Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Les Commissions Justice et Paix européennes font de l’inégalité et de l’évasion fiscale le sujet de leur action commune en 2016.

Cela rejoint les approches de la Plateforme française « Paradis fiscaux et judiciaires » à laquelle participe activement Justice et Paix France.

Menaces sur la cohésion sociale et la démocratie

L’approche européenne insiste sur la mondialisation et l’économie numérique qui accroissent les inégalités. En Europe, la classe moyenne va aller en diminuant progressivement ; les groupes à revenus modestes stagneront ; des migrants doivent être intégrés ; les riches, particulièrement les très riches, bénéficieront de gains élevés. « Les styles de vie impossibles à maintenir d’une toute petite minorité contrastent avec les besoins des pauvres. » Une vraie menace sociale et démocratique résultera de l’augmentation de la pauvreté face à une concentration injuste de richesses. De nouvelles règles sont indispensables, dont la taxation raisonnable des sociétés multinationales, du secteur financier et des personnes les plus riches.

Le respect de la dignité de la personne humaine et la poursuite du bien commun ont au moins quatre implications pour les chefs d’entreprise, les syndicats et les responsables politiques. Ils doivent s’engager dans la création d’emplois correctement payés et décents ; dans la couverture sociale de tous les citoyens afin que leurs besoins fondamentaux soient satisfaits, même dans le cas de chômage, de vieillesse, de maladie, de dépendance ; dans l’attention à l’environnement qui a de plus en plus d’effets sur les sociétés et les populations ; dans l’amélioration des processus démocratiques et la participation des citoyens.

Le pape François exprime cette préoccupation de mesures nouvelles dans son exhortation apostolique La joie de l’Evangile, n° 204 : «  Nous ne pouvons plus avoir confiance dans les forces aveugles et dans la main invisible du marché. La croissance dans l’équité exige quelque chose de plus que la croissance économique, bien qu’elle la suppose ; elle demande des décisions, des programmes, des mécanismes et des processus spécifiquement orientés vers une meilleure distribution des revenus, la création d’opportunités d’emplois, une promotion intégrale des pauvres qui dépasse le simple assistanat. Loin de moi la proposition d’un populisme irresponsable, mais l’économie ne peut plus recourir à des remèdes qui sont un nouveau venin, comme lorsqu’on prétend augmenter la rentabilité en réduisant le marché du travail, mais en créant de cette façon de nouveaux exclus. »

Justice et Paix Europe insiste : le cours des événements doit changer par des décisions politiques et économiques. Des stratégies politiques peuvent réduire l’inégalité sociale et augmenter la « sécurité sociale » et la cohésion au sein des sociétés européennes.

L’OCDE et le G20 agissent

L’OCDE joue un rôle important en matière de transparence fiscale. 96 pays se sont déjà engagés à un échange d’information sur les avoirs financiers des non-résidents en 2018 au plus tard. Et en novembre 2015, un plan d’action (Base Erosion and Profit Shifting / BEPS) s’attaque à l’imposition des sociétés multinationales dont le taux d’imposition dans les pays de l’OCDE a baissé de 3.6% du PNB en 2007 à 2.8% en 2014.

Le communiqué des chefs d’État et de gouvernement du G20 au Sommet d’Antalya en Turquie des 15 et 16 novembre 2015 valide ce plan : « Pour parvenir à un système fiscal international moderne et juste à l’échelle internationale, nous entérinons le paquet de mesures mis au point dans le cadre de l’ambitieux projet du G20 et de l’OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS).

Une mise en œuvre large et cohérente sera essentielle pour assurer l’efficacité de ce projet, notamment en ce qui concerne l’échange d’informations sur les rescrits fiscaux transfrontaliers. C’est pourquoi nous demandons instamment la mise en œuvre rapide de ce projet et nous encourageons tous les pays et juridictions, en particulier les pays et juridictions en développement, à y participer. Pour assurer le suivi de la mise en œuvre du projet BEPS dans le monde, nous demandons à l’OCDE d’élaborer un cadre global d’ici début 2016 avec la participation de pays et juridictions intéressés non membres du G20 qui s’engagent dans le projet BEPS, et notamment des économies en développement, sur un pied d’égalité. »

Justice et Paix Europe appelle ses membres à insister auprès de leurs gouvernements nationaux pour qu’ils s’engagent dans le projet BEPS en lien avec l’Union européenne.

C’est d’autant plus nécessaire que des organisations membres de la Plateforme « Paradis fiscaux et judiciaires » relèvent que la Commission européenne se contente de transposer BEPS parfois a minima. Elle a ainsi proposé, fin janvier 2016, un nouveau « paquet » de mesures pour lutter contre l’évasion fiscale (« Anti-Tax Avoidance Package »). Il ne s’agit que de la transcription d’une partie de l’accord BEPS.

Après le scandale du Luxleaks, la Commission européenne avait pourtant déclaré que la lutte contre l’évasion fiscale serait l’une de ses priorités et que l’Union européenne se devait de jouer un rôle exemplaire. Or, ses propositions manquent d’ambition et penchent même parfois en faveur des options les plus minimalistes du plan BEPS.

 

La transparence plus tard

La proposition de la Commission contient l’introduction d’une obligation de rendre compte (« reporting ») pays par pays à la seule disposition des administrations fiscales qui ne concerne que les très grandes entreprises européennes (750 millions d’euros de chiffre d’affaires). La question de rendre publiques certaines de ces données n’est pas complètement éludée, mais remise à plus tard.
« Il est extrêmement dommage que la Commission se soit précipitée pour transcrire le reporting non-public alors que des discussions sont toujours en cours au sujet du reporting public et que le Parlement européen s’est déjà prononcé quatre fois en sa faveur. On prend le risque de voir les Etats membres de l’UE s’en contenter. Il est pourtant nécessaire que chacun ait accès à ces données pour que cette mesure soit efficace», déclare Lucie Watrinet, du CCFD – Terre solidaire.

Le risque d’une course au moins-disant fiscal

La Commission propose une uniformisation de certaines règles pour décourager les entreprises de transférer leurs bénéfices dans des paradis fiscaux : ces règles concernant les filiales, connues sous le nom de règles SEC (Sociétés étrangères contrôlées) doivent permettre aux Etats membres de taxer des revenus réalisés par leurs entreprises dans des places à fiscalité faible. Or, la Commission ne propose pas de définition uniforme de ce qu’est une place à fiscalité faible (cela dépend du taux d’imposition dans chacun des pays) ; elle risque même d’accélérer la course au moins-disant fiscal qu’on observe déjà en Europe. Les règles SEC proposées par la Commission européenne sont moins exigeantes que les règles qui existent actuellement en France. Par ailleurs, aucune analyse des potentiels effets pervers de cette proposition n’a été réalisée.

Transferts de bénéfices : le choix d’un encadrement a minima des paiements d’intérêts

Le transfert de bénéfices via le paiement d’intérêts déductibles d’impôts au sein d’une même entreprise est une méthode connue pour échapper à l’impôt : les entreprises en ont largement abusé en s’endettant auprès de leurs filiales situées dans des paradis fiscaux. Pour limiter ces abus, l’OCDE avait proposé que les déductions d’intérêts d’une entreprise soient comprises entre 10 et 30 % de ses bénéfices, ce qui était déjà insuffisant. Or, la Commission a fait preuve d’un véritable manque d’ambition en choisissant le haut de la fourchette (30%).

Des critères pour une nouvelle liste des paradis fiscaux qui excluent de facto les pays de l’UE

La Commission propose de développer de nouveaux critères pour définir une nouvelle liste européenne de paradis fiscaux. S’il s’agit d’une avancée par rapport à la liste publiée en juin dernier, les Etats membres de l’UE sont toujours assurés de ne pas y figurer. Qu’en est-il de l’Irlande, des Pays -Bas ou du Luxembourg, qui ont récemment été au cœur de nombreux scandales ? Par ce traitement différencié, l’Union européenne risque d’être accusée, à raison, de protéger ses paradis fiscaux.

Evasion fiscale dans les pays en développement : une reconnaissance, mais pas de mesure concrète

La Commission reconnait que les « politiques fiscales de l’UE peuvent avoir des effets négatifs sur les pays tiers » – notamment via les conventions fiscales bilatérales, et la nécessité de veiller à les limiter. Il s’agit là d’un signal positif mais cela ne s’accompagne pas de propositions concrètes pour réduire ces effets.
« Cela fait longtemps que nous dénonçons l’impact de l’évasion fiscale des entreprises sur les pays en développement. L’Union européenne ne peut pas se contenter de prendre quelques mesures pour protéger ses propres bases fiscales ; elle doit se montrer responsable et s’assurer que ses propres règles ne siphonnent pas les ressources de pays les plus pauvres », déclare encore Lucie Watrinet, du CCFD – Terre solidaire.

Au service de tous

Une nouvelle publication de Justice et Paix France permettra d’approfondir ces questions reliant les sujets financiers et l’éthique. Le premier article relatif à l’argent dans la Bible insiste déjà : « Lorsque la finance s’apparente plus au jeu qu’à un travail pour le développement, lorsqu’elle participe à ce que JM Keynes appelait l’économie de casino, et qu’elle sort ainsi de sa finalité qui est la mobilisation de fonds pour de nouvelles activités économiques, elle ne peut pas être légitime. Dans cette perspective, la finance doit être au service de la création de vraies valeurs, d’emplois, d’amélioration du niveau de vie de tous et pas seulement d’une élite.

Lorsque l’activité financière devient un jeu addictif qui, en outre se déroule à partir de l’argent qui n’appartient pas au joueur, elle n’est pas légitime. Elle doit être condamnée, tout comme la fraude, le mensonge, la manipulation des cours… et tout ce qui ne relève pas d’un travail honnête mais peut s’apparenter au vol (1 Co 6,10) ou à de l’injustice. »

Terrorisme : condamner, expliquer, résister, tel était le titre du document publié par Justice et Paix voici quelques années.

Comprendre ou expliquer n’est pas excuser. Pour faire face efficacement à un adversaire, il faut le connaître. L’étude des différentes formes de radicalisation permet d’examiner comment la société peut y parer. Comme l’a écrit le général Pierre de Villiers, chef d’État-Major des armées : « Une stratégie basée sur les seuls effets militaires ne pourra jamais agir sur les racines de la violence lorsque celles-ci s’inscrivent dans le manque d’espoir, de justice, de développement, de gouvernance, de considération. »

On ne naît pas fanatique

Nous savons que le terrorisme auquel nous sommes confrontés plonge ses racines dans des situations géopolitiques que seule la communauté internationale peut traiter. Mais il existe en Europe quelques centaines de jeunes Européens, souffrant manifestement d’exclusion sociale, qui sont une sorte d’armée de réserve djihadiste. Ils ne craignent ni la mort, ni la prison, à plus forte raison la déchéance de nationalité.

Comment prévenir la radicalisation de ces jeunes ? La difficulté est de taille, quand on sait que le fanatisme porte en lui la certitude d’agir pour la plus juste des causes et la conviction que tous ceux qui s’opposent à lui doivent être détruits. Pourtant on ne naît pas fanatique – c’est-à-dire enfermé dans un système clos et illusoire de perceptions et d’idées sur le monde extérieur et sur soi-même -, on le devient. La dé- radicalisation est certes nécessaire, mais elle intervient généralement trop tard : il faut agir en amont.

Selon Edgar Morin, le fanatisme se construit à partir de trois données : – le réductionnisme à savoir la propension de l’esprit à prétendre connaître le tout à partir de la connaissance d’une partie, – le manichéisme, qui engage la lutte du Bien absolu contre le Mal absolu, -et la réification, quand l’idéologie ou la croyance religieuse masquent le réel et sa complexité et deviennent pour le fanatique le véritable réel.

Le fanatisme ne provient pas d’une seule source : ces jeunes rejetés ou « ghettoïsés » peuvent être des croyants convertis à une foi qui leur apporte la Vérité absolue, des désespérés sans croyance particulière, des dogmatistes qui justifient et condamnent, ou encore des jeunes en quête de ferveur révolutionnaire. Là où nous ne voyons que la cruauté et la monstruosité de l’Etat islamique, ils nous répondent par l’inhumanité de la guerre des drones et des missiles, la succession des conflits depuis 70 ans au Moyen -Orient, le pouvoir de l’argent et de la force dans une civilisation qui leur apparaît vide de sens alors qu’ils rêvent du retour d’un califat ordonné par Dieu.

L’apprentissage de la connaissance

Les débats politiques depuis le 13 novembre ont surtout porté sur l’état d’urgence. Cet état d’urgence, parfaitement justifié sur le moment, est un état d’exception qui doit demeurer limité dans le temps, encadré et contrôlé. La sortie de l’état d’urgence est une décision politique très difficile, mais nécessaire, car dans une démocratie la préservation de l’Etat de droit reste l’impératif qui doit être articulé avec l’indispensable protection des citoyens.
Le véritable projet à opposer au réductionnisme, au manichéisme et à la réification, c’est l’apprentissage de la connaissance, seule en mesure de relier les aspects divers, voire antagonistes d’une même réalité, de reconnaître les complexités au sein d’une même personne, d’une même société, d’une même civilisation. C’est la construction d’une justice réelle, qui permet à tous l’accès à un certain niveau d’éducation, à un logement, à un emploi, en résumé la possibilité de vivre dignement sans souffrir de discrimination de quelque sorte que ce soit.

Donner du contenu au « vivre ensemble »

L’universalité des droits de l’Homme est la reconnaissance et l’affirmation qu’aucune vie individuelle ni aucune liberté ne peuvent se développer si la vie ou la liberté sont méprisés quelque part, pour quoi que ce soit et par qui que ce soit. Nous nous sommes surtout préoccupés des droits fondamentaux ; il nous faut aussi considérer et faire vivre les droits économiques, sociaux et culturels. Il ne s’agit pas seulement de discourir sur le « vivre ensemble » ; nous devons surtout lui donner du contenu, apprendre à vivre avec d’autres en développant les lieux de rencontre et de dialogue, et nous aider ensemble à affronter l’incertitude de notre temps.

Suis-je le gardien de mon frère ? Vieille question !
Une seule réponse : Oui.