Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Selon le dictionnaire philosophique : « est légitime ce qui est conforme non seulement aux lois mais aussi à la morale, à la raison ».

Il n’y a pas de pouvoir sans légitimité et, en démocratie, c’est l’élection qui rend légitime. Mais si la légitimité se fonde par le droit, elle fait aussi appel à un principe moral supérieur : ce qui est juste.

Il ne suffit donc pas de poser le principe de la légitimité par le suffrage, il faut aussi s’interroger sur ce qui peut fonder l’adhésion, le respect envers la décision, envers le pouvoir. La légitimité formelle est celle du droit, elle correspond à l’aspect légal d’une organisation politique, mais elle doit composer avec la légitimité sociale qui relie les citoyens sur la base d’une identité collective forte et d’intérêts communs.

Légalité et légitimité sont les deux pôles de la vie politique, et la loi est réputée exprimer la volonté générale. Mais compte tenu de l’abstention croissante au moment des élections, les démocraties font appel aujourd’hui à d’autres formes de participation des citoyens. Cela va de l’affirmation du « pouvoir d’agir des personnes » à la capacité des citoyens à débattre, à élaborer un avis en appui aux prises de décisions ; cela passe aussi par des états généraux, des conférences de citoyens, des comités de quartier, des ateliers, des référendums locaux ou, par exemple, dans l’Église catholique par le processus synodal… Cette co-élaboration répond à une véritable demande, dans le contexte de défiance vis-à-vis de tous les responsables qui caractérise largement notre époque.

Aujourd’hui la légitimité s’impose par le droit, l’élection, la tradition, le statut, la connaissance, l’expertise ou encore la conviction. Cette pluralité de légitimités rend caduque l’idée d’une légitimité une et absolue. Il n’y a donc plus de reconnaissance automatique de la légitimité d’une décision et de ceux qui la prennent, s’il n’y a pas eu écoute, discussion, concertation, négociation et surtout respect de l’autre (ce qui ne signifie pas que celui-ci aura le dernier mot).

Même si l’on sait qu’en dernier ressort la décision doit être prise dans le but de l’intérêt général (lequel est toujours supérieur à la somme des intérêts particuliers), il faut apprendre à voir cohabiter différentes légitimités.

 

Le feu couve sous la braise. La contestation des femmes se poursuit à bas bruit en Iran. Depuis les premières manifestations déclenchées en septembre 2022 par la mort d’une jeune femme, Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs pour un port jugé non conforme du foulard islamique, la répression s’est intensifiée et diversifiée. Mais le régime théocratique affronte un défi redoutable et durable : ossifié autour d’une base sociale rétrécie, il semble ne plus avoir de prise sur la transformation en profondeur de la société.

Signe que le pouvoir n’entend pas lâcher prise, de nouvelles mesures de surveillance sont entrées en vigueur courant avril. La police recourt à la surveillance vidéo et aux technologies de reconnaissance faciale pour traquer les femmes qui ne portent pas de foulard et pour exercer des pressions sur leur entourage, familial ou professionnel. Les autorités ont averti qu’un conducteur pris en train de rouler avec une femme n’obéissant pas au code vestimentaire pourrait voir son véhicule saisi en cas de récidive. Le 16 avril, elles ont fait savoir que 150 établissements commerciaux avaient été fermés en 24 heures pour ne pas avoir respecté l’obligation du port du voile par leurs employés.

La violence physique est aussi utilisée, à large échelle. Six mois après le début des manifestations, le bilan de la répression était d’environ 520 morts et plus de 20 000 arrestations, pour la plupart des jeunes, femmes et hommes. Quatre manifestants accusés d’avoir attaqué des représentants de l’ordre ont été exécutés. Les corps de certaines victimes ne sont parfois rendus aux familles qu’après qu’elles aient accepté de tronquer la vérité sur les circonstances exactes du décès. Le viol en prison est devenu une pratique courante. Des lycéennes adolescentes ont, elles aussi, été broyées par les forces d’oppression.

Cette triste litanie indique que le régime iranien mène une lutte sans merci contre ce qu’il considère comme un ennemi intérieur. Et de fait, la révolte des femmes s’apparente à une révolution. La République islamique a été instaurée en 1979, après le renversement du shah, par l’ayatollah Rouhollah Khomeyni. Ce haut dignitaire religieux chiite a imposé le système du velayat-e-faqih, une conception théocratique du pouvoir selon laquelle l’autorité suprême est détenue par un imam et, au-dessus de lui, par Dieu. Tout le reste en découle : le système politique, les règles économiques, la vie en société, le statut personnel. L’un des principaux symboles de cet ordre islamique est le port du foulard par les femmes, et plus particulièrement le hijab, qui couvre la tête en laissant le visage apparent. Cette prescription est présentée comme coranique par la plupart des autorités musulmanes dans le monde. En Iran, elle a été imposée par les miliciens khomeynistes dès le début de la révolution, puis par la brigade des mœurs.

Avec cette perspective, le combat des Iraniennes acquiert toute son ampleur. Le port du voile n’est pas qu’une contrainte vestimentaire. Il est le signe d’une soumission à l’ordre imposé par la République islamique. Et son rejet est, à l’inverse, un geste de défiance qui, lorsqu’il se répand et devient un ample mouvement collectif, récurrent et transgénérationnel, sape l’autorité du régime et de l’actuel guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei. Marcher les cheveux au vent, écrire sur les murs « Mort au dictateur », scander dans les rues le slogan « zan, zendegi, azadi » (« femme, vie, liberté »), ne plus respecter la séparation des sexes à l’université, accepter de prendre une femme non voilée dans son taxi ou d’employer une salariée travaillant tête nue… Tous ces actes deviennent des faits de résistance contre un système jugé oppresseur.

La République islamique d’Iran s’est longtemps enorgueillie de favoriser l’éducation des filles, davantage que certains régimes musulmans sunnites ultraconservateurs. Les femmes travaillent, conduisent, participent à des compétitions sportives. Mais elles doivent rester à l’intérieur d’un carcan de règles fixées par un clergé masculin pour qui la liberté des femmes est un cauchemar à réprimer à tout prix, car elle briserait tout son système de justification politique et idéologique. Le pouvoir est donc prêt à aller très loin dans la répression d’une nouvelle génération de femmes et d’hommes qui semble tout aussi déterminée à trouver son propre chemin d’existence, dans ce qui est son pays.

NB : lire l’article « Iran : une nouvelle révolution ? », de Sepideh Farkhondeh et Clément Therme dans la revue Études, n° 4300, Janvier 2023.

Certains disent que nous ne connaîtrons plus jamais un tel événement dans notre vie. Il est certain que l’Église et la société portugaises n’ont jamais été confrontées à un défi d’une telle ampleur. On estime que la population de la ville de Lisbonne (environ un million d’habitants) doublera les jours des Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ). Dans les jours qui les précéderont, des centaines de milliers de pèlerins sont attendus dans diverses régions du pays, dans d’autres villes et même dans les plus petites localités de l’intérieur du pays et des îles de l’Atlantique.

L’Église portugaise a relevé le défi en partant du principe que l’organisation de cet événement bénéficierait d’une collaboration importante de la part des autorités publiques, tant nationales que locales. Et il en a été ainsi, au-delà des clivages politiques : beaucoup reconnaissent, catholiques et non catholiques, combien les JMJ contribueront à la promotion du Portugal dans le monde. Mais, à l’enthousiasme initial, succèdent les critiques habituelles au nom de la laïcité de l’État, surtout lorsque les dépenses s’avèrent plus importantes que prévu (même si certaines structures à construire serviront plus tard à d’autres fins). En réponse à ces critiques, les responsables politiques invoquent la rentabilité financière attendue de la présence de tous ces jeunes. Il faut espérer que ce retour ne sera pas seulement financier…

On espère que les JMJ apporteront une contribution décisive à la revitalisation de l’Église portugaise dont, comme dans d’autres parties de l’Europe (bien que dans une moindre mesure), les jeunes générations se sont détournées. Le moment actuel est également marqué par un fait particulièrement douloureux : le rapport d’une commission indépendante a révélé l’ampleur (pour beaucoup surprenante) du drame des abus sexuels dans les milieux ecclésiastiques au cours des soixante-dix dernières années et leur dissimulation généralisée pendant des décennies.

La mobilisation des jeunes et des adultes a été jusqu’à présent remarquable et sans précédent. Il existe des comités d’organisation dans chaque paroisse, chaque vicariat (groupe de paroisses voisines) et chaque diocèse. Nous ne savons cependant pas si cette mobilisation sera suffisante pour un si grand défi. Déjà plus de dix mille personnes se sont inscrites pour travailler comme volontaires. Certains le font déjà et on y trouve aussi des personnes venues d’autres pays, proches ou plus lointains. Mais il faudra encore beaucoup plus de volontaires (on parle de vingt à trente mille). Il y a aussi beaucoup de familles qui sont déjà prêtes à accueillir les jeunes participants chez elles, mais pas encore en nombre suffisant, de sorte que les écoles et d’autres structures ne seront utilisées qu’en dernier recours (ce qui sera, de toute façon, nécessaire). C’est pourquoi les appels à davantage de volontaires et de familles d’accueil sont répétés lors des célébrations de chaque dimanche et sur des affiches disséminées dans la ville.

Les programmes des JMJ ont commencé à être préparés en collaboration avec le Saint-Siège. Une nouveauté importante est que la catéchèse traditionnelle menée par les évêques sera remplacée par des rencontres qui encouragent la participation des jeunes et leur engagement à mettre en œuvre les propositions qui leur seront présentées. Ces rencontres sont appelées « Rise Up« , « Lève-toi et mets-toi en route« . Les thèmes de ces rencontres et de ces propositions sont essentiellement basés sur les enseignements du pape François sur l’écologie intégrale (Laudato si’), l’amitié sociale (Fratelli tutti) et l’annonce de l’amour de Dieu.

Je disais plus haut qu’il fallait espérer que le retour des JMJ ne serait pas seulement financier. Il faut aussi espérer qu’il ne s’agira pas seulement d’une euphorie superficielle et passagère. En effet, les journées précédentes ont été l’occasion pour de nombreux jeunes de trouver, ou de redécouvrir, une orientation pour leur vie, leur vocation de service à l’Église et à l’humanité. Je peux le dire à la première personne : j’ai participé aux premières Journées Mondiales de la Jeunesse et cette expérience a été un tournant dans ma vie. Aujourd’hui, mes quatre enfants participent de diverses manières aux JMJ de Lisbonne. J’espère qu’un bon nombre des plus d’un million de jeunes qui devraient participer aux JMJ y trouvera également, ou redécouvrira, une vocation de service à l’Église et à l’humanité. C’est là, pour moi, le principal défi.