Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Depuis quelques semaines, les « une » de nos quotidiens se font l’écho de ce que l’on espérait ne plus voir : des émeutes de la faim dans plusieurs pays.

La situation est suffisamment grave pour que les institutions internationales spécialisées (FAO – PAM) mais aussi le secrétaire général de l’ONU, le directeur du FMI et le commissaire européen au développement tirent la sonnette d’alarme. Il faut dire que la situation est particulièrement délicate et les mécanismes d’aide, conçus pour répondre à des crises sporadiques, se retrouvent confrontés à un phénomène qui se généralise et devant lequel ils se trouvent démunis.

Cette situation de hausse des prix alimentaires est d’autant plus critique que ses causes sont multiples et, pour une part, structurelles.
Du côté de l’offre, si certes les récoltes de certains « greniers » traditionnels – australien notamment – n’ont pas été à la hauteur des espérances, il n’en reste pas moins que la production mondiale de céréales a augmenté malgré tout en 2007 ; c’est donc surtout la diminution de la superficie des terres cultivables qui est en cause.
Mais c’est essentiellement du côté de la demande que la tension est vive. A la croissance de la population mondiale s’ajoute l’élévation du niveau de vie des pays émergents, dont on ne peut d’ailleurs que se réjouir. Le développement de classes moyennes, notamment en Inde et en Chine, qui modifient leurs comportements alimentaires en consommant davantage de lait et de viande, crée une demande en alimentation pour le bétail. Par ailleurs, la raréfaction des ressources en énergie non renouvelable a vu se multiplier les surfaces consacrées aux cultures d’agro-carburants aux dépens des cultures alimentaires ou fourragères.
Autre facteur aggravant : la hausse des prix du carburant et de l’énergie qui affecte toute la chaîne de la production alimentaire (engrais, récolte, stockage, livraison). Sans oublier la spéculation qui a fui l’instabilité des marchés financiers pour se reporter sur ce secteur, avivant encore les tensions.

Face à cette situation, les résultats d’un sondage réalisé par TNS-Sofres (1) sur les Français et le développement durable laissent perplexes. Si pour 84% des sondés le développement durable évoque avant tout la préservation de l’avenir et des générations futures et pour 79%, la préservation de l’environnement et des ressources naturelles, ils ne sont en revanche que 18% à l’associer à l’idée de préservation de l’équilibre social. Au travers des événements récents, qui ne voit qu’environnement et social sont indissociables ? Qui pourrait prétendre à un développement durable qui ne soit un développement humainement durable ? Le pacte écologique ou le Grenelle de l’environnement ont certes été des étapes nécessaires mais insuffisantes. L’avenir de la planète se joue tout autant dans la place qui sera faite à chacun. Le développement durable n’a de sens que s’il remet l’Homme au centre.

Faut-il commémorer le quarantième anniversaire de l’encyclique de Paul VI populorum progressio sur le développement des peuples ? Certains en doutent au motif qu’en quarante ans le monde a beaucoup changé, ou bien que de toutes façons ce qui est ancien n’est plus valable.

Le monde a certes changé en quarante ans mais le rapport de niveau de vie entre les riches et les pauvres, lui, s’est accentué, ce qui suffirait à vouloir revisiter la lettre de Paul VI.

Une relecture attentive de celle-ci montre en tous cas que les principes évangéliques fondamentaux pour le développement des pauvres qui y sont énoncés, qui continuent à inspirer les pratiques de nombre d’ONG à défaut des aides publiques, esquissent les fondements d’une mondialisation alternative de justice et de paix. En portant l’accent sur le développement intégral des hommes plutôt que sur la seule croissance du produit matériel, en en faisant un devoir personnel et social, le Pape englobe aussi bien le développement des riches que celui des pauvres et insiste avec force sur une solidarité d’un montant significatif, indispensable à la paix autant qu’à la justice.

Depuis 1967 ce n’est pas cette mondialisation-là qui est apparue. Celle qui s’impose en ce moment est dominée par l’âpreté de la concurrence, l’obsession de la consommation, la cupidité des actionnaires. Cela suscite d’énormes souffrances dans les pays pauvres qui ne peuvent bénéficier des rapports de force et où les gens sont contraints de vivre en dessous du seuil d’humanité, ainsi que des détériorations de la qualité humaine dans les pays riches. Tout cela alimente des conflits et des guerres. La justice ne règne pas plus que la paix.

De plus en plus de responsables et de ces sages que sollicitait Paul VI posent une redoutable équation dont personne ne connaît la solution : comment conférer le minimum de dignité humaine à 9 milliards de personnes bientôt alors que le capital reproductible de la planète est déjà entamé et que les riches n’envisagent pas de sacrifier une croissance indéfinie du produit matériel ? Sans alternative résolue à cette idolâtrie de la croissance matérielle des pays riches nous nous dirigeons vers des conflits majeurs.

L’inspiration d’une mondialisation juste et pacifique contenue dans populorum progressio reste disponible comme alternative, une alternative qui rejoint la recherche « d’un autre monde possible » par les forums sociaux.

Cette lettre de Paul VI, non seulement n’est pas démodée, mais elle est actuelle et surtout elle s’inscrit dans une perspective d’avenir.