Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024 (PDF)
Dans son message pour la Journée Mondiale de la Paix du 1er janvier, le pape François attire notre attention sur les risques du développement de l’intelligence artificielle pour la paix dans le monde, mais aussi sur les opportunités que celle-ci présente pour un monde plus juste et fraternel.
Le Pape réaffirme que « la dignité intrinsèque de chaque personne et la fraternité qui nous lient en tant que membres de l’unique famille humaine doivent rester à la base du développement des nouvelles technologies et servir de critères indiscutables pour les évaluer avant leur utilisation, afin que le progrès numérique se fasse dans le respect de la justice et contribue à la cause de la paix ».
Il présente deux séries de défis. Dans le champ de l’éducation, qui est profondément transformée par ces évolutions, le pape François invite à promouvoir la pensée critique et à renforcer la capacité de discernement. Dans le champ du droit international, il appelle à adopter un traité international contraignant qui règlemente le développement et l’utilisation de l’intelligence artificielle, pour prévenir des mauvaises pratiques et encourager les bonnes, sur la base des valeurs humaines qui fondent l’engagement des sociétés comme le sens de l’existence humaine, la protection des droits humains fondamentaux, la poursuite de la justice et de la paix.
Le Pape insiste aussi sur le fait que nous sommes tous concernés. « La paix, en effet, est le fruit de relations qui reconnaissent et qui accueillent l’autre dans sa dignité inaliénable, ainsi que de la coopération et de l’engagement dans la recherche du développement intégral de toutes les personnes et de tous les peuples ».
Ma prière au début de cette année rejoint celle du pape François, pour que le développement rapide de formes d’intelligence artificielle n’augmente pas les trop nombreuses inégalités et injustices déjà présentes dans le monde, mais contribue à mettre fin aux guerres et aux conflits, et à soulager les nombreuses formes de souffrance qui affligent la famille humaine.
Sur ces sujets, on peut lire deux ouvrages coordonnés par le Service national Famille et Société de la CEF :
Pour un numérique au service du bien commun, Odile Jacob 2022
Chrétiens dans la révolution numérique, Documents Épiscopat #3-2023
[… ] C’est l’Europe entière qui pleure la mort de l’un de ses plus grands architectes. L’Union européenne perd son « citoyen d’honneur », selon le titre qu’il partage avec Jean Monnet et Helmut Kohl, qu’il aida dans la réunification de l’Allemagne. Marché unique, euro, Schengen, élargissements et Erasmus, mais aussi fonds de cohésion, dialogue social, aide aux plus démunis : les plus belles réalisations de l’intégration européenne sont indissociables de la clairvoyance, de l’audace, des convictions, de la persévérance et du travail acharné, qui ont caractérisé l’action de Jacques Delors durant ses dix ans à la tête de la Commission européenne. Une action déployée selon son triptyque : « La concurrence qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit » …
voir le texte de l’Institut Jacques Delors
L’extrême droite et ses affiliés anti-européens occupent les devants de la scène politique en Hongrie, en Slovaquie, aux Pays-Bas, en Suède… Des gangs et milices s’implantent en centres villes, terrorisent passants ou livreurs (Lyon, Dublin récemment). Les actes antisémites se multiplient, parfois en toute impunité. C’est vrai. Pourtant, sous les radars de nos médias, nombreux sont ceux qui dénoncent les mensonges des partis de la peur et qui tentent d’enrayer leur déconstruction de l’état de droit. Nombreux sont les tisserands qui recousent et reprisent une toile européenne fragilisée.
Réseau discret, Justice et Paix Europe (JPE) est de ceux-là : il regroupe environ 25 Commissions nationales, toutes différentes mais unies pour partager la pensée sociale de l’Église. Son siège est à Bruxelles et l’organisation est aussi représentée au Conseil de l’Europe à Strasbourg, travail porté efficacement pendant de longues années par Jean-Bernard Marie, de la Commission Française. J’ai fait partie du comité exécutif de JPE pendant 4 ans, et assuré sa présidence, à la suite de la démission de Mgr Treanor, nommé Nonce auprès de l’UE. Alors qu’une nouvelle co-présidence mixte prend le relais, je voudrais partager quelques pensées sur les forces et faiblesses du réseau.
Ses forces tiennent dans l’unité chrétienne et la diversité des pratiques. Les programmes et projets présentés en AG annuelle sont aussi variés que les Commissions : certaines plutôt des think tank, d’autres engagées dans le travail social ou de développement, certaines proches des Conférences épiscopales dont elles dépendent, d’autres gestionnaires autonomes de fonds propres et/ou publics. Mais si les œuvres varient, l’attention reste sur les sans-voix (exclus, migrants, générations futures) et sur le rappel à leurs responsabilités des puissants. Les Commissions parlent souvent à l’unisson comme au printemps 2022 pour la défense de l’Ukraine, tous les 10 décembre pour rappeler l’importance des droits humains malmenés, ou encore pour relayer le message annuel de paix du pape François auprès des parlementaires européens. Tous les deux ans un thème commun est défini pour encourager des synergies. En prévision des élections européennes de juin 2024, l’accent est placé sur la lutte contre le repli sur soi et la reconstruction du multilatéralisme.
Les fragilités du réseau sont multiples : sa petite taille, le manque de moyens financiers, mais surtout le vieillissement d’une génération de catholiques héritiers de Vatican II. Alors, conscients de n’être que peu, les membres des commissions nationales font circuler les informations, les idées, les textes. Les ressources intellectuelles et spirituelles ont ceci de beau qu’elles se multiplient en se partageant. Ils célèbrent aussi, chaque fois qu’ils le peuvent, la joie d’être ensemble. Ces rencontres représentent un coût non-négligeable pour les commissions nationales. Mais elles remobilisent, encouragent, ouvrent les horizons. Se savoir accompagné donne force à notre fragilité, nous permet de nous tenir là, vulnérable mais nouant les cordages des tempêtes à venir.
Quelles cordes ? Les Commissions qui fonctionnent le mieux sont celles qui travaillent arrimées à d’autres acteurs sociaux catholiques, dans les diocèses, comme les réseaux tels le «Mouvement Laudato si’», l’Alliance ELSi’A et les Caritas (y compris Caritas Europe et Internationalis), celles qui prennent part à des projets de terrain (par exemple la Belgique francophone avec des partenariats internationaux sur l’extractivisme et son travail pédagogique dans les écoles ; les Pays-Bas avec le projet Shelter Cities pour accueillir des défenseurs des droits humains menacés chez eux). La crédibilité de l’Église étant fortement secouée, la parole revient donc s’incarner humblement dans l’expérience terrain, sociale, pastorale, pédagogique. L’Europe et la pensée de l’Église reprennent forme quand elles se partagent dans les diocèses, les foyers d’accueil, les universités…
Parce que l’Europe est complexe, elle se tisse à plusieurs niveaux. Nos plus jeunes, fragiles, ou exclus doivent pouvoir circuler, rencontrer la richesse de ce continent. Nos plus anciens doivent le leur permettre, tenir ouverts des lieux d’écoute, de partage, de bienveillance et de mémoire. Accueillir les éloignés de l’Europe, faire sens ensemble de cette traversée violente, c’est essentiel. Car nous sommes faits de liens et de sens.