Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
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Tout le monde a encore en mémoire la campagne internationale pour l’interdiction des mines antipersonnel qui aboutit à la signature du Traité d’Ottawa en 1997.
Un peu plus de 10 ans plus tard, les ONG viennent d’obtenir un nouveau succès avec l’accord de Dublin sur le texte final du Traité d’interdiction des bombes à sous-munitions Traité d’interdiction des bombes à sous-munitions (mines antipersonnel ) qui sera officiellement signé à Oslo les 2 et 3 décembre prochains. Il entrera en vigueur dès que 30 pays l’auront ratifié. C’est en 2003 que commence la campagne des ONG en faveur d’un traité interdisant les BASM.
Un processus long
Du côté des Etats, la Belgique est le premier pays à ouvrir la voie en votant une loi d’interdiction totale des BASM dès février 2006 qui prévoit par ailleurs la destruction des stocks existant à l’horizon 2009. Mais c’est l’emploi massif de ce type d’armes lors de la guerre au Liban, pendant l’été 2006, qui provoque une prise de conscience internationale du problème. Quelques mois plus tard, en février 2007, la Norvège – comme l’avait fait en son temps le Canada sur le dossier des mines antipersonnel – lance un processus diplomatique, le processus d’Oslo, en vue de parvenir à un traité interdisant les BASM avant la fin de l’année 2008. Cette initiative, dans laquelle 155 Etats se sont engagés, a permis de sortir ce dossier de l’impasse. En effet, les négociations sur les conséquences humanitaires des BASM, menées jusqu’alors dans le cadre de la Convention sur certaines armes classiques (1980), avaient échoué, faute d’arriver au consensus requis par cet instrument. Sans l’initiative norvégienne, les chances d’aboutir à un outil efficace auraient été quasiment nulles.
Qu’est-ce qu’une bombe à sous-munitions ? Elle est composée de deux éléments : un conteneur (bombe, missile…) dans lequel sont placées des mini-bombes par dizaines ou par centaines. Largué par avion ou hélicoptères, ou tiré à partir de véhicules terrestres, le conteneur s’ouvre dans les airs, libérant les mini-bombes (sous-munitions) qui doivent exploser au contact du sol ou de la cible. Les bombes à sous-munitions sont à distinguer des bombes à fragmentation qui libèrent des milliers de projectiles meurtriers (mais non explosifs) s’éparpillant sur de très larges zones.
Une avancée majeure
Le texte de compromis auquel sont arrivés les représentants de plus de 100 Etats réunis à Dublin ce mois de mai stipule que chaque Etat partie au Traité s’engage à ne « Jamais, en aucune circonstance, employer d’armes à sous-munitions ; mettre au point, produire, acquérir de quelque manière, stocker, conserver ou transférer à quiconque, directement ou indirectement, des armes à sous-munitions ; assister, encourager ou inciter quiconque à s’engager dans toute activité interdite à un Etat partie en vertu de la présente Convention » (article 1). En d’autres termes, cela signe l’arrêt de mort de tous les types de bombes à sous-munitions qui ont été utilisées jusqu’à aujourd’hui ainsi que toutes celles qui sont non discriminantes, peu fiables et susceptibles de menacer les populations bien après l’arrêt des conflits (aux termes de l’article 2).Chaque Etat devra détruire ses stocks dans un délai de 8 ans maximum après sa ratification du Traité. Par ailleurs, le texte répond dans une large mesure aux aspirations des ONG en matière d’assistance aux victimes et impose aux Etats parties des obligations très précises en matière de dépollution. Autant d’avancées majeures qu’il convient de souligner, alors que quelques mois auparavant encore, plusieurs pays, dont la France, refusaient d’aller aussi loin.
Des limites évidentes
Certaines dispositions du Traité limitent cependant sa portée. Parmi les ombres au tableau figure notamment le principe d’interopérabilité inscrit dans le texte sous la pression des Etats-Unis qui craignaient de voir affecter les opérations militaires conjointes dans le cadre de l’OTAN (article 21-3). Il prévoit que les Etats signataires du Traité et leurs ressortissants « pourront s’engager dans une coopération et des opérations militaires » avec des Etats non signataires, même si ces derniers utilisent les bombes à sous -munitions. Autre déception : les nombreuses exceptions prévues par le Traité. Ainsi, la définition des bombes à sous- munitions figurant dans le texte (article 2-2) exclut notamment de son champ d’application certaines armes en fonction de critères techniques censées limiter leur impact (poids, nombre de sous-munitions contenues, présence ou non d’un système d’auto-destruction ou d’auto-désactivation). Certes, pour un pays comme la France, les BASM interdites par le traité représentent l’essentiel de ses stocks actuels (98% selon un diplomate). Mais le développement possible des systèmes autorisés par l’article 2 est loin d’être sans risque.
Risque humanitaire d’abord car la fiabilité de ces matériels est régulièrement mise en cause. Or lorsque les dispositifs d’auto-destruction ou d’auto-désactivation sont défaillants, les sous-munitions qui n’ont pas explosé à l’impact se transforment en véritables mines antipersonnel. Risque politique ensuite car, en introduisant des différences de traitement selon le degré de technicité des matériels, ces dispositions confortent la suprématie technologique et militaire de certains pays. Enfin, le Traité autorise la conservation ou l’acquisition par les Etats parties d’un nombre limité d’armes à sous-munitions et de sous-munitions explosives pour la formation aux techniques de déminage, ou pour développer les capacités à se défendre contre l’emploi de BASM (article 3-6). Il est toutefois précisé que la quantité de sous-munitions explosives conservées ou acquises dans cette optique ne devra pas excéder le nombre minimum absolument nécessaire à ces fins.
Quel avenir ?
Il est trop tôt pour le prévoir. Aux limites inhérentes au texte lui-même, s’ajoute le refus des principaux producteurs et utilisateurs de BASM de rejoindre le processus d’Oslo et de signer le nouveau Traité : Etats-Unis, Inde, Russie, Chine et Brésil. Pourtant, le parallèle avec le Traité d’Ottawa interdisant les mines antipersonnel appelle à un optimisme raisonnable. Alors que 40 pays – dont la Russie, la Chine et les Etats-Unis – refusent toujours de le signer, l’utilisation des mines antipersonnel est depuis quelques années quasi inexistante. Selon le rapport 2007 de l’Observatoire des mines rapport 2007 de l’Observatoire des mines, seules la Birmanie et la Russie en auraient utilisé entre mai 2006 et octobre 2007. Pour parvenir à un résultat similaire dans le cas des bombes à sous-munitions il convient de ne pas baisser la garde ; la vigilance et l’engagement de la société civile sont plus que jamais requis.
L’encyclique Populorum progressio a pour objet, comme ses premiers mots l’indiquent, le « développement des peuples ».
Elle invite tous les « hommes de bonne volonté » à prendre conscience, dans toute sa gravité, de l’injustice de la distribution des moyens de subsistance dans le monde et à agir pour y porter remède. La question de la paix n’y est donc pas abordée directement et pour elle même. Toutefois, l’une des nouveautés de l’encyclique est de désigner le développement comme « le nouveau nom de la paix ». Le développement n’y est donc pas considéré comme un objectif purement économique de correction des inégalités de richesses et de démarrage de la croissance dans les pays pauvres. La notion de « développement solidaire » que propose l’encyclique implique aussi l’instauration de nouvelles relations entre les nations, relations de paix nouées en vue de « promouvoir, avec le mieux être, le progrès humain et spirituel de tous, et donc le bien commun de l’humanité » (§ 76).
I – La question de la paix dans Populorum progressio
Populorum progressio souligne en premier lieu les dangers pour la paix de l’inertie ou de la résignation devant des « situations dont l’injustice crie vers le ciel ». Elle constate qu’en pareil cas, « grande est la tentation de repousser par la violence de telles injures à la dignité humaine » (§ 30). Porter remède aux injustices qui caractérisent les relations entre « les peuples de l’opulence » et « les peuples de la faim », c’est réduire les risques de violences et donc de guerre intérieure ou extérieure. Car le refus des pays développés de partager leurs richesses constitue un véritable danger pour la paix. « Leur avarice prolongée ne pourrait que susciter le jugement de Dieu et la colère des pauvres, aux imprévisibles conséquences » (§ 49).
À la suite notamment de Pacem in terris, l’encyclique donne cependant à la paix un contenu qui va bien au delà de la simple prévention de la guerre. Elle se refuse ainsi, par exemple, à assimiler la guerre froide à une paix véritable. Pour l’encyclique « la paix ne se réduit pas à une absence de guerre, fruit de l’équilibre toujours précaire des forces. Elle se construit jour après jour, dans la poursuite d’un ordre voulu de Dieu, qui comporte une justice plus parfaite entre les hommes » (§ 76).
Cette conception de la paix comme mode nouveau de relations entre les États conduit à une autre approche de la sécurité internationale, moins fondée sur les armes et davantage appuyée sur des politiques coopératives, en particulier d’aide au développement. C’est dans cette perspective que l’encyclique formule la proposition d’instituer « un fonds mondial alimenté par une partie des dépenses de militaires, pour venir en aide aux plus déshérités » (§ 51). Les puissances engagées dans une course aux armements qui les épuise ont le devoir de trouver les voies du dialogue, de surmonter leur « peur » ou leur « orgueil » pour mettre un terme au « scandale intolérable » que constitue ce gaspillage de ressources alors qu’une grande partie de l’humanité est écartée des biens les plus indispensables à une vie digne (§ 53).
L’encyclique considère par ailleurs qu’il ne saurait y avoir, au plan international d’action efficace en faveur du développement sans un « dialogue des civilisations », « centré sur l’homme, et non sur les denrées ou les techniques ». Et elle fait parallèlement observer que ce dialogue constitue un élément déterminant de la paix du monde (§ 73). La construction d’une paix authentique et durable passe donc par l’action solidaire des nations riches et pauvres au service du développement. Une « autorité mondiale efficace », c’est-à-dire une ONU renforcée, notamment « sur le plan juridique et politique », en est le cadre naturel et indispensable (§ 78).
II – Les grandes orientations proposées par Populorum progressio pour la construction de la paix ont gardé leur pertinence malgré la profonde transformation du système international
1) Malgré les profondes évolutions intervenues depuis quarante ans, le sous développement reste un fait massif à l’échelle du monde
Le système international s’est profondément transformé depuis mars 1967, date de publication de Populorum progressio. La politique de « détente » suscitait alors beaucoup d’espoirs. On en attendait une réduction des tensions internationales, des progrès dans le désarmement et une certaine ouverture des sociétés du bloc de l’Est. Les pays occidentaux étaient encore dans la période de croissance rapide des « Trente glorieuses » alors que les pays à économie dirigée semblaient pouvoir assurer à leur population une amélioration lente mais régulière de leur niveau de vie. Les pays du Tiers monde issus de la décolonisation ne parvenaient pas, pour leur part, à accéder au « décollage » de leur croissance, en raison, en particulier, de contraintes structurelles imposées par le monde développé. Sur le plan politique, ils tentaient, cependant, depuis la conférence de Bandung notamment, de faire entendre collectivement leur voix et demandaient plus d’équité dans les relations économiques internationales. Le défi majeur de la politique internationale apparaissait dès lors de leur permettre de trouver les voies du développement, d’autant plus que leur pauvreté constituait le terreau de conflits incessants, régulièrement aggravés par la rivalité Est Ouest.
Aujourd’hui, l’effondrement du bloc communiste a fait disparaître la dualité des modèles d’industrialisation et l’émergence de pays comme la Chine ou l’Inde interdit de considérer le monde en développement comme une réalité largement homogène. Les pays en développement ne paraissent plus dès lors en mesure d’exercer une influence collective réelle sur la scène internationale. Ils ne représentent plus, comme du temps de la guerre froide, un enjeu de la lutte d’influence entre les puissances.
Parallèlement, les thèmes du développement et de la pauvreté dans le monde semblent avoir perdu de leur acuité dans les débats de politique internationale au sein des pays riches. Les objectifs du millénaire de l’ONU pour le développement paraissent insuffisamment mobilisateurs. L’aide publique au développement stagne, à l’exception notable des efforts récents entrepris pour alléger la dette des pays les plus pauvres.
Pourtant, malgré les progrès spectaculaire de l’Asie, malgré des taux de croissance redevenus positifs et atteignant de l’ordre de 5 % dans de nombreuses régions en développement, notamment en Afrique, la misère, définie comme l’obligation de vivre avec moins d’un dollar par jour, touche aujourd’hui encore de l’ordre d’un milliard de personnes dans le monde. Si, depuis le début des années 1990 la pauvreté a sensiblement reculé en Asie, ce recul est allé de pair avec une nette augmentation des inégalités.
Même dans les pays émergents où la croissance est quantitativement forte, de larges secteurs de la population sont toujours écartés du développement, au sens global que lui donne Populorum progressio.
Plus généralement, peu de progrès ont été constatés à mi parcours du calendrier de réalisation des objectifs du millénaire de l’ONU dans les régions autres que l’Asie. Et même en Asie, certains objectifs, comme la réduction de moitié entre 1990 et 2015 de la proportion d’enfants victimes de la malnutrition paraissent difficiles à atteindre.
2) Le sous développement est, tout autant qu’en 1967, source d’instabilité et de violences
Dans une économie désormais mondialisée, la question sociale reste mondiale et les conséquences du sous développement pour la sécurité internationale n’ont en rien perdu de leur gravité. Les inégalités qu’engendrent les mécanismes économiques mondiaux restent tout aussi menaçantes pour la paix du monde qu’au moment de la publication de Populorum progressio.
Si l’on recherche les causes des conflits les plus graves et en particulier des crises humanitaires que connaît le monde aujourd’hui, on ne peut pas ne pas identifier, au premier rang de ses causes, la misère et la lutte qui en résulte pour la possession de ressources trop réduites pour assurer la subsistance des populations concernées. La crise du Darfour trouve ainsi son origine dans la révolte de populations marginalisées, sur fond de haines anciennes entre nomades et sédentaires et dans un contexte de rivalités pour le partage des ressources nationales. Plus généralement, les replis identitaires que l’on observe dans de nombreuses régions du monde sur des appartenances tribales, ethniques, nationales ou religieuses sont non seulement suscités et facilités par la pauvreté mais la pauvreté peut en accroître dramatiquement les conséquences en termes d’intolérance, d’exclusion mutuelle et de violence.
Dans tout « l’arc de crise » qui s’étend du Maroc au nord du sous continent indien, le chômage, la détérioration des conditions de vie urbaine, la désagrégation des liens sociaux constituent un terreau favorable aux idéologies radicales. Comme le soulignait Jean Paul II dans son message pour la journée mondiale de la paix de 2002, « le recrutement des terroristes est plus facile dans les contextes sociaux où les droits sont foulés aux pieds et où les injustices sont trop longtemps tolérées ».
3) Paix et développement sont indissociables
En matière de sécurité internationale, un premier enseignement peut donc être aujourd’hui tiré de Populorum progressio. Paix et développement sont indissociables. Œuvrer au développement, c’est œuvrer à la paix et inversement, toute politique de paix est illusoire si elle n’intègre pas une politique de développement.
Cet enseignement peut s’appliquer en particulier aux missions militaires actuellement conduites dans le monde pour rétablir la stabilité et ramener la paix, par exemple en Afghanistan, dans des pays africains ou dans les Balkans. Si cette action militaire n’est pas intégrée dans une stratégie plus vaste de soutien au développement dans toutes ses dimensions, notamment politiques économiques et sociales, la stabilisation recherchée ne pourra être acquise durablement. L’Afghanistan en constitue un exemple évident. Il est illusoire de croire que ce pays pourra retrouver la paix et cesser de constituer un foyer de terrorisme si un effort suffisant n’est pas consenti, notamment par les pays de l’OTAN, pour lui permettre d’amorcer son développement et d’éradiquer l’économie de la drogue qui y prolifère.
Il est relativement facile, lorsqu’une crise grave se produit dans un pays du Sud, d’engager des forces militaires pour la circonscrire et stabiliser à court terme la situation politique de ce pays. L’aider sérieusement à réduire les causes économiques, sociales, politiques voire ethniques ou religieuses de la crise est incomparablement plus difficile, plus lent et plus coûteux. C’est pourtant la seule voie d’une paix durable.
4) Le désarmement peut libérer des ressources pour le développement
Un des aspects préoccupants de la situation internationale actuelle réside dans le rapide accroissement des dépenses militaires depuis la fin des années 1990. Selon les estimations de l’Institut de recherche sur la paix de Stockholm, les dépenses militaires auraient représenté, aux prix courants, 1 204 milliards de $ en 2006. En termes réels, leur augmentation aurait été de 3,5 % par rapport à 2005 et de 37 % sur la période 1997-2006.
Ces dépenses sont très inégalement réparties. Selon les données établies par le même institut, les États-Unis réalisaient en 2006 46 % des dépenses militaires mondiales. Ils étaient alors suivis par le Royaume Uni, la France, le Japon, la Chine, l’Allemagne, la Russie et l’Italie. La part de ces Etats était cependant nettement plus faible puisqu’elle allait de 5 % pour le Royaume-Uni à 3 % pour l’Italie.
Quelles que soient les raisons, bien connues, qui ont conduit à cette situation, on ne peut s’empêcher de rapprocher le montant des dépenses militaires mondiales de celui de l’aide publique au développement. En 2006, l’aide publique au développement accordée par les pays du Comité d’aide au développement de l’OCDE qui rassemble les principaux pays donateurs ne représentait que 103.9 milliards de $ soit de l’ordre de 12 % de leur propres dépenses militaires et 8,6 % des dépenses militaires mondiales.
Il ressort manifestement de ces données qu’une relance du désarmement pourrait libérer des ressources appréciables pour le développement et que la proposition de l’encyclique sur la création d’un fonds de développement financé par une fraction des dépenses militaires garde toute sa pertinence.
L’encyclique Sollicitudo rei socialis publiée à l’occasion du vingtième anniversaire de Populorum progressio ajoute à ce propos que « si la production des armes est un grave désordre qui règne dans le monde actuel face aux vrais besoins des hommes et à l’emploi des moyens aptes à les satisfaire, il n’en est pas autrement pour le commerce de ces armes ». Cette remarque revêt aujourd’hui une nouvelle actualité alors que les transferts d’armement viennent de connaître une progression de plus de 50 % au cours des dernières années. Si l’on souhaite empêcher de nouveaux détournements de ressources au détriment des programmes de développement, des efforts accrus doivent être menés au plan international d’une part pour renforcer la transparence et le contrôle des ventes d’armes et d’autre part pour donner aux pays importateurs les garanties politiques de sécurité qui leur permettraient de réduire leur effort d’armement.
5) La coopération des peuples au service du développement peut poser les bases d’une « alliance des civilisations »
En proposant que le développement devienne, à l’échelle mondiale, une entreprise commune associant dans un dialogue égalitaire pays riches et pauvres, Populorum progressio lance un appel à une alliance des civilisations dont nous ressentons aujourd’hui fortement le besoin à un moment où tout particulièrement les valeurs musulmanes traditionnelles semblent entrer violemment en opposition avec celles des États-Unis et de l’Europe occidentale. Le renforcement des liens de solidarité avec les pays musulmans peut en poser les bases.
Il implique cependant, comme le note Sollicitudo rei socialis « que l’on renonce à toute forme d’impérialisme économique, militaire ou politique et que l’on transforme la défiance réciproque en collaboration ». Les entreprises actuelles qui visent, par exemple au Proche Orient ou en Irak à imposer par la force une situation politique déterminée à des pays musulmans ne peuvent que ruiner les perspectives du dialogue. De même des politiques de sanctions qui provoqueraient des souffrances disproportionnées parmi la population concernée, qu’il s’agisse de celle de la bande de Gaza ou de celle beaucoup plus nombreuse de l’Iran risquent d’aggraver à terme la confrontation.
Inversement l’ouverture du dialogue euro méditerranéen dans le cadre du « processus de Barcelone » a marqué une étape significative dans le rapprochement des sociétés européennes et musulmanes. Le projet d’Union de la Méditerranée que le Président de la République souhaite mettre en œuvre à partir de solidarités concrètes serait de nature à consolider les acquis de ce dialogue et à en amplifier la portée politique.
6) L’ONU constitue le cadre naturel et indispensable de la construction de la paix
Populorum progressio plaidait pour un renforcement de l’autorité et des compétences de l’ONU alors même que celle ci était largement paralysée par l’opposition des blocs et l’usage systématique de leur droit de veto par les membres permanents du Conseil de sécurité. Aujourd’hui ces obstacles politiques ont disparu. Et l’on a pu croire, après la fin de la guerre froide, que les États et singulièrement les plus puissants d’entre eux s’accorderaient pour accroître considérablement le rôle de l’ONU non seulement en matière strictement politique pour garantir la sécurité internationale mais aussi dans le domaine économique et social pour organiser la coopération internationale au service du développement.
Plusieurs facteurs ont cependant fait obstacle à cette affirmation de l’autorité de l’ONU, en particulier le refus des principales puissances de se soumettre au consensus international dès qu’elles considéraient que leurs intérêts fondamentaux sont en cause, leur incapacité à accorder des ressources suffisantes aux programmes de développement de l’ONU ainsi que, de manière générale, les difficultés de la gouvernance internationale.
Au-delà de ces difficultés immédiates, la construction d’un véritable ordre international de paix suppose un consensus international sur trois questions : la prohibition de l’action violente unilatérale, la réforme des institutions de l’ONU et le renforcement des organisations régionales et sous régionales.
- face aux crises toute action unilatérale en dehors du cadre de l’ONU est à proscrire, hormis le cas de légitime défense ; dans un monde interdépendant, l’action unilatérale, tout particulièrement si elle implique le recours à la force, ne peut à terme que porter préjudice à la sécurité internationale et donc au développement ;
- l’accroissement de l’autorité de l’ONU et de son efficacité suppose la réforme de ses modes de décision, de ses moyens et de ses méthodes ; un Conseil de sécurité représentatif du monde d’aujourd’hui, une Assemblée générale mieux associée aux décisions, une gouvernance plus rigoureuse associée à des financements plus solides permettraient davantage de progrès sur la voie de la paix comme du développement ;
- l’ONU doit pouvoir s’appuyer sur des organisations de sécurité collective fortes au niveau régional, capables d’associer immédiatement les pays directement concernés par une question de sécurité ou de développement ; en Afrique par exemple l’Union africaine et les organisations sous régionale constituent des instruments irremplaçables.
Comme la crise financière mondiale et ses conséquences paraissent parties pour dominer une fois de plus, en 2013, le paysage économique, social et politique, la Conférence des Commissions Justice et Paix d’Europe, s’appuyant sur l’expérience de 31 pays européens, souhaite défendre la cause d’un changement radical.
Notre vision est celle d’une société dans laquelle toute l’activité économique est au service des exigences de la justice et du bien commun. Nous croyons qu’une responsabilité particulière à cet égard incombe aux Gouvernements pour faire adopter la législation et des structures nécessaires. Le secteur financier existe pour servir l’économie réelle, qui a besoin d’être au service de la société, qui, à son tour, existe pour protéger et promouvoir la dignité et le bien-être de la personne humaine.
L’inversion de ce système de valeurs voit l’avenir des institutions financières assuré aux dépens des besoins et du bien-être d’individus, de familles et même des générations futures. De nouveaux scandales financiers continuant à être mis à jour, il devient de plus en plus clair que nos sociétés ont permis au secteur financier d’agir comme s’il était au-dessus des lois et non soumis aux limites qui gouvernent d’autres aspects de la vie en société. Pourtant, quand il a été mis en échec, la société a payé un prix élevé et le fardeau a été très injustement réparti.
Une conséquence bénéfique qui a résulté de la crise est l’exigence publique accrue de transparence et en faveur d’une régulation de l’activité financière par une autorité indépendante. Les coûts de la dissimulation et de la fraude dans les domaines de la fiscalité et de la comptabilisation des bénéfices réalisés dans les pays en développement ont été mis en évidence et dénoncés par des militants depuis des années. On prend mieux conscience aujourd’hui que les pays européens paient, eux aussi, le prix de leur incapacité à faire face à ces pratiques.
Tout en reconnaissant l’apport positif que procurent à la société les entreprises et les activités financières, le Gouvernement doit veiller à ce que cet apport soit juste et équitable. A un niveau international, les gouvernements doivent obliger les sociétés à publier des comptes détaillés par pays. Le problème des paradis fiscaux doit être traité de façon sérieuse si nous voulons mettre en œuvre à l’avenir un modèle économique plus juste et plus durable.
En conséquence, la Conférence des Commissions Justice et Paix d’Europe appelle nos gouvernements :
- à se mettre d’accord pour adopter un Code commun d’éthique pour les institutions financières qui fasse ressortir l’importance de la transparence, de la responsabilité, des droits de l’Homme, des contributions fiscales et d’une juste répartition des profits.
- à examiner les pratiques de régulation en vue d’établir un organe international de régulation indépendant des institutions financières, avec de fortes préoccupations éthiques.
- à identifier les points qui nécessitent un renforcement de la régulation-au niveau national et international-afin de garantir que l’activité économique se conforme aux exigences de la justice.
- à introduire une législation qui oblige les entrepreneurs à exposer de façon complète et claire tous les aspects de leur activité économique. On supprimerait ainsi l’évasion fiscale et on pourrait régler le problème des paradis fiscaux.
- à répondre à nos obligations de justice économique en maintenant notre engagement à consacrer 0,7% de notre PIB à l’Aide Publique au Développement.
- à instituer une taxe sur la spéculation financière pour assurer le financement d’initiativesvisant le développement international et la justice sociale, comme l’a proposé la Commission européenne en 2011, et comme l’ont approuvé 11 pays de l’UE, en janvier de cette année, système selon lequel la vente d’actions et d’obligations serait taxé à 0,1%, et les contrats sur les produits dérivés, à 0,01%.