressive, rechercher, poursuivre et juger les auteurs d’infractions. [1]

Mais le texte proposé renforce une nouvelle fois le droit administratif et la police administrative au détriment du droit judiciaire et de la police judiciaire. Il permettra de prendre des mesures restrictives de liberté sur la base d’un soupçon, d’un comportement, d’attitudes, de relations ou de propos, particulièrement dans quatre domaines : les mesures individuelles de surveillance, les visites et saisies, le périmètre de protection et la fermeture des lieux de culte. Le gouvernement (pas très fier) crée d’ailleurs une novlangue (empruntée à George Orwell) : l’assignation à résidence devenant une mesure individuelle de surveillance, les perquisitions devenant des visites etc.

Ciblage de la population

Ce texte porte en germe une sorte de ciblage d’une partie de la population : tout se passe comme s’il existait en France des gens qui présenteraient plus de risques par essence. C’est pour toutes ces raisons que le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, plusieurs centaines de juristes, et la-quasi-totalité des ONG de défense des droits et libertés ont exprimé leurs réserves ou leur opposition à ce texte.

Certes le Sénat a atténué le projet puisque ces pouvoirs accrus de l’administration devront exclusivement être réservés à la lutte contre le terrorisme, et il a précisé que ces mesures devaient être expérimentales et ne s’appliquer que jusqu’en 2021. (Mais on se souviendra que, sous le précédent quinquennat, il y a eu neuf lois pour renforcer l’arsenal pénal et administratif.)

La bataille de la liberté

Comme l’a écrit Victor del Arbol [2] après les attentats en Catalogne : « En ce moment précis, il faut être courageux et ne pas se taire, il faut parier sur la vie, sur une façon de la vivre qui repose sur notre seule décision…chacun se bat avec ses propres fantasmes pour contrôler peur et colère, pour reprendre silencieusement possession de ses rues. Nous sommes nombreux à refuser la déraison, à lutter pour encore croire que la parole est plus forte que la peur…. c’est nous, les uns avec les autres qui devrons apprendre à remporter la seule bataille que nous ne devons pas perdre, celle de notre liberté». Nous devons nous interroger sur le rapport entre le « coût » des restrictions des libertés et le « bénéfice » en termes de sécurité et nous devons faire la pédagogie qui n’est pas venue du côté du gouvernement, car oui, bien évidemment, à la sécurité mais pas au détriment de la liberté.

1 – Cncdh : avis sur le projet de loi visant à renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

2 – Né à Barcelone en 1968, il fait des études supérieures en histoire. De 1992 à 2012, il travaille comme fonctionnaire du gouvernement de la Catalogne (corps de la police régionale catalane Mossos d’Esquadra). Il amorce une carrière d’écrivain avec la publication en 2006 du roman policier «El peso de los muertos». C’est toutefois la parution en 2011 de «La Tristesse du samouraï» (La tristeza del samurai), traduit en une douzaine de langues et best-seller en France, qui lui apporte la notoriété. Pour ce roman, il remporte plusieurs distinctions, notamment le prix du polar européen 2012. En 2015, son roman «Toutes les vagues de l’océan» remporte le grand prix de littérature policière du meilleur roman étranger.