Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
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Guy Aurenche a été membre de Justice et Paix de nombreuses années. Il est aujourd’hui Président du CCFD-Terre solidaire. De retour de mission à Gao, il témoigne…
Nul Français n’a pu ignorer les conditions du renvoi, médiatisé, en Afghanistan de trois migrants malchanceux.
Mais qui pourrait imaginer le sort que subissent actuellement des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants qui meurent sous le soleil, à la frontière algéro-malienne ?
Leur tort ? Avoir tenté la migration vers l’Europe et avoir été refoulés depuis le sol européen, ou depuis l’Algérie, le Maroc ou la Libye. C’est en effet à ces pays « amis » que la France, l’Italie, l’Espagne confient la gestion de ces retours au pays.
À Tinzaouaten, un oued asséché sépare le Tinza algérien du Tinza malien. Entassés dans des abris de fortune ou des maisons effondrées, des centaines d’être humains tentent de survivre à la chaleur, la soif, pire aux violences des trafiquants en tout genre qui peuplent le désert. Pire encore, ils essaient de demeurer humains après avoir vécu l’épreuve de l’humiliation, des brutalités policières, des vols et des viols. En un mot, de la déshumanisation subie depuis le lieu de leur arrestation jusqu’à cet endroit, qu’ils surnomment « l’antichambre du diable ».
Chaque semaine, des véhicules algériens déversent leur cargaison humaine comme l’on déverse des déchets encombrants dans le jardin du voisin. Il faut bien en effet vider régulièrement les camps de rétention surpeuplés par les vagues successives de refoulements. Répartis en « ghettos », par nationalité, des Camerounais, Libériens, Nigériens et Nigérians, Sénégalais, Ivoiriens ou Maliens subissent la loi des caïds et attendent, sous le regard des militaires. Il est facile d’imaginer l’esclavage auquel des individus dépouillés de tout peuvent être livrés pour tenter de réunir le peu d’argent qui leur permettrait de fuir. Et que dire du sort des femmes… et des quelques enfants qui s’y trouvent ?
Pour atteindre Kidal, puis Gao au Mali (à 700 Km), il faut avoir la chance d’être inscrit sur la liste du convoi hebdomadaire qu’organise depuis peu la Croix rouge malienne et Internationale. Devinons ce qu’il a fallu faire pour pouvoir être « sélectionnés » !
À Gao, au bord du magnifique fleuve Niger, qui n’en finit pas d’éveiller les « rêves africains », une petite maison sans aucun confort, les accueille : la Maison des Migrants. Quelques hommes, quatre anciens migrants adossés à des associations locales et à la paroisse de Gao et appuyés par des équipes locales et par le CCFD Terre solidaire, donnent à boire et à manger, réconfortent. Ils tentent d’organiser avec chacun les modalités du retour dans leur pays à des milliers de kilomètres. Quand les pauvres aident les plus pauvres nous ne pouvons qu’admirer.
Mais cela ne suffit pas et la générosité de quelques- uns ne peut excuser notre silence.
Comment vaincre la loi du silence qui laisse mourir dans le désert des personnes que le désespoir absolu avait conduits à émigrer… et que nos autorités européennes rejettent ?
Sans pouvoir faire ici le procès d’une politique européenne du contrôle des migrations qui est aveugle et inhumaine, le courage des aidants et le calvaire des aidés nous imposent d’informer nos autorités sur les conséquences de leurs choix politiques. Nous ne voulons pas nous en laver les mains.
La politique de la forteresse coûte des centaines de millions d’euros à l’Europe. Ils seraient mieux employés dans des processus de coopération véritable mettant la priorité sur le développement local et la satisfaction des besoins essentiels des populations. Dans le domaine des migrations,, les accords bilatéraux signés par la France et certains Etats, « exécuteurs des basses œuvres », ne respectent ni les droits humains ni la souveraineté des pays.
Les Etats africains doivent être interpellés quand ils refusent de voir le problème et de le traiter entre Africains, pourtant porteurs d’une tradition d’accueil qui ne survit ni à la raison d’Etat ni aux petits calculs profitables.
Albert Camus, que certains appellent aujourd’hui à la rescousse, évoquant la découverte du drame de la guerre par ceux de sa génération écrivait : « Nous disons non à ce monde… à sa fondamentale absurdité, à la civilisation de mort que nous voyons construire autour de nous(…) nous affirmions que ce processus était allé trop loin ; qu’il y avait une limite au supportable(…). Simultanément nous affirmions de façon positive quelque chose qui en nous repoussait l’offense et ne pouvait indéfiniment se laisser humilier ».
L’humiliation n’aura pas le dernier mot !
Guy Aurenche
Avocat honoraire.
Président du CCFD – Terre solidaire
Président d’honneur de la Fed. Internationale de l’ACAT
Le CCFD–Terre Solidaire est responsable, au nom des évêques de France, de la collecte réalisée le 5ème dimanche de Carême, au profit des actions de solidarité internationale.
P.-S.
Le Mali : 12M d’habitants, 1 240 238 km², a des frontières avec 7 autres pays africains.
En 2006, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union (FRONTEX) a lancé un plan d’action pour réduire les migrations clandestines d’origine subsaharienne.
Tinzaouaten : localité du nord du Mali, située à la frontière avec l’Algérie, à 600 km de Gao, à 1800 km de Bamako.
Depuis 2006, une équipe, autour du P. Anselm Mahwera, accueille à Gao des migrants en détresse, refoulés par l’Algérie et la Libye
Depuis juillet 2009, la Croix Rouge malienne et le CICR (Comité International la Croix Rouge et du Croissant rouge) y offrent aux migrants une assistance humanitaire.
C’est sous ce titre que le Conseil de l’Europe a lancé sa campagne de lutte contre la traite en 2006 et institué une journée internationale de lutte contre ce phénomène. Le 18 octobre dernier, à l’occasion de cette première journée internationale, le Collectif français animé par le Secours Catholique et dont est membre Justice et Paix-France a organisé une conférence de presse et une journée d’études. Echos…
Le plus souvent associé à la prostitution, au sexe et à l’exotisme, le phénomène de la traite est rarement perçu dans sa globalité : il recouvre en effet le travail forcé, l’esclavage, l’exploitation sexuelle des adultes et des enfants et le prélèvement d’organes. Il est plus rare encore que soient médiatisés les combats, les difficultés et les initiatives des associations et des pouvoirs publics pour lutter contre ce phénomène mondial qui a pris les proportions d’une épidémie.
12,3 millions de personnes et d’enfants contraints au travail forcé selon l’Organisation internationale du travail (OIT), 4 millions de femmes et fillettes vendues chaque année, plus de 500 000 enfants exploités sexuellement identifiés sur la base de données d’Interpol. Pour la seule année 2006, 500 000 femmes d’Europe centrale et orientale vulnérables du fait de leur pauvreté sont venues en Europe occidentale par les réseaux de trafiquants. Ce que les chiffres révèlent, c’est qu’en l’espace de trente ans, le phénomène de la traite des êtres humains a considérablement évolué. Les mutations les plus inquiétantes sont liées à son industrialisation, sa mondialisation, sa diffusion par le biais des conflits armés, et l’adaptabilité des trafiquants. Ce que les chiffres ne disent pas, c’est la banalisation du phénomène, lourde de conséquences pour les victimes.
Pauvreté grandissante, instabilité économique et politique, aspiration légitime à des conditions de vie meilleures sont des facteurs déterminants qui expliquent la croissance extraordinaire de la traite des êtres humains dans le monde. Mais celui-ci se développe d’autant plus qu’à défaut d’un cadre juridique international clair et applicable dans les pays signataires, le crime est facile et peu risqué. Parvenir au niveau international à des conventions communes est ardu. Mais parce qu’elles ne tracent que des grandes lignes, les conventions internationales doivent être adaptées au droit commun de chaque État afin d’être applicables. Ce qui les dénature parfois et entrouvre la porte aux trafiquants, experts pour contourner les législations. Il ressort de cette réalité de terrain des carences juridiques importantes dont profitent aisément les trafiquants des différentes législations appliquées dans les pays. La complexité ne doit pourtant pas masquer des avancées importantes.
Routes
Dans son ouvrage sur la traite des êtres humains, la juriste Georgina Vaz Cabral explique comment « le processus de la traite des êtres humains se décompose en plusieurs étapes dont le recrutement, le transfert, l’assujettissement et l’exploitation des victimes ». Le recrutement comme la traite s’adaptent aussi aux mutations de notre monde, aux formes d’exploitation multiples, aux spécificités culturelles, sociales et économiques des pays.
Les recruteurs sont généralement rattachés à des organisations mafieuses puissantes et parfaitement structurées, mais ils peuvent être aussi de simples individus déterminés à gagner facilement et rapidement de l’argent en exploitant des personnes de leur connaissance, parfois même des proches. Le mode de recrutement le plus usuel identifié par de nombreuses associations de terrain reste les fausses offres d’emploi dans les pays particulièrement pauvres. La misère, l’espoir d’une vie meilleure conduisent de nombreuses personnes à saisir la moindre opportunité de changement.
En Europe de l’Est, des sociétés écrans spécialisées dans l’emploi à l’étranger se multiplient. Agences matrimoniales, agences spécialisées dans l’obtention de visas constituent, sans être véritablement inquiétées, des catalogues entiers de femmes candidates.
En Afrique, le poids des traditions, très lourd, a une influence directe sur le recrutement des petites bonnes, notamment, assuré par les familles elles-mêmes. Domestiques ou vouées à la prostitution, des fillettes sont vendues par leurs parents et partent généralement chez des proches, soit dans le pays d’origine soit dans un pays d’accueil, pour alimenter d’autres réseaux.
Les réseaux mafieux, très organisés, profitent aussi des facilités offertes par Internet. Des milliers de sites de démarchage ont ainsi vu le jour. L’enlèvement est aussi une pratique de recrutement courante. Les enlèvements d’enfants alimentent des réseaux de prostitution enfantine ou servent de monnaie d’échange pour obtenir des mères qu’elles se soumettent aux pires horreurs. Terrorisées, les femmes se sacrifient dans l’espoir de revoir leurs enfants ou de protéger leur famille. Pour de nombreux enfants des rues ou issus de familles vivant dans la misère, les promesses liées à une vie meilleure, comme le financement d’études, sont des appâts faciles. Ensuite, isolées dans des pays inconnus, violées, battues, droguées, le plus souvent sous-alimentées, les victimes dépossédées de leurs papiers d’identité n’ont d’autre recours que la soumission.
Les routes de la traite sont intrinsèquement liées à l’immigration clandestine et donc difficilement identifiables. Quand elles le sont, les trafiquants les modifient rapidement et s’adaptent au contexte juridique et répressif des pays. Europol a ainsi identifié des itinéraires pratiqués vers l’Europe. Par exemple la route de la Russie vers les pays scandinaves, des Balkans en provenance du Caucase, de l’Asie et de l’Europe de l’Est pour parvenir en Hongrie, de l’Afrique de l’Ouest vers le Portugal et l’Espagne via l’Algérie et le Maroc. L’Asie du Sud Est et l’Afrique centrale demeurent les principales régions d’origine. La difficulté, pour les réseaux comme Europol, consiste à anticiper les changements d’itinéraires et à identifier les marchés parallèles rémunérateurs qui permettent l’organisation de voyages frauduleux, le transport clandestin notamment.
Enjeux financiers
Les profits de la traite des êtres humains sont encore mineurs en comparaison des trafics de drogue ou d’armes. Mais ce marché rapporterait chaque année plus de 27 milliards d’euros, selon l’Organisation internationale du travail. Les seuls gains relatifs à l’exploitation sexuelle seraient de l’ordre de 7 milliards d’euros par an. Le trafic de la traite des êtres humains arrive ainsi en troisième position du commerce criminel.
Selon les derniers rapports de l’Organisation de sécurité et de coopération en Europe, 137 pays sont des pays destinataires et 127 sont des pays d’origine.
Initiatives
Face à l’ampleur du phénomène, de très nombreuses organisations dépendant,soit des Nations unies soit des institutions européénnes se mobilisent dans le monde et en France aux côtés des ONG pour lutter contre la traite. La tâche de l’Europe, parallèlement au travail de répression et d’identification des réseaux mené par Europol, est d’allouer des fonds pour financer les projets de nombreuses ONG et associations locales à l’œuvre dans la prévention, la prise en charge des victimes et leur réinsertion.
De nombreuses initiatives ont pu être développées grâce à ces financements. En voici quelques exemples, loin d’être exhaustifs : au Brésil, le ministère du Tourisme a créé une ligne téléphonique spéciale reliée à la police, où tout signalement d’abus peut être effectué. Des pays comme le Sri Lanka ou la Thaïlande ont renforcé leur législation sous la pression internationale. Interpol (organisation internationale de police criminelle ) a considérablement augmenté ses équipes et développé des formations spécifiques. Elle travaille en étroite collaboration avec la société civile.
Face à la complexité de cette criminalité mondialisée, seule une connaissance de tous les aspects de la traite, suivie de la mise en place de politiques globales et structurelles, pourra contrer les trafiquants.
Justice et Paix-France
Et Véronique Linarès
Secours Catholique
Les conventions internationales en vigueur
Il aura fallu attendre les années 90 pour que la communauté internationale prenne la mesure du phénomène
Protocole de Palerme – Dans le cadre de la Commission de l’Organisation des Nations unies pour la prévention du crime et la justice pénale, 102 pays travaillent à partir de 1999 sur une définition commune de la traite. Ils aboutissent le 15 décembre 2000 au protocole de Palerme, encore unique référence en 2007, signé par 80 États et entré en vigueur en 2003. Parallèlement, des instruments juridiques ont été mis en place pour interdire le trafic d’enfants à des fins d’exploitation sexuelle :
Le protocole additionnel à la Convention contre la criminalité internationale organisée vise ainsi à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. Il a été signé par la France en décembre 2000.
Le protocole additionnel à la Convention internationale des droits de l’enfant concerne pour sa part, la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. Il a été ratifié par la France en 2003.
La convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains : la plus importante puisqu’elle concerne l’ensemble des victimes.
Ces fiches proposent de réfléchir à l’expérience féconde et enrichissante, mais parfois douloureuse et toujours complexe, de la rencontre entre les cultures.
Elles rejoignent des réalités que nous vivons déjà avec plus ou moins de bonheur. Comment choisir ensemble entre la tentation du repli sur soi refusant toute diversité culturelle et l’acceptation béate, voire irresponsable, d’une coexistence des cultures qui ne poserait aucun problème ?
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