Éthique sociale en Église n°80 mai 2025

1 – Bienvenue à Robert Francis PRÉVOST, élu évêque de Rome et pape de l’Église universelle sous le nom de Léon XIV !
Une fois de plus l’annonce du nouveau pape fut une surprise ! De quoi désespérer les vaticanistes, les journalistes spécialisés auprès du Vatican. Ils paraissent sûrs de leurs prévisions quand surgit la fumée blanche, mais ils doivent réviser leurs notes après l’annonce de l’inattendu. Un déroulement qui montre que les discussions préalables ont joué un rôle déterminant : les votants étaient guidés, non par l’adhésion à tel ou tel « courant », mais par le souci du bien de l’Église et du monde. Un profil est apparu qui leur a semblé le plus favorable, à la lumière de la prière qui éclairait leur choix.

Même si l’on peut saluer la qualité de réflexions concernant l’arrivée de ce pape imprévu, on remarque aussi l’étroitesse de certains jugements concernant tant François que son successeur. On nous ressort la vieille scie : est-il progressiste ou traditionnaliste ? Du binaire en béton armé qui bloque toute réflexion sérieuse ; on cherche simplement à enfermer dans une case au risque d’oublier la référence majeure : comment le mode de vie d’un pape et son enseignement s’accordent-ils au message de Jésus Christ, tel qu’il nous est donné pour vivre aujourd’hui ? Les premiers mots de Léon nous ouvrent la voie : paix, dialogue, amour…

Au vu de la biographie de Léon XIV, je note la variété d’expériences qui la caractérise : des parents d’origine franco-italienne, une naissance à Chicago, une vingtaine d’années au Pérou y compris comme évêque, puis des responsabilités au sein de la Curie romaine, sans oublier son appartenance et ses responsabilités dans l’institut religieux des Augustiniens. On ne peut donc l’enfermer dans une case. Je suis sensible au choix du nom de Léon, le dernier à porter ce nom fut Léon XIII (fin du 19ème siècle) : l’initiateur de la doctrine sociale de l’Église.

 2 – À Dieu François !
Un « dossier d’information concernant l’éthique sociale en Église » (Dièse) se doit d’évoquer la mémoire du pape François et son apport décisif en ce domaine avec les encycliques concernant l’écologie (Laudato si’) et la fraternité (Fratelli tutti). De bons documents concernant François sont disponibles, j’en cite un seul auquel j’ai contribué, il émane de Justice et Paix France. Voir le site justice-paix.cef.fr, cliquer sur « accueil », les titres des différents articles apparaissent.

Les enseignements de François se trouvaient accompagnés d’engagements personnels parfois très forts. Un exemple apparaît dans une note personnelle et familiale de l’article écrit par Michel Roy (secrétaire général de Justice et Paix) : l’accueil d’un enfant handicapé.

De l’itinéraire de François comme pape, je retiens une scène inaugurale et une scène finale. Alors qu’il vient juste d’être élu, il salue simplement la foule, puis se penche vers elle pour en appeler à sa prière, il le fera ensuite à de très nombreuses reprises. Il ne se situe pas comme en-dessus, mais au cœur de la grande famille que doit être l’Église.

Concernant la scène finale, notons que les derniers à l’accompagner juste avant sa mise en terre sont des sans-abris, des migrants, des personnes transgenres, d’autres sorties de prison pour quelques heures… Chacune portant une rose blanche. Alors qu’on venait de voir les têtes couronnées, les chefs d’État et de gouvernement, les autorités en tous genres, la préférence est donnée à ceux que l’on considère comme des exclus pour lui adresser un dernier au revoir. La dignité humaine du plus petit mérite d’être ainsi manifestée.

3 – Quand la dignité humaine se trouve bafouée…
Dans les situations de conflits ouverts, la force brute tend à l’emporter. La vie humaine compte peu et l’évocation de la dignité humaine semble réservée à quelques « bonnes âmes ». Heureusement, des témoins se lèvent, afin que notre monde ne sombre pas dans l’inhumanité.

+ Au temps de Pâques, il y eut le témoignage œcuménique d’acteurs engagés pour une égalité et une paix juste en Palestine/Israël. Citation : « Nous craignons l’annexion imminente des territoires palestiniens par Israël. L’utilisation croissante des noms « Judée et Samarie » instrumentalise le témoignage biblique pour brouiller des réalités politiques, avec une volonté d’effacer la Palestine et les Palestiniens de la carte, comme s’ils n’existaient pas. » Or tous, Palestiniens et Israéliens, sont créés à l’image et ressemblance de Dieu.

+ Des pays marqués par un bel héritage démocratique en viennent à méconnaître la dignité humaine. Écoutons Evelio MENJIVAR* évêque auxiliaire du diocèse de Washington. « Il semble que personne ne soit à l’abri d’une annulation arbitraire de son statut protégé, de son visa ou de sa carte verte. De nombreuses personnes sont donc terrifiées à l’idée qu’elles-mêmes ou leurs proches peuvent être saisis et disparaître sans avertissement. Par exemple, une étudiante accostée par des agents masqués après que son visa a été révoqué sans préavis. »
*Menjivar, né au Salvador, est lui-même arrivé jeune aux USA, de manière illégale…

4 – Que deviennent la liberté et l’égalité ?
Des références majeures sont inscrites au fronton de nos monuments publics. Elles risquent d’être marginalisées, même en des pays qui en furent les promoteurs. Il s’agit de références à cultiver courageusement pour que notre monde puisse s’humaniser.

Il ne suffit pas que liberté et égalité se trouvent affichées. Elles restent des critères formels, et parfois trompeurs, s’il n’y a pas certaines conditions sociales pour les garantir. Un exemple : en France, plus de 2 000 enfants se trouvent à la rue, sans hébergement. Qu’en est-il de leurs droits fondamentaux à mener une vie digne ?

La référence à l’égalité conduit à promouvoir une vraie justice sociale, sinon nous n’avons plus l’expérience d’appartenir à la même humanité, de nous reconnaître comme également dignes, de fonder une réelle solidarité à l’égard de tous y compris les plus fragiles. Quand on tolère et même légitime la croissance des inégalités, on engendre un climat de violence puisqu’on altère la reconnaissance mutuelle. Mais je n’oublie pas le troisième élément du triptyque républicain : la fraternité. C’est elle qui donne du goût à la justice sociale, afin que les uns et les autres puissent profiter d’une vie convenable. Au lieu de se lamenter à propos d’austères devoirs concernant la justice sociale, on peut alors découvrir la joie du partage : une belle expérience qui n’est pas réservée à la sphère intime, elle peut s’inscrire dans les solidarités institutionnelles. Pourquoi, en raison d’une étroite vision de l’homme comme un individu centré sur ses seuls intérêts, se priver d’un tel plaisir ? La vie est trop courte pour se la jouer en solitaire et s’ennuyer dans son coin…