Nouvelle Calédonie : faire de ce pays un lieu habitable par tous !
Le 4 novembre 2018, la Nouvelle-Calédonie vivra un scrutin important pour son avenir. Notre propos n’est pas d’interférer dans le référendum lui-même, dont le résultat appartient aux habitants.
Cet épisode électoral prend place dans une histoire mouvementée qui fut marquée par les événements dramatiques des années 80 et tout particulièrement de 1988. Les troubles se sont apaisés avec les accords de Matignon-Oudinot au cours de cette même année (gouvernement Rocard). En reprenant des éléments de cette histoire mouvementée, nous pouvons recueillir quelques enseignements de portée plus générale.
Assumer et dépasser une histoire tissée de violences
Le scrutin de novembre est important pour l’ensemble des habitants de Nouvelle-Calédonie, mais le résultat ne peut à lui seul résoudre le problème central : comment vivre ensemble, et construire un avenir commun, alors que le passé fut marqué par des tensions et des violences, en raison de difficiles reconnaissances mutuelles ?
Ce territoire est devenu « collectivité française » à partir de 1853. Il fut d’abord considéré comme une colonie pénale dans laquelle ont été relégués des acteurs de la Commune de Paris, il comportait aussi un bagne. En raison de potentielles ressources minières et agricoles, il devint aussi une colonie de peuplement, notamment avec l’arrivée de populations asiatiques. Un tel projet colonial faisait peu de cas de la population originelle et affichait même du mépris à son égard ; pensons à l’exposition coloniale de 1931 avec des « zoos humains » comprenant notamment des Kanaks exposés au regard des visiteurs.
Il existait aussi des tensions liées à l’appropriation de la terre qui se doublaient d’incompréhensions culturelles. Entre des communautés qui entretiennent un rapport sacré à la terre et de nouveaux arrivants qui n’y voient que sols à exploiter et minerais à extraire, la reconnaissance mutuelle n’est pas évidente ! Certes, l’histoire induit des évolutions de mentalités et la rencontre entre les différentes populations peut permettre des échanges. Mais il ne faut pas sous estimer le sentiment d’injustice lié aux inégalités dans l’accès aux biens et aux services ; aujourd’hui, des Kanaks revendiquent une meilleure répartition des richesses, y compris celles liées au nickel. Dans le même temps, on peut considérer comme dangereux d’en rester à une représentation technico-économique du « progrès » qui ne voit dans le sol et dans ses ressources qu’un potentiel à exploiter. Aujourd’hui, la prise en compte d’une culture traditionnelle qui entretient un rapport plus complexe et plus riche avec la nature peut se révéler précieuse pour l’avenir.
Promouvoir un bien commun ouvert à l’avenir
Le rappel des différentes manières de gérer les événements dramatiques de 1988 conduit à une réflexion sur le rôle du politique. La tension était devenue extrême au moment de l’élection présidentielle de 88 et les tentatives de récupération électorale n’ont pas manqué. La violence se trouve à son comble avec la prise en otage de gendarmes, puis l’intervention de la force publique qui fait de nombreuses victimes. La question de savoir si une solution négociée aurait pu être trouvée demeure en débat.
Mais on retient surtout que, après le drame, la décision rapide prise par le gouvernement Rocard d’envoyer une mission de dialogue a ouvert la voie aux « accords de Matignon » signés dès le 26 juin par Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur. Cette mission de dialogue, qui comprenait notamment des personnalités religieuses, dont Paul Guiberteau alors recteur de l’Institut catholique de Paris, a multiplié les rencontres et les entretiens, mais elle a aussi accompli des gestes symboliques en faisant mémoire de toutes les victimes. La dignité des différents protagonistes se trouvait ainsi honorée.
Cet épisode permet de s’interroger sur le rôle du politique. Certes, il a en charge l’ordre public et on lui reconnaît traditionnellement le monopole de l’usage de la force. Mais le recours aux armes peut amplifier le climat de violence et provoquer des traumatismes qui desservent la paix civile. Le passage par la négociation, en intégrant des acteurs culturels et spirituels qui favorisent la rencontre et le dialogue, peut se révéler bien plus fructueux que le seul déploiement de la force des armes. Le politique sert vraiment le bien commun dans la mesure où il veille au bien vivre des plus fragiles, de ceux qui n’ont guère d’atouts à faire valoir ; sinon, l’humiliation et la marginalisation entretiennent un climat de défiance propice à un déchaînement de violence.
Et demain …
La volonté de vivre ensemble, comme engagement éthique et politique, commence par le respect de l’autre, celui-ci étant considéré comme un partenaire et non comme un ennemi a priori ; elle prend corps dans la rencontre et le partage, dans un travail commun pour la justice sociale. Dans le cadre d’un tel projet, la mobilisation des ressources morales et spirituelles permet à chacun de reconnaître les souffrances de l’autre, de prendre le chemin du pardon, en vue de construire un avenir commun qui aura toujours à affronter des tensions. Il dépend de chacune des communautés, de chacun des acteurs, que ces tensions ne dérivent en violences destructrices.
Pour en revenir au référendum du 4 novembre, on peut laisser la parole au P. Roch Apikaoua, vicaire général du diocèse de Nouméa : il invite chacun à se libérer des peurs qui empêchent d’aller vers l’autre, « nous devons faire de ce pays un lieu habitable par tous ».