Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

SOS. Le mois dernier, une délégation d’évêques de France s’est rendue au Liban pour apporter le soutien de l’Église de France au peuple libanais meurtri par une crise qui n’en finit pas.

… réunies les 14 et 15 mai 2022 à Szombately en Hongrie.

Le 24 février 2022, le gouvernement russe a lancé une invasion brutale et non déclarée de l’Ukraine. Comme de nombreux acteurs de la société civile, Justice et Paix Europe a immédiatement condamné l’agression russe (1). Aujourd’hui, en tant que secrétaires généraux des commissions Justice et Paix en Europe, nous réaffirmons, sur la base de nos valeurs et convictions chrétiennes, que si la diplomatie reste essentielle, certains principes ne sont pas négociables, notamment le respect de la dignité de tout être humain, l’universalité et l’indivisibilité des droits de l’homme et l’impératif de non-agression, qui est la base de la coexistence pacifique.
Une paix juste (2) ne peut être établie en privant les victimes de leurs droits et en récompensant l’agresseur pour avoir violé les principes fondamentaux du droit international. Tous les crimes de guerre et les violations du droit humanitaire international doivent être traités de manière cohérente comme condition préalable à la guérison et à la réconciliation. L’enseignement social de l’Eglise catholique sur la paix soutient explicitement le droit individuel et collectif à l’autodéfense inscrit dans le droit international (3). Cela inclut également le droit de l’État agressé de demander le soutien de tierces parties pour assurer sa défense. De notre point de vue, le droit de l’Ukraine à se défendre est donc indiscutable et toutes les livraisons d’armes qui permettent sa défense dans le cadre des impératifs de proportionnalité et du droit international humanitaire sont légitimes.
En tant que Commissions Justice et Paix en Europe, il est de notre devoir d’accompagner ces développements avec discernement. Nous voulons souligner que les moyens militaires, en eux-mêmes, ne peuvent pas apporter une paix durable. Ils comportent de grands risques d’escalade. Il est donc essentiel d’éviter la rhétorique de la guerre et de maintenir des efforts diplomatiques multicanaux et multilatéraux. En outre, les décisions relatives aux livraisons d’armes doivent être prises strictement en dernier recours, sur la base des droits de l’homme et des principes humanitaires. Les intérêts économiques de l’industrie de l’armement ne doivent pas interférer. La résolution et la prévention des conflits ainsi que le désarmement doivent également rester des objectifs pour l’avenir.
En tant que pays européens, nous devons reconnaître notre part de responsabilité dans cette situation désastreuse. Nous avons largement ignoré les avertissements de plusieurs pays voisins de la Russie sur la menace d’agression, ainsi que les destructions et les catastrophes humanitaires en Tchétchénie, en Géorgie et en Syrie. Les efforts pour faire progresser des mécanismes communs et efficaces de désarmement et de contrôle des armements au niveau mondial ont été insuffisants. En outre, les pays européens doivent reconnaître que, dans d’autres contextes et sur fond d’intérêts économiques présumés, nous avons négligé les droits humains fondamentaux et le développement humain intégral. Dans l’ensemble, au lieu d’accroître nos efforts en vue d’une transformation socio-écologique globale, qui n’a que trop tardé au vu de la crise climatique aiguë, nous avons augmenté notre dépendance à l’égard des combustibles fossiles, y compris ceux importés de Russie. Pour ces manquements, nous présentons des excuses très sincères à nos frères et sœurs d’Ukraine et d’ailleurs. Il est de notre responsabilité individuelle et collective de changer le cours de l’action aussi rapidement et systématiquement que possible.
Lors de notre rencontre à Szombathely, la ville natale de Saint Martin, en Hongrie, nous, les secrétaires des commissions nationales Justice et Paix en Europe, avons entendu les témoignages de quelques chrétiens impressionnants qui peuvent nous servir de modèles en ces temps difficiles : le bienheureux János Brenner a défendu la charité et sa profonde foi chrétienne. Vivant dans la vérité, il a été perçu comme une menace par le régime communiste hongrois et a souffert le martyre. Le bienheureux Vilmos Apor a défendu les plus pauvres et les persécutés tout au long de sa vie et a donné sa vie lorsqu’il s’est opposé aux soldats russes pour sauver des femmes de l’enlèvement et du viol. Le bienheureux Ladislaus Batthyány-Strattmann a consacré sa vie à la vocation de soigner les plus pauvres et les plus délaissés en tant que médecin. L’exemple de ces chrétiens face aux épreuves et même à la persécution peut nous inspirer à être courageux dans les mesures que nous prenons pour répondre à cette agression et à cette guerre. Ils nous enseignent que nous ne devons pas prendre des décisions par peur et par complaisance, mais qu’en tant que chrétiens, nous sommes toujours appelés à nous focaliser sur les plus pauvres et les plus vulnérables en premier lieu.
Nous nous engageons donc à travailler sans relâche pour répondre aux besoins, faire respecter les droits et pour une Europe renouvelée.

Dans la situation actuelle, nous espérons que :
1. la guerre prendra fin dès que possible et qu’elle se terminera par une Ukraine libre, sûre et indépendante dans ses frontières internationalement reconnues, un foyer pour chacun de ses citoyens quelles que soient sa langue, son appartenance religieuse, son origine ethnique ou sa nationalité.

2. une aide suffisante soit fournie aux personnes déplacées à l’intérieur du pays et que les pays d’accueil des réfugiés aient l’endurance nécessaire à persévérer dans leur gracieuse hospitalité afin que les personnes déplacées d’Ukraine reçoivent un accompagnement continu et généreux.

3. au-delà de l’Ukraine, nos nations fassent preuve d’une forte solidarité avec les peuples et les régions du monde les plus touchées par l’exacerbation de la crise alimentaire mondiale (4), et que les plus grands efforts diplomatiques et de coopération soient immédiatement engagés pour apporter de la nourriture à ceux qui ont faim.

4. nous, Européens, aurons la sagesse de placer systématiquement l’allègement de la souffrance au-dessus des préoccupations relatives à notre propre prospérité et serons en mesure de prouver notre résilience et notre endurance, et que, dans le même temps, le fardeau sera partagé équitablement et les bénéfices excédentaires seront utilisés pour soutenir les plus pauvres.

5. les Ukrainiens, avec le soutien international (CICR, OSCE, équipes communes d’enquête), aient la force de rassembler des preuves et des rapports sur les violations des droits de l’homme, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ; qu’ils obtiennent les ressources nécessaires pour enquêter et poursuivre les auteurs, car les crimes odieux non sanctionnés encouragent et hantent les pays pendant des générations.

6. les morts, civils et militaires des deux camps soient dûment commémorés ; et que les victimes et les familles survivantes soient indemnisées et prises en charge de manière adéquate ; que la mémoire soit préservée dans un esprit de réconciliation.

7. en Europe, les craintes d’engager une transition personnelle et collective radicale vers la décarbonisation soient dépassées ; et que les dirigeants de l’Union européenne accélèrent le Green Deal, car le découplage des énergies fossiles est indispensable, non seulement pour retrouver une marge de manœuvre face à la Russie et aux autres régimes autoritaires, mais aussi pour faire face à nos obligations envers les générations futures.

8. les dirigeants de l’Union européenne soutiennent la reconstruction de l’Ukraine et lui accordent le statut de candidat lors du prochain Conseil européen de juin, en tenant également compte des aspirations d’autres pays européens, notamment des Balkans occidentaux, à devenir membres à part entière ; et qu’un processus visant à mettre en place une nouvelle architecture de sécurité collective renforcée pour l’Europe soit engagé.

9. les Nations unies retrouvent une force suffisante pour agir comme instrument efficace de résolution des conflits et de diplomatie multilatérale et pour faire respecter la Charte des Nations unies et le droit humanitaire par le biais de la Cour pénale internationale.

10. là où les peuples et la paix sont menacés par l’agression et la guerre, les Eglises et leurs représentants agiront plus étroitement ensemble et avec d’autres communautés religieuses pour la justice et la paix dans le monde.

11. la force extraordinaire des prières œcuméniques pour la paix continuera à être un rayon de lumière dans un monde déchiré par la guerre.

Le Comité exécutif et les secrétaires généraux de Justice et Paix Europe
Szombathely, le 15 mai 2022

(1)Voir la déclaration du comité exécutif de Justice et Paix du 25 février http://www.juspaxeu.org/en/dokumente/220225-JPE-ExCo-Ukraine.pdf
(2) Nous rappelons ce que Saint Paul VI a écrit dans son message à l’occasion de la Journée mondiale de la paix du 1er janvier 1972 : « La paix est le fruit de la justice ». Voir aussi le discours de Saint Jean Paul II à l’Assemblée Générale de l’ONU le 5 octobre 1995 et son appel au respect des différentes cultures de chaque nation dans la lettre encyclique Sollicitudo rei socialis, 15.
(3) Voir Article 51 de la Charte des Nations Unies
(4) Avant la guerre, la Russie et l’Ukraine représentaient 25 % des exportations mondiales de blé. Le conflit a exercé de fortes pressions sur la production et la livraison de blé et d’autres produits alimentaires. Il aggrave considérablement le sort des quelque 800 millions de personnes souffrant de la faim et des 2 milliards de personnes considérées comme vulnérables sur le plan alimentaire.

1 – La puissance destructrice.
Quand la guerre sévit près de chez nous, elle nous oblige à ouvrir les yeux sur ce que l’humain peut accomplir de plus abominable. Nous portions un regard distancié sur les conflits qui endeuillent notre monde. Les experts estiment qu’il y a 25 foyers de guerre aujourd’hui, chacun de ces lieux de désolation connaît son lot de drames et de souffrances dont sont victimes les plus fragiles. Les armes blessent et tuent ; on risque de s’habituer à voir ainsi la vie humaine considérée comme sans valeur.

La guerre en Ukraine montre que les tentatives pour « moraliser » ce type de conflit ont peu d’effets. Les populations civiles sont directement visées, pour semer la terreur, ce qui conduit des foules sur les routes de l’exil. La mise au jour de crimes de guerre montre ce qu’il y a de plus vil dans l’homme quand il dispose de la puissance des armes, avec la jouissance perverse d’humilier, de dominer, de faire souffrir.

La guerre montre que les rapports de pouvoir mal régulés ont vite fait de dégénérer en une puissance destructrice qui s’impose au détriment des plus faibles. Un État prétend s’imposer en agressant son voisin, un système mondial fait que les plus pauvres se trouvent dominés ; la violence est déjà là, dans ces injustices, et elle engendre des violences en retour. Le cycle a vite fait de devenir infernal.

2 – Le rôle du politique
Les rapports de domination et la violence destructrice font partie de l’expérience humaine, les lecteurs de la Bible en savent quelque chose ! Mais il y a aussi en nous le désir d’alliance, le goût de la fraternité ; si la Bible évoque la face sombre de l’humain, c’est pour l’appeler à surmonter ses tendances mortifères et à trouver la joie en servant courageusement la vie.

Nous ne sommes pas sans ressources, nous héritons d’un double pôle de résistance à la violence destructrice. D’une part, la morale qui énonce des interdits (tu ne tueras pas !), et qui, par l’éducation, cultive le respect de l’autre, de telle manière que chacun peut opter pour une relation positive envers son semblable, sous le signe de la sollicitude, de la solidarité, de la fraternité. D’autre part, l’organisation politique qui met en place un régime de droit ; chacun peut avoir sa place dans la maison commune, à condition qu’il prenne vraiment en compte la place des autres.

En démocratie, le temps électoral met au grand jour les différences de projets ; le vote permettant de choisir celles et ceux qui vont exercer le pouvoir. Ce temps devrait aussi ouvrir le débat sur la justice sociale à partir d’une question : « comment sont traités les plus plus fragiles d’entre nous ? ». L’exclusion sociale est une violence.

Notre monde, de plus en plus interconnecté, s’efforce d’énoncer un droit international mis à mal quand se déclenche la guerre. Une paix stable ne peut se construire que sur la reconnaissance mutuelle, sur le droit des plus pauvres à pouvoir disposer des biens élémentaires. Il vaut mieux miser sur des alliances entre les peuples, dans un respect mutuel fondé sur le droit, au lieu de se lancer dans une course aux armements qui mobilise des richesses au détriment du développement des plus démunis.

3 – La clameur des pauvres et la clameur de la terre
* 346 millions d’Africains souffrent de famines dramatiques, en raison d’aléas climatiques, mais aussi de spéculations sur les céréales liées, entre autres, à la guerre en Ukraine. Et on estime à 3 000 le nombre des personnes migrantes mortes en mer en 2021, ce chiffre a doublé en un an.

* Nous sommes loin des objectifs du développement durable (ODD) courant sur la période 2015-30. Énoncés dans le cadre de l’ONU, ces ODD engagent les responsables politiques, les acteurs économiques et les ONG en vue d’une éradication de la grande pauvreté et d’une promotion tant de l’éducation que de la santé.

* N’oublions pas les alertes à propos du climat. Les tensions actuelles aggravent la situation (ex. le recours aux centrales à charbon). Il nous faut de manière urgente apprendre à vivre en paix entre nous, avec l’ensemble du vivant, avec la nature.

4 – La construction permanente de la paix
* Il serait trompeur de miser sur la course aux armements pour assurer la paix entre les peuples ; la possession d’armes nucléaires induit une fausse sécurité. Le mirage d’une toute-puissance technique conduit à des catastrophes. Plutôt que semer la peur, il vaut mieux cultiver la confiance mutuelle. C’est en temps de crise qu’il importe d’ouvrir la voie à l’utopie positive, en réformant l’ONU pour mieux résoudre les conflits naissants et mieux garantir le droit international, en soutenant un vrai développement au profit des populations les plus fragiles, en envisageant un désarmement négocié, en travaillant ensemble à l’avenir de la vie sur terre. Rappelons-nous que, durant la 2ème guerre mondiale, c’est notamment dans les camps de concentration que certains ont « rêvé » d’une Europe solidaire dans la paix. Il faut dès maintenant penser à l’au-delà des conflits pour envisager un avenir commun.

* Le rêve d’une humanité solidaire, face aux défis de notre temps, est sans doute plus intéressant que celui d’aller coloniser Mars… Mais certains, pris dans leurs délires de toute-puissance et affolés par les richesses qu’ils amassent, ne semblent plus avoir le sentiment d’appartenir à la commune humanité et risquent d’oublier les souffrances de leurs contemporains.

5 – Les raisons d’espérer
Oui, il y a des dangers. Mais il y a surtout le désir de servir la vie au quotidien. Pensons aux parents qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pour élever leurs enfants, mais aussi aux éducateurs, aux soignants, aux travailleurs sociaux, aux élus et aux responsables associatifs… Chacun peut apporter sa contribution originale au bien commun en servant la justice et la paix, partageant une vie  bonne avec et pour les autres.

Une lecture stimulante : Paul Colrat, Foucauld Giuliani, Anne Waeles, La communion qui vient, Carnets politiques d’une jeunesse catholique, Seuil, 2021. « Notre civilisation est en bout de course parce que sa manière de s’approprier les richesses de la terre et les biens produits est contradictoire avec le bien commun, c’est-à-dire avec les conditions d’une vie bonne pour tous. (…) Il faut méditer ce chiffre : trois cents individus possèdent aujourd’hui davantage que trois milliards d’autres. (…) Contrairement à une idée centrale du libéralisme économique selon laquelle le « doux commerce » serait un rempart contre les relations de violence, nous pensons que l’économie moderne est conditionnée, dans son existence même, par une logique d’appropriation qui entraîne destruction et domination. » (P. 109-110)

Une dénonciation vigoureuse qui nous provoque à inventer d’autres chemins, en misant sur le désir d’alliance qui nous anime et non sur le repli individualiste.

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