Retrait US du traité Ciel ouvert : nouvelle mise en cause des stratégies coopératives de sécurité

En annonçant le 21 mai 2020 le retrait des États-Unis du Traité sur le régime Ciel ouvert [1] , l’administration Trump a de nouveau manifesté sa volonté de rompre avec les efforts d’organisation coopérative de la sécurité paneuropéenne, qui avaient marqué la fin de la guerre froide.

Ciel Ouvert : Un instrument utile

Le Treaty on Open Skies, ratifié par 34 États [2] , est entré en vigueur le 1er janvier 2002. Né d’une initiative du président George H. Bush (1989), il permet à chaque partie d’organiser le survol du territoire des autres parties, par des avions d’observation non armés, disposant d’appareils de prise de vue mutuellement agréés. Chaque partie est tenu d’accepter un nombre annuel de survols (quota passif [3] ), moyennant un droit identique de survols du territoire des autres parties (quota actif). Le vol – 96 heures maximum, déclaré 72 heures à  l’avance – est conduit en coopération entre États observateurs et observés. Des États peuvent se partager un même appareil, ou gérer ensemble leurs quotas (ainsi la Russie et la Biélorussie).

Une large partie de l’hémisphère nord est couverte, de Vancouver à Vladivostok. Les capacités d’observation étaient initialement limitées à des caméras analogiques. Les capteurs numériques, infrarouges et radar sont à présent autorisés ou sur le point de l’être. La résolution des images permet d’identifier individuellement les principaux matériels militaires. Au total, il y a eu plus de 1500 vols d’observation. Les pays de l’OTAN ne s’observant pas mutuellement, ces survols réciproques ont concerné essentiellement Occidentaux et Russes-Biélorusses. Malgré les limitations imposées, les données collectées offrent des renseignements de grande valeur sur le dispositif militaire de pays potentiellement hostiles, pour les États non dotés de capacité d’observation spatiale, et complètent l’information des pays européens dotés.

Un traité qui favorise la confiance

On peut observer les concentrations ou mouvements de forces potentiellement hostiles. Cette transparence est en elle-même une garantie contre d’éventuelles pressions militaires aux frontières d’un pays voisin, comme la Russie, lors de son conflit avec l’Ukraine.

Le traité Ciel ouvert offre un cadre d’échanges et de dialogue entre forces armées, pour le bon déroulement des missions d’observation. C’est un élément de prévention des tensions, mais aussi un instrument de coopération : le fonctionnement concret des dispositifs du traité est  réglementé par une commission consultative où toutes les parties sont représentées et où tous les intérêts de sécurité peuvent être pris en considération. Les rapports des missions d’observation sont communiqués à toutes les parties.

Une argumentation américaine peu convaincante

Pour justifier leur retrait, les États-Unis font état de violations russes (limitation à 500 km du survol du district de Kaliningrad et interdiction d’une bande de territoire de 10 km aux frontières de la Géorgie). Ces violations sont certes critiquables, mais de portée limitée. Il serait possible de négocier des assouplissements dans le cadre de la commission consultative. Par ailleurs, les États-Unis ont également édicté des interdictions de survol, notamment sur l’Alaska. La décision américaine reflète un parti pris fondamental : privilégier la compétition entre grandes puissances sur le dialogue et la coopération. Plusieurs pays européens, en particulier la France et l’Allemagne, ont heureusement refusé de la suivre, exprimant leur volonté de préserver l’acquis du traité Ciel ouvert pour la sécurité commune des États participants.

  1. Conformément au traité, ce retrait sera effectif au terme d’un délai de six mois.
  2. Allemagne, Belgique, Biélorussie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Canada, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, États-Unis, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Hongrie, Islande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Royaume-Uni, Russie, Slovaquie, Slovénie, Suède, République tchèque, Turquie, Ukraine.
  3. Quota : 42 pour les États-Unis et la Russie-Biélorussie ; 12 pour les principaux pays d’Europe occidentale, le Canada, la Turquie et l’Ukraine.