Afrique, terre d’avenir ?

Le regard sur l’Afrique change. Dans les années 90, l’heure était à l’afro-pessimisme. Il semblait que l’Afrique était condamnée à être une terre de conflits et d’effondrement de l’Etat, sans perspectives de développement pour les peuples.

 

Vivant à cette époque au Mali puis en Mauritanie, mon regard issu du terrain me permettait de constater que malgré des difficultés importantes, beaucoup d’initiatives émergeaient, les jeunes voulaient une vie meilleure, les sociétés civiles s’organisaient, et la démocratie s’installait au Mali comme dans d’autres pays d’Afrique.

Afro-pessimisme

Aujourd’hui, le vent a tourné et l’heure est à l’afro-optimisme. L’Afrique est considérée par beaucoup comme le continent de l’avenir. La croissance démographique reste excessivement rapide, mais une jeunesse mieux formée invente et innove, et parfois émigre pour chercher d’autres opportunités. La croissance est soutenue depuis l’an 2000 (à plus de 4 à 5 %) malgré un trou d’air en 2015 et surtout 2016. L’insertion de l’Afrique dans la mondialisation progresse, souvent avec des investissements étrangers (notamment chinois) ou provenant de la diaspora. Le développement ultra-rapide de l’utilisation du téléphone portable montre que l’Afrique est capable de s’adapter très vite à des innovations qui lui conviennent et qu’elle peut faire ainsi des sauts technologiques, court circuitant l’étape du téléphone filaire.

Pourtant, en de nombreux domaines, les Objectifs du Millénaire pour le Développement n’ont pas été atteints en Afrique et l’évolution de certains pays est inquiétante (pensons au Mali ou à la République de Centrafrique). Des analystes font remarquer que le continent reste trop dépendant des exportations de matières premières et que le commerce intra-africain est faible, du fait d’économies trop peu complémentaires. Que faut-il en conclure ? Sommes-nous cette fois-ci trop optimistes sur l’avenir de l’Afrique ? Va-t-on vers la fin de l’afro-optimisme ?

Terre d’initiatives

L’Afrique sera certainement un des moteurs du monde qui vient, un des lieux majeurs où s’inventera le XXIème siècle. Pour une part, le devenir de la planète se joue en Afrique. La croissance démographique va finir par baisser dans  l’ensemble du continent, une jeunesse de mieux en mieux formée émerge et créera des activités économiques et sociales qui pourront donner des atouts précieux aux pays qui auront su créer un environnement favorable à l’innovation. L’Afrique devient une terre d’initiatives. Elle s’urbanise et exprime une volonté d’ouverture démocratique. Le ratio des actifs par rapport à la population totale augmente (du fait de la diminution de la proportion d’enfants et d’une population âgée encore peu nombreuse) ce qui crée ce que l’on appelle une « fenêtre d’opportunité démographique », favorable au développement. Les entrepreneurs africains dépassent de plus en plus les frontières de leur continent, en lien avec des diasporas connectées aux courants de la mondialisation. Les femmes émergent dans de nombreux domaines, pas seulement l’entrepreneuriat, et revendiquent de nouvelles formes de leadership et de féminisme (avec une autonomie par rapport aux courants occidentaux). La société civile se renforce presque partout et peut de plus en plus jouer son rôle de contre-pouvoir.

Contributions d’Afrique

Certains auteurs, comme Achille Mbembe[1], nous rappellent qu’un des enjeux est de penser le monde et son devenir à partir des dynamiques africaines, qui ne consistent pas d’abord à réfléchir en termes de spécificités africaines, mais de contributions africaines à des évolutions planétaires. A titre d’exemple, l’art en Afrique fait preuve d’un extraordinaire dynamisme, inspiré d’influences multiples et métisses. La capacité de l’Afrique de penser le « commun » et de construire de la société à partir du lien, de la relation, peut nous apprendre beaucoup sur les alternatives à construire pour imaginer d’autres modes de vie, compatibles avec une écologie intégrale.

L’avenir de l’Europe est dans une relation renforcée avec l’Afrique. Ne la construisons pas sur des bases essentiellement sécuritaires, mais bâtissons ensemble des dynamiques mutuellement positives. Cela suppose d’investir en Afrique, de renforcer l’Aide Publique au Développement, d’éviter l’effondrement des Etats défaillants, et de favoriser le développement des processus démocratiques. Il sera nécessaire de faciliter la circulation des hommes et des idées, qui sera bénéfique pour tous. L’Afrique elle-même profite de cette circulation et gagne à résister aux raidissements des frontières en son sein, tout comme l’Europe. Mettons l’être humain au cœur de la relation, et nous trouverons de nouvelles voies pour des sociétés qui fassent place aux différentes richesses économiques, culturelles et spirituelles de notre humanité.

[1] Achille Mbembe. Professeur d’histoire et de sciences politiques à l’université du Witwatersrand, à Johannesburg, régulièrement invité à enseigner à Duke ou à Harvard. De la postcolonie (2000), Sortir de la grande nuit (2010), Critique de la raison nègre (2013) décryptent les mutations africaines.