La Loi de Programmation Militaire 2024-2030

Une Loi sans choix ?
Le principe d’annualité budgétaire ne permet pas de prévoir les dépenses et investissements à long terme. D’où, notamment pour les dépenses militaires, des lois de programmation militaire (LPM) qui visent à établir une programmation de durée variable (5 ans en général) des dépenses que l’État consacrera à ses forces armées. Une nouvelle LPM est en préparation, pour la durée 2024-2030, et devrait être votée avant l’automne de cette année [voir le discours du Président Macron du 22 janvier 2023].

Comment l’apprécier ? 
Le plus simple est de partir de l’enveloppe financière. À ce jour, les perspectives sont d’environ 413 milliards d’€, sur six ans, selon une répartition croissante plus importante sur les dernières années. Comme pour tous les ministères des discussions ont lieu avec le ministère des Finances (qui tend à en réduire les montants) entre les différentes armes (Terre, Air, Mer…), chacune demandant plus, un choix gouvernemental et surtout présidentiel, et enfin un débat au Parlement. Hélas, les commentaires se concentrent le plus souvent sur cette dimension financière, entre ceux qui veulent plus et ceux qui veulent diminuer.
Or il serait plus pertinent de s’intéresser au contenu : quels sont les grands axes de dépenses et en quoi traduisent-ils des conceptions politiques globales d’utilisation de la force militaire ? Soit en les classant par catégories ou fonctions : renforcer la dissuasion, mener un affrontement de « haute intensité », protéger les intérêts de la France et des espaces communs (au-delà du territoire, l’espace maritime, voire océanique, air et espace, cyber…), agir en partenariat (alliances et coalitions). Soit par spécialités : par exemple l’armée de terre, la marine, l’aviation et l’espace, le renseignement… Évidemment, ces éléments sont interdépendants, ne partent pas de rien mais prolongent les choix des années passées tout en traduisant des inflexions et des innovations. Même s’il est naturel qu’une latitude soit laissée aux responsables militaires dans l’utilisation des fonds sur cinq ou six ans, le diable est comme toujours dans les détails. Ce sont les capacités ou les moyens dont disposera l’État qui déterminent largement les possibilités d’action, actuelles ou futures.

Quelles sont les missions et les orientations qui sous-tendent ces choix ?
Point n’est besoin d’être spécialiste pour se demander si l’on veut avoir des capacités surtout nationales, avoir la possibilité de se projeter au-delà (Afrique, Asie-Pacifique…), s’en remettre à un partenaire dans une alliance (choix de beaucoup de nos alliés dans l’Union Européenne, qui préfèrent faire globalement confiance à l’Alliance Atlantique et son organisation militaire l’OTAN, c’est-à-dire en définitive aux États-Unis). Ou même ne pas avoir certains moyens afin de ne pas s’engager dans telle zone ou tel conflit. Or ce débat, qui demande moins une compétence qu’une appréciation commune est quasi inexistant. Même avant la suspension du service national, l’intérêt des citoyens pour les choix de sécurité était limité. À défaut, on fait du capacitaire, c’est-à-dire qu’on prolonge, au mieux modernise, mais comme les finances manquent on se retrouve avec des moyens et stocks limités. Ainsi, le discours rituel sur la dissuasion tend à répéter les mêmes arguments depuis 50 ans (1973 premier Livre Blanc), sans tenir compte de la prolifération nucléaire (passée de quatre à neuf acteurs), ni des conséquences des évolutions techniques (vitesse, temps de réaction…), sur la gestion d’une crise, ou du respect des engagements pris dans le Traité de Non-prolifération (TNP). En ce qui concerne les forces classiques, des questions se posent sur le besoin d’un nouveau porte-avion, et de son groupe aéronaval, et donc des avions correspondants à l’heure où les missiles rendent ces armes très vulnérables. Malgré quelques efforts, les Européens rechignent à élaborer une stratégie commune et la Loi de Programmation renonce à définir la dimension européenne des besoins, quitte à insister sur les capacités nationales de renseignement, et le soutien à une « économie de guerre », c’est-à-dire au renforcement des moyens de production et de commercialisation. Or la logique qui y règne n’est ni nationale, ni européenne mais, légitimement, financière. Enfin rien sur les dimensions d’une défense civile intégrée à des moyens aptes aux menaces environnementales d’une « écologie de guerre ».

La LPM cite abondamment l’Asie-Pacifique et les espaces maritimes (notamment l’Indo Pacifique et les fonds marins). Elle prend en compte la guerre en Ukraine surtout pour déplorer la faiblesse des stocks disponibles en cas de conflit majeur. Mais tout se passe comme si les arguments capacitaires se substituaient aux considérations plus globales et à une stratégie d’ensemble qui devrait être européanisée puisque les conflits récents montrent la nécessité de complémentarités correspondant à des préoccupations proches.

Enfin, le soutien collectif national supposé est-il garanti en cas de crise ?

L’arrière, c’est-à-dire un consensus minimal, est indispensable, au dire même des militaires, à la réussite des actions menées. Le construire nécessite l’information et l’explicitation des choix. Souhaitons que le débat parlementaire aille dans ce sens. Et que les échéances électorales des Européennes de 2024 les élargissent. On peut toujours espérer !