Défis au Pakistan

Le gouvernement du Premier ministre Imran Khan, au pouvoir depuis août 2018, se déclare en harmonie avec les militaires, ce qui rappelle que ce n’était pas le cas du dernier gouvernement de Nawaz Sharif, au moins pendant un certain temps.

 

Le poids de l’armée

Sharif fut démis de ses fonctions par la Cour suprême et condamné à sept ans de prison pour corruption en 2018 ; il a depuis été autorisé à se rendre au Royaume-Uni pour y recevoir des soins médicaux. Plusieurs dirigeants politiques de l‘opposition sont en détention, comme la fille de Sharif, Maryam Nawaz. Certains furent libérés sous caution comme l‘ancien
président Asif Zardari et l‘ancien Premier ministre Shahid Khaqan Abbasi.

Les exigences actuelles de transparence ont affaibli les principaux partis d‘opposition. Cependant la critique politique à leur égard s’est affaiblie, ce qui leur laisse une chance modeste de reconstruire leur image, comme cela s‘est déjà produit dans de nombreux pays, y compris au Pakistan dans années 1990 lorsque trois gouvernements accusés de corruption virent les charges contre eux retirées et firent un retour en force. Le parti du premier ministre – le Tehrik-e-Insaf, Mouvement pour la justice – est au pouvoir dans la fédération et en coalition dans les deux provinces du Pendjab et du Baloutchistan. Dans celle du Khyber Pakhtunkhwa limitrophe de l‘Afghanistan, il jouit d‘une majorité absolue. De toute évidence la confiance dans le gouvernement trouve sa source dans ses liens avec l’armée.

Politique extérieure

Au plan géopolitique, le Pakistan doit emprunter une voie prudente face au plan américain de retrait d‘Afghanistan. L‘accord signé entre les États-Unis et les Talibans en février 2020 est fragile car fondé sur le seul pouvoir des armes. Le Pakistan doit trouver un équilibre entre son peu d‘influence sur les Talibans afghans, l’appui américain et la méfiance profonde du gouvernement afghan à son égard.

En Inde, la politique du gouvernement dirigé par le Bharatiya Janata Party (du Premier ministre Modi) est devenue très conflictuelle après qu’il ait changé en août le statut spécial de l‘État du Cachemire à majorité musulmane et après la promulgation de modifications au Citizenship Amendment Act en décembre 2019 qui abolissent certains droits des musulmans indiens. Des dizaines de personnes ont été tuées lors de manifestations et d’attaques ciblées contre des musulmans. Le débordement des tensions croissantes en Inde peut affecter gravement le Pakistan.

Ces mesures ont permis d’améliorer l’image du Pakistan à l’échelle internationale, ce que le ministère des Affaires étrangères utilise au maximum. Le Pakistan a réitéré sa demande de résolution au Conseil de sécurité des Nations Unies. Le secrétaire général de l‘ONU s‘est rendu sur place en février 2020. L‘Organisation de coopération islamique a été invitée à convoquer une réunion spéciale sur les développements en Inde. Cependant, sous influence saoudienne, elle était réticente, bien que l‘Iran, la Turquie et la Malaisie aient publié des déclarations demandant à l‘Inde de protéger les droits et intérêts des musulmans indiens.

Droits de l’homme

La situation en Inde permet de reconsidérer la situation des minorités au Pakistan et les droits de l‘homme. Un aspect de cette prise de conscience au niveau gouvernemental est le fait que les ministères de l‘éducation fédéral et provinciaux ont manifesté leurs volontés de traiter certains des problèmes concernant les discriminations religieuses dans le système éducatif. Lors d‘un dialogue organisé par le Center for Social Justice, le ministre fédéral de l‘Éducation, M. Shafqat Mehmood, a annoncé le 3 mars 2020 que, dans le cadre de la nouvelle politique éducative, aucune approche haineuse ne serait plus autorisée dans les manuels scolaires. Cependant, la promotion des droits de l‘homme nécessite une attention constante et des ressources. Le gouvernement a validé la création de la Commission nationale des droits de l‘enfant en mars 2020, alors qu‘il accuse toujours un retard pour le renouvellement du mandat de la Commission nationale de la condition de la femme et de celui de la Commission nationale des droits de l‘homme, créés par les précédents gouvernements. En 2018, en raison de plusieurs lois et politiques pakistanaises restreignant la liberté de religion, le Département d‘État américain a désigné le pays comme « Country of Particular Concern », mais n’a pas recommandé l‘imposition de sanction. Un « pays particulièrement préoccupant » désigne selon le Département d’État des États-Unis un pays violant gravement la liberté religieuse. Il s‘agit d‘un avertissement fort embarrassant car émanant d‘un allié de longue date. C‘est pourquoi le Pakistan souhaite vivement que cette décision soit retirée et s’y emploie par la voie diplomatique.

En ce qui concerne la gouvernance, les mesures politiques sont également limitées par le poids de l’opinion publique, la coordination entre les exécutants ministériels, et le manque de motivation parmi les décideurs, dont les parlementaires. Par exemple, le gouvernement n‘a pas adopté en 2019 les amendements négociés avec les autorités religieuses et la société civile relatifs aux lois sur le mariage et le divorce chrétiens. Une loi vieille de 150 ans est en débat depuis plus de vingt ans. Elle restreint les droits : par exemple la seule cause reconnue pour un divorce entre chrétiens est l’adultère. Le gouvernement ne s’est pas engagé à faciliter un consensus parmi les leaders d‘opinion chrétiens qui sont souvent tentés de suivre les éléments conservateurs de la communauté musulmane majoritaire ou de se censurer par prudence du fait de leur situation de minorité. Le gouvernement a lancé en 2018 le processus Paighame-Pakistan (Un message de paix au Pakistan), dans lequel cinq mille religieux musulmans ont signé une déclaration condamnant l‘extrémisme et l‘intolérance religieuse. Cela marque la volonté de « l‘establishment » pakistanais de rompre avec le passé et de promouvoir plus de coexistence interreligieuse. Un autre geste énergique dans cette direction a été l‘ouverture en novembre 2019 d‘un couloir de passage permettant aux citoyens indiens de visiter Kartarpur, un sanctuaire sikh proche de la frontière.

Relations économiques

Le Groupe d‘action financière – un organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d‘argent et le financement du terrorisme créé par le G7 lors du sommet de l‘Arche à Paris en 1989 – a maintenu le Pakistan dans la liste grise des pays qui doivent en faire plus en matière de blanchiment d‘argent et de financement du terrorisme. Le pays s‘est efforcé d’en sortir depuis un an et demi. Cela l’aiderait à mettre à jour ses procédures économiques actuellement réalisées à environ la moitié de ce qu’il faudrait. L‘Union européenne a renouvelé le « statut SPG+ » du Pakistan, autorisant ses exportations en franchise de droits jusqu‘en 2022 sur les marchés européens. (Le régime « SPG+ » est accordé aux pays qui souffrent d’une intégration insuffisante au commerce mondial et d‘un manque de diversité dans leurs exportations. Ils doivent avoir ratifié 27 conventions internationales en matière de droits sociaux environnementaux et les appliquer.) C‘est une motivation positive pour le respect des normes des droits de l‘homme, bien que le Pakistan se soit opposé à la suppression de ses lois problématiques sur le blasphème et la peine de mort.  L’économie reste empêtrée dans le service de la dette et des dépenses administratives ou de défense élevées. Seul un petit budget de 4 % du PIB est disponible pour les plans de développement.

Un avenir incertain

Une compréhension se développe sur le besoin de cohésion sociale et de coexistence pacifique. Le traitement réservé par le gouvernement à l’opposition politique reste oppressif et antidémocratique et des restrictions sur les médias et les organisations de la société civile sont toujours en place. Il est évident que le peuple pakistanais qui a survécu à des régimes militaires prolongés et à l‘oppression doit trouver des moyens de se faire entendre. Par conséquent, il est prévisible que le mouvement pour les droits et pour une démocratie libératrice se poursuivra, tandis que le gouvernement devra s‘attaquer aux problèmes de l‘économie et des libertés fondamentales afin de sortir de la grave situation actuelle.

 

PAKISTAN

» 796 075 km2

» 235 millions d’habitants (70 millions en 1950, probablement plus de 350 millions en 2050) répartis en de nombreux groupes ethniques, Penjâbis 45 %, Pashtouns 15 %, Saraikis 8 %, Muhadjirs, 8 %, etc.

» Les Musulmans sont 95 % de la population, 15 % d’entre eux étant Chiites souvent victimes d’agressions. Les autres sont Chrétiens et Hindous.

» 55 % de la population a moins de 25 ans.

» 900 km de frontières communes avec l’Iran. 2400 km avec l’Afghanistan. 2 900 km avec l’Inde. 520 km avec la Chine. Le Cachemire au Nord-Est est une zone de tensions permanentes avec l’Inde depuis 1947. Le Pakistan a créé et soutenu les Talibans dès le départ des Russes en 1989 afin d’éviter la prise de pouvoir à Kaboul d’un régime pro-indien ; cela reste une constante de sa politique étrangère.

» En réponse aux essais d‘armes nucléaires indiennes, le Pakistan a effectué ses propres essais à la mi-1998. Les relations indo-pakistanaises se sont améliorées au milieu des années 2000, mais elles ont été instables depuis les attaques de novembre 2008 à Mumbai.

» Imran KHAN a pris ses fonctions de Premier ministre en 2018 avec le parti Tehreek-e-Insaaf. Le Pakistan est engagé dans un conflit armé qui dure depuis des décennies avec des groupes militants.

» Le pays souffre d’une situation économique difficile. Afin de stimuler le développement, le Pakistan et la Chine mettent en œuvre le « couloir économique sino-pakistanais » (CPEC) avec 60 milliards de dollars d‘investissements destinés à l‘énergie et à des projets d‘infrastructure. Ces investissements doivent permettre des taux de croissance de plus de 6 % du PIB et une augmentation des exportations.

1 L‘auteur est un militant des droits de l‘homme, journaliste indépendant et chercheur basé au Pakistan. Il a étudié les sciences politiques, le droit international des droits de
l‘homme et le développement rural. Il a été secrétaire général de la Commission nationale Justice et Paix et est actuellement directeur exécutif du Center for Social Justice, Lahore,
qui mène des recherches et des plaidoyers sur les droits de l‘homme, le développement démocratique, la justice sociale et les groupes marginalisés.
www.csjpak.org
Traduction : Denis Viénot