Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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L’association Chrétiens en Forum soutient l’engagement en politique des élus locaux, en organisant localement des forum de réflexion. Le 19 juin, elle conviait à Paris les journalistes David Revault d’Allonnes (Le Monde), Michel Urvoy (Ouest France), et le politologue Pascal Perrineau (professeur des Universités à Sciences Po) pour une analyse des élections municipales et européennes.

 Individualisme et sécurité. Laïcité et éthique.

Les résultats de ces élections sont-ils une surprise ? Peut-on parler d’un basculement de l’opinion ?

Le parti socialiste s’attendait à deux déroutes, mais pas dans de telles proportions. Aux municipales, 130 villes de plus de 9000 habitants ont été perdues. Pour Michel Urvoy, jusqu’au dépouillement, on ignorait l’ampleur de la défaite. Le socialisme municipal s’est usé, embourgeoisé dans le  sens des comportements et de l’éloignement des préoccupations des gens ; la sanction nationale s’y ajoutant, la défaite était certaine, bien qu’il ait été impossible de prévoir son ampleur.

Aux élections européennes, nouvelle surprise : avec 13,98 % des suffrages, le PS est en dessous du score de Michel Rocard en 1994, et surtout 2 points en dessous des  européennes de 2009, déjà considérées comme désastreuses. Cependant, en 2014, les points faibles étaient connus : une Europe illisible, des circonscriptions européennes qui n’ont aucun sens, des candidats mal connus, des partis politiques divisés sur le sujet. S’y ajoute un effet sanction à l’égard du PS.

Finalement, remarque Pascal Perrineau, la France n’a jamais eu un PS et une gauche aussi faibles. Aux européennes, la gauche, n’a représenté qu’un tiers du corps électoral. Ce qui montre l’ampleur du désarroi des électeurs vis-à-vis de la majorité mise en place en 2012. La gauche locale était sanctionnée de la même manière que la gauche nationale.

Avec 7 à 8% des suffrages des ouvriers aux européennes, le PS devient un parti marginal. Selon David Revault d’Allonnes, on ne peut plus parler de lien particulier entre ce parti  et les catégories populaires. C’est bel et bien un mythe aujourd’hui.  Même constat avec les jeunes. Il y a des questions sociologiques et démographiques que doit se poser le PS  en ce qui concerne son avenir . En outre, il y a  incapacité de la gauche de la gauche à se nourrir des déceptions causées par le  PS.

Et le vrai basculement c’est qu’ouvriers et jeunes passent massivement au Front national ; le reflux du PS en nombre de voix explique mécaniquement le score du FN. Le FN a une forte capacité à récupérer la déception des milieux populaires de gauche : à plus de 40 %, les ouvriers votant aux européennes ont voté FN ;Il y a de fait beaucoup plus de gens venus de gauche qui nourrissent le FN que de gens qui viennent de droite. Qu’on cesse donc de dire sans arrêt que le FN est une question de droite posée à la droite : pour Pascal Perrineau, c’est une question sociale de première ampleur posée à la gauche.

A ce sujet, Michel Urvoy note qu’au congrès du FN à Tours, on pouvait « confondre » un discours de Martine Aubry avec celui de Marine Le Pen. Un basculement s’est opéré sur des valeurs sociales, les références historiques, le chômage et les angoisses.

Le score de 25 % du FN aux européennes a été une surprise. Ce parti a démontré aux municipales, d’habitude très difficiles pour lui, qu’il était désormais là à chaque élection et ce, quel que soit le type de scrutin. Le FN a franchi toutes les frontières, notamment géographiques : il est une vraie force nationale.

Sur le plan démographique, la question des jeunes est centrale. François Hollande en avait fait le thème prioritaire de sa campagne de 2012. Désormais nombre de jeunes, qu’on a toujours considérés comme ayant la fibre de gauche et très opposés au FN votent FN.

Ce parti s’implante dans une jeunesse invisible, dont on ne parle pas : peu diplômée, en difficulté, touchée par un chômage très élevé Elle vote FN à des niveaux de 40 à 45%.

La désespérance des jeunes et le sentiment d’abandon dans les milieux ruraux pèsent très lourd. La réforme territoriale qui arrive, avec l’éloignement qu’elle va engendrer, risque d’accentuer le phénomène. La fracture politique se double d’une fracture sociale et culturelle.

L’opinion bouge fortement. On a quitté la grande période d’ouverture née dans les années 60, alliant libéralisme et libertarisme : aujourd’hui, en ce qui concerne  l’Europe, des segments importants de l’opinion française deviennent au mieux eurosceptiques, au pire, europhobes. Sur l’immigration, cela se tend.

Par ailleurs, la demande d’ordre public est réelle. La sûreté est un des premiers droits de l’homme. C’est le message qu’est en train de faire passer l’opinion. Les citoyens sont cohérents : plus il y a d’individualisme, de libertés privées, plus les sociétés sont difficiles à gouverner.  Ilest difficile de gouverner des gens qui se vivent comme des unités individuelles, voire individualistes,  ayant beaucoup de droits et peu de devoirs. Donc il faut bien de l’ordre public pour garantir la sécurité demandée par les individualistes pour être individualistes. C’est ce qu’a compris l’actuel Premier ministre au sein d’une gauche jusqu’alors encombrée avec cette affaire.

Tous les politiques doivent le comprendre. Pour Pascal Perrineau, on commencerait à jouer avec le feu si l’on allait plus loin.

 

Est-ce que le personnel politique traditionnel est en mesure d’entendre ces messages et de discerner ceux auxquels il est raisonnable de répondre, ceux auxquels il est raisonnable de s’opposer ?

Sur la demande d’autorité, David Revault d’Allonnes estime que MM. Valls et Sarkozy avaient parfaitement saisi le besoin. Tous deux en ont joué de manière à montrer l’efficacité de l’Etat, le pouvoir mis en scène. Et cela a fonctionné si bien que Nicolas Sarkozy a été élu Président de la République et que Manuel Valls a été nommé Premier ministre sur ces seuls critères, malgré les mauvais bilans de ces deux hommes politiques au Ministère de l’Intérieur.

A l’inverse, François Hollande veut se passer de mise en scène. C’est sa théorie du président normal. Or cela ne fonctionne pas. La demande d’ordre et d’autorité n’est pas actuellement satisfaite par le Président de la République.

La France a bénéficié de toute une lignée de grands hommes d’Etat, allant du général de Gaulle à François Mitterrand. Durant cette période, elle a connu des moments de crises intenses (1958,1968, les chocs pétroliers, le chômage de masse).

Avec Jacques Chirac, s’est ouverte une autre séquence : on sort de la culture de l’homme d’Etat au sens classique, par l’introduction d’une forte dose d’horizontalité dans une fonction marquée précédemment par la verticalité. La notion de « Président ordinaire » en atteste.

Mais avec ses 16% actuels d’opinions favorables, François Hollande a des problèmes de légitimité. Il est urgent, pour la prochaine élection présidentielle, de rentrer dans une nouvelle séquence. D’inventer une nouvelle figure d’homme d’Etat. Il y a une demande. C’est une nécessité pour éviter d’avoir, en 2017, la même élection qu’en 2012, avec les mêmes candidats : Hollande, Sarkozy, Bayrou et Le Pen. Pascal Perrineau prédit alors une réaction redoutable de la société.

 

Pour l’instant, les politiques semblent avoir perdu la main sur l’élaboration de projets susceptibles de mobiliser les ardeurs de leurs concitoyens.

La politique française d’après-guerre était articulée autour de grands projets : projet communiste, grand roman national gaulliste…Tout cela se fracasse au début des années 80. Le naufrage définitif arrive en 1989 avec la chute du Mur de Berlin. On sort de l’ère idéologique et on entre dans celle d’une politique gestionnaire. On abandonne toute culture de  projet. Nous y sommes toujours

Et cela développe la crise du sens : on nous demande de faire tel effort, mais pour quoi ? Dans quel projet s’inscrit-il ? Projet à moyen terme, à l’horizon d’un ou deux quinquennats.

Dans cette évolution, tout n’est cependant pas imputable au personnel politique. Michel Urvoy insiste pour sa part sur  rôle de l’évolution médiatique : le traitement de toutes les questions de plus en plus compliquées, de manière de plus en plus immédiate, sans mise en relation des faits et des décisions entre eux, avec ce qu’ils impliquent,  alors qu’on n’a plus de culture politique collective. Cela concourt à la détérioration de la situation politique.

 

Individuellement, pourtant, on rencontre des politiques parfaitement conscients de la situation, mais qui, collectivement, se révèlent incapables de trouver des réponses. Pourquoi ?

La réponse est sans doute à chercher du côté des partis : il semble acquis qu’on n’y travaille guère. Ce sont des machines à gagner des élections où il manque recul et analyse. Un socialiste éminent expliquait que la fonction première du PS était la sélection des candidats aux élections. Tout était dit : la notion de travail idéologique, programmatique, a été complètement délaissée.

Ainsi, pour David Revault d’Allonnes, le droit d’inventaire que Jospin avait revendiqué à propos des deux mandats de François Mitterrand n’a jamais été exercé. En 2012, François Hollande est élu et le travail programmatique est absent. Il en va de même pour l’UMP : on s’aperçoit que pour préserver les chances de tel ou tel, l’inventaire du mandat de Nicolas Sarkozy n’a pas eu lieu. Finalement les deux partis de gouvernement s’avèrent incapables de gouverner.

 

Qu’est-ce que les Eglises chrétiennes n’ont pas dit, ont oublié de dire, auraient pu dire, qui aurait été susceptible de modifier la donne ?

Pascal Perrineau rappelle que les Eglises interviennent toujours pour rappeler les citoyens à l’exercice du droit de vote avant chaque scrutin. Pour le reste, le rapport entre Eglises chrétiennes et espace public – donc entre Eglises et politique -se noue autour de deux thématiques.

La laïcité tout d’abord. On voit mal quelle peut être, sur le plan opérationnel, la nouvelle forme que prendrait la laïcité dans la société française. Or le besoin est là, la peur de l’islam domine. Pour David Revault d’Allonnes, il faudrait réfléchir à une nouvelle loi, à un nouveau dispositif capable d’apaiser les sources de tensions.

Pascal Perrineau abonde : la laïcité devient vide de sens, incantatoire. Tout le monde s’en est emparé, à commencer par le FN. Cela lui a permis de rendre son discours de mobilisation contre l’islam plus efficace en le plaçant sur le terrain des valeurs de la République, ce qui lui permet de gommer ses aspects raciste, xénophobe, ethnique. Cette mutation lui permet de pénétrer des milieux jusqu’alors hostiles, comme ceux de la gauche laïque. Mais qu’est-ce donc qu’une laïcité moderne ? Il est urgent d’en discuter en profondeur.

Seconde  thématique, les enjeux éthiques. François Hollande a complètement sous-estimé l’impact dans l’opinion d’un certain nombre de projets sociétaux. La question du « mariage pour tous » par exemple, a été emblématique. Il en avait fait une promesse de campagne, mais cette affaire a mobilisé contre lui toute une fraction de l’électorat chrétien et religieux. Michel Urvoy remarque qu’à cela se sont ajoutées des maladresses vis-à-vis des mondes religieux.

Cette accumulation a fait que le religieux s’est invité dans le débat et a continué de s’inviter dans les résultats électoraux, avec notamment un décrochage entre le monde catholique et la gauche socialiste.

Plus généralement, Pascal Perrineau estime que la société attend la parole des religions concernant le débat sur la fin de vie, la bioéthique, l’éducation. Sur ces enjeux, les Eglises doivent être présentes. Dire leur mot, à leur place bien sûr, mais sans aucune timidité.

Ainsi, il parait nécessaire qu’à l’avenir, les Eglises discutent en interne, préparent les dossiers, afin de produire des contributions positives aux débats.

Alors que s’approchent les échéances de 2015 relatives aux objectifs du développement durable des Nations Unies qui feront suite en septembre aux objectifs du millénaire pour le développement[1] et à la conférence sur le climat qui se tiendra à Paris en décembre, il est réconfortant de voir l’engagement d’évêques sur le sujet de la taxe sur les transactions financières (l’ancienne taxe Tobin). Ils s’adressent aux responsables européens. L’insistance porte sur l’utilisation en faveur du développement et du financement de la lutte contre les changements climatiques de cette nouvelle taxe qui sera mise en place début 2016.

Déclaration publique de leaders catholiques européens sur la taxe sur les transactions financières, mai 2014

Finance, pauvreté, changement climatique

Nous tenons à joindre nos voix à celles des citoyens et des mouvements à travers l’Union européenne vous demandant d’effectuer les bons choix en ce qui concerne la conception de la taxe européenne sur les transactions financières qui sera lancée le 1er janvier 2016, ainsi que sur l’utilisation de ses revenus.

Les dirigeants des pays participant à l’initiative de coopération renforcée ont accompli un premier pas décisif vers  la mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières (TTF). Mais dans la dernière ligne droite menant à son adoption, nous sommes préoccupés par la diminution du soutien à une taxe généralisée à la suite de  l’offensive menée par le lobby financier contre la TTF et par l’annonce d’un projet moins ambitieux.

L’un des principaux objectifs de la taxe, qui est de réduire la spéculation à haut risque, ne sera pas atteint si, comme annoncé, la plus grande partie de l’assiette de l’impôt est constituée dans une première phase par les actions. Ceux qui en dépendent pour leur régime de retraite risquent d’être les plus touchés.

Nous croyons que la liberté du marché est liée par le principe de la justice et le respect du commandement « Tu aimeras ton prochain ». L’Union européenne, ses Etats membres et ses institutions doivent poursuivre des politiques visant la stabilité, sans hypothéquer le bien-être des générations futures. Ces politiques ne doivent pas se faire au détriment des plus pauvres ni  ignorer les exigences de la justice sociale. Elles doivent garder à l’esprit la responsabilité des banques et autres institutions financières dans la crise financière dont  beaucoup de nos frères et sœurs continuent d’endurer les effets.

Une taxe avec une assiette large, portant sur les actions, les obligations, les produits dérivés et le « trading à haute fréquence » hautement spéculatif, permettrait de réduire le volume de la spéculation financière tout en générant un montant estimé par la Commission européenne à 34 milliards d’euros.

Ces revenus pourraient fournir une marge budgétaire importante pour honorer et renforcer vos engagements existants en faveur du développement et du financement de la lutte contre les changements climatiques.

« L’argent doit servir et non pas gouverner » comme nous le rappelle Sa Sainteté, le Pape François dans son Exhortation apostolique, Evangelii Gaudium (# 57-58). Une taxe sur les transactions financières constitue un instrument très puissant pour contribuer à une plus grande justice sociale par la redistribution. Il ne tient qu’à vous, décideurs européens, de mettre en œuvre pleinement ce potentiel, lorsque vous déciderez de l’assiette de l’impôt et de l’utilisation des revenus qui seront générés.

Nous vous exhortons à faire le bon choix. Ne cédez pas à la pression de ceux qui ont un intérêt à affaiblir cette TTF !

Nous vous demandons de reconsidérer votre décision de ne taxer que les actions et certains produits dérivés. Par ailleurs, nous attendons de votre part une déclaration claire, précisant que les revenus seront consacrés à éradiquer la pauvreté et à lutter contre les changements climatiques.

 

Dr. Ludwig Schwarz SDB, Evêque de Linz, Autriche, Mgr Jacques Blaquart, Evêque d’Orléans, Mgr. Luc Van Looy, Evêque de Gand, Belgique, prochain président de Caritas Europa, Mgr. Stanislas Lalanne, Evêque de Pontoise, Mrg. Johannes Kreidler, Evêque Auxiliaire de Rottenburg-Stuttgart, Allemagne, Mgr. Francesco Montenegro, Evêque d’Agrigento, Italie, Mgr. Jorge Ferreira da Costa Ortiga, Archevêque de Braga, Portugal

Cet appel est soutenu par la CIDSE.

[1] Voir http://justice-paix.cef.fr/spip.php?article395