Peine de mort : rupture ou développement de l’enseignement de l’Église ?

L’article n° 2267 du Catéchisme de l’Église Catholique n’en est pas à sa première modification. En 1997, il avait été amendé pour préciser que si, dans le principe, l’Église n’exclut pas le recours à la peine de mort, « les cas d’absolue nécessité de supprimer le coupable sont désormais assez rares, sinon même pratiquement inexistants ».

La transformation rendue publique le 2 août par le pape François est bien plus profonde. On lit ainsi : « Pendant longtemps, le recours à la peine de mort de la part de l’autorité légitime, après un procès régulier, fut considéré comme une réponse adaptée à la gravité de certains délits, et un moyen acceptable, bien qu’extrême, pour la sauvegarde du bien commun.

Aujourd’hui on est de plus en plus conscient que la personne ne perd pas sa dignité, même après avoir commis des crimes très graves. En outre, s’est répandue une nouvelle compréhension du sens de sanctions pénales de la part de l’État. On a également mis au point des systèmes de détention plus efficaces pour garantir la sécurité à laquelle les citoyens ont droit, et qui n’enlèvent pas définitivement au coupable la possibilité de se repentir.

C’est pourquoi l’Église enseigne, à la lumière de l’Évangile, que « la peine de mort est une mesure inhumaine qui blesse la dignité personnelle » et elle s’engage de façon déterminée, en vue de son abolition partout dans le monde. »

En rappelant que la peine de mort a été « pendant longtemps (…) considérée comme une réponse adaptée à la gravité de certain délits… », le texte commence par rappeler la doctrine ancienne sans renier sa logique. Cela nous invite à nous méfier de l’analyse binaire largement répandue : la peine de mort, on est pour ou contre. L’Église est soit traditionnelle, soit progressiste. La réflexion éthique sur la maîtrise de la violence et la connaissance de l’histoire de la doctrine de l’Église sur la peine de mort nous orientent vers une réflexion plus nuancée.

Une légitimité théorique

Je l’ai montré dans une thèse en droit . En résumé, les Pères latins acceptaient la légitimité théorique de la peine de mort mais ils intercédaient auprès des autorités pour qu’elle ne soit jamais appliquée. Avant que saint Thomas d’Aquin ne développe une légitimation relevant de l’acte à double effet, la peine de mort était considérée un peu comme l’arme nucléaire aujourd’hui : il faut l’avoir dans son arsenal mais ne jamais l’utiliser.

Si l’on analyse de près l’ancienne et la nouvelle formulation du catéchisme, force est de constater qu’un changement de paradigme a été opéré. De la légitime défense de la société, nous passons à la promotion de la dignité humaine en toutes circonstances. Ce changement correspond à une évolution déjà visible en droit européen. Alors que, pendant longtemps, la valeur suprême défendue par le droit était la cité, la nation (le bien commun), la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (2000) proclame d’emblée que « la dignité humaine est inviolable » avant d’ajouter : « nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté » (art. 2).

Une évolution paradigmatique

D’où vient le changement ? Le nouvel article du catéchisme cite trois éléments : d’abord la conscience plus approfondie que « la personne ne perd pas sa dignité, même après avoir commis des crimes graves » ; ensuite, une nouvelle compréhension du sens des sanctions pénales de la part de l’État ; et enfin, la mise au point de systèmes de détention efficaces.

Pour ce troisième élément, il faut mesurer à quel point le développement du système carcéral constitue une circonstance nouvelle qui questionne fortement la doctrine héritée de saint Thomas. En effet, comment peut-on encore considérer la peine de mort comme une légitime défense de la société quand le caractère d’urgence constitutif du concept de légitime défense a disparu, puisque l’on a les moyens de retenir en prison pendant des années un condamné avant son exécution ?

Le second élément, la nouvelle compréhension du sens des sanctions pénales de la part de l’État, est difficile à étayer. L’État est ici évoqué au singulier alors que nous constatons une grande diversité des philosophies du droit entre la Chine, la France, le Canada, l’Arabie saoudite…

Séparer l’homme du péché

Le premier élément, la conscience affermie « que la personne ne perd pas sa dignité, même après avoir commis des crimes très graves » fonde l’évolution de la doctrine. Il rejoint à la fois la conviction philosophique – la nature humaine ne peut être perdue – et l’affirmation théologique : l’image de Dieu en l’homme ne peut jamais être effacée. Saint Augustin disait « L’homme et le pécheur sont deux choses différentes, c’est Dieu qui a fait l’homme, l’homme s’est fait lui-même pécheur ; détruisez ce qu’a fait l’homme pour sauver ce qu’a fait Dieu. N’allez donc pas jusqu’à donner la mort au coupable, car en voulant punir le péché, vous perdriez l’homme ».

Affirmer que « l’Église enseigne, à la lumière de l’Évangile, que la peine de mort est une mesure inhumaine qui blesse la dignité personnelle » n’est donc pas une rupture dans la tradition de l’Église. Les déclarations de Paul VI, Jean Paul II, Benoît XVI et François, et celle du Saint-Siège au 3e Congrès mondial contre la peine de mort (Paris, 2007) avaient déjà engagé l’Église en faveur de l’abolition de peine capitale.