La guerre est-elle toujours un des moyens de la politique ?

Derrière cette formule provocatrice, voire simpliste, plusieurs remarques et interrogations se présentent.

D’abord la défaite, bien plus que la victoire, ne caractérise-t-elle pas beaucoup des opérations entreprises par les grandes puissances militaires depuis 1945 ?

À tout seigneur tout honneur, les États-Unis, en guerre sans discontinuer depuis cette date, n’ont pratiquement connu que des défaites dans les conflits majeurs. Contrairement aux perceptions courantes, depuis la guerre de Corée, du Vietnam à l’Afghanistan, en passant par Cuba, les opérations militaires n’ont, pour le moins, pas été suivies par des succès politiques probants. On inclura sans peine l’Irak, et plus encore l’Afghanistan. Au lieu de ressasser après Carl von Clausewitz que la guerre est la politique poursuivie par d’autres moyens, n’y a-t-il pas lieu de s’interroger sur la construction de la perception de « victoires » lors de défaites concrètes ?

Pour rester dans les puissances occidentales, les guerres de décolonisation peuvent difficilement passer pour des victoires. Les guerres dans les Balkans donnent le beau rôle militaire aux États-Unis à travers l’OTAN. Mais finalement n’est-ce pas la gestion économique et sociale de ces conflits par l’Union qui a limité et, en partie, pacifié la région ? En revanche, et quelles que soient les justifications, la plupart des d’opérations françaises en Afrique et la fin récente de celle au Mali laissent un goût amer.

Passons à l’URSS puis à la Russie. Sauf à considérer que l’aide (surtout matérielle) aux pays en décolonisation a été bénéfique au statut international de l’empire russe, le bilan militaire n’est pas brillant, de l’Afghanistan à actuellement l’Ukraine.

« Les fausses victoires »

La puissante Chine dissimule mal l’échec de son agression frontalière contre les forces vietnamiennes de février à mars 1979, qui n’avait pas fait varier les objectifs vietnamiens. Pas plus que lors des affrontements de 1984. Sans doute, ses forces croissantes inquiètent la plupart de ses voisins et au-delà, mais sans vérification de terrain. Qu’on ne souhaite pas.

Le but de cet historique incomplet (notamment quant à la guerre contre Israël de 1967 et aux modes d’affrontements israélo-arabes depuis, mais il faudrait aussi analyser les « victoires » d’Israël), vise à interroger la perception courante des gains de la force militaire dans la politique internationale. Il ne s’agit pas de nier l’usage de la force létale, mais les défaites des agresseurs ne sont-elles pas sous estimées, notamment par des constructions de perceptions ?

Dans cette remise en cause de la perception commune (mais construite) de prétendue victoire militaire, ne faut-il pas avoir le courage d’examiner quelques effets paradoxaux des armes nucléaires ?

Celles-ci sont généralement déclarées hors débat public en France sous l’argument de la dissuasion, donc défensives. Or la France est le seul membre de l’Union à en disposer de façon autonome (avec le Royaume-Uni en Europe) mais elle bénéficie plus d’une retenue polie que d’un appui réel de la part des autres membres de l’Union. Non sans hypocrisie de leur part d’ailleurs puisqu’ils sont maintenant 23 sur 27 membres à accepter les armes nucléaires étasuniennes de l’OTAN -et la stratégie afférente- y compris sur leur sol pour plusieurs d’entre eux (Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Turquie) en permanence ou rapidement déployables pour la plupart des autres.

Dans le contexte où la papauté réclame explicitement une dénucléarisation progressive dans les instances internationales, quelle réflexion pour les catholiques ?

N’y a-t-il pas lieu de reposer la question : dans quelle mesure peut-on admettre que la menace nucléaire a des effets inhibants ? La gesticulation poutinienne autour de cette arme (sans doute moins crédible que l’emploi du chimique) ne révèle-t-elle pas qu’elle contraint à l’usage, éventuellement de « haute intensité », des armes classiques (ou conventionnelles) ? Un « plafond de verre » existe-t-il qui arrête devant le passage à ce qui serait une guerre d’extermination ou d’anéantissement ?

De façon plus constructive, une « transition nucléaire » ou si l’on veut des avancées vers la dénucléarisation, ne pourrait-elle pas accompagner la prise en compte d’une dévalorisation de la notion et de la perception des victoires militaires, et la réalité des défaites dans l’emploi de la force comme moyen de la politique.

Ce qui ne signifie pas que d’autres moyens ne caractérisent les politiques de domination du XXIe siècle : économiques, techniques, culturelles, dont la construction des perceptions collectives.

La « victoire », une infox ?