Dossier d’information : Éthique sociale en Église N° 21
On parle beaucoup de « l’après » pandémie, mais nous la subissons encore, avec les masques, le souci de se tenir assez loin et d’éviter toute embrassade !
Malgré ces contraintes, nous pouvons cultiver des relations plus réfléchies, mieux assumées. Quel regard portons-‐nous les uns sur les autres ? La méfiance ou l’envie ne sont pas des fatalités. Le regard peut être attentionné, malgré la distance. La parole (même écrite) peut devenir plus respectueuse, courtoise, amicale, affectueuse…
Un choc aux facettes multiples
* Il y a bien sûr les souffrances liées à la maladie et au deuil, redoublées parce que les gestes d’affection envers les proches et les rassemblements autour des défunts étaient rendus difficiles. Pourtant, l’inventivité technique et communicationnelle qui s’est manifestée (ex. à propos des masques ou des enseignements à distance) peut stimuler aussi une créativité symbolique et relationnelle. L’engagement courageux pour prendre soin des corps invite aussi à prendre soin des cœurs et des âmes. Nous discernons plus fortement la bonté et la beauté de la sollicitude mutuelle : cette capacité à prendre soin les uns des autres nous fait plus humains. Veillons à ne pas laisser ce désir se dissoudre dans une consommation addictive ou une nonchalance frivole !
* Plusieurs organismes, dont le CCFD Terre solidaire, alertent sur les risques d’une aggravation de la faim dans le monde, dans les continents les plus pauvres, mais aussi dans les pays dits riches ; on a pu voir des images de foules venant percevoir une aide alimentaire, y compris aux USA. En des pays déjà fragiles, la mise à l’arrêt de l’économie, notamment informelle, s’est ajoutée à des problèmes climatiques et politiques. L’aide alimentaire est une urgence. Mais à rebours d’un « chacun pour soi et tant pis pour les pauvres », nous pouvons mettre en avant la solidarité comme ce qui nous rend plus humains, tant à l’échelle locale que mondiale. N’oublions que l’aide d’urgence, même si elle est nécessaire, a un aspect humiliant : une telle dépendance pour survivre menace la dignité humaine. La solidarité doit devenir inventive. Certains reparlent d’un revenu de base universel, le pape l’a évoqué le jour de Pâques. Il y a certes des enjeux économiques, sociaux, anthropologiques… Osons au moins en débattre.
Un ton dissonant
* Les médias ont mis le coronavirus au second plan le temps de s’émerveiller de l’envoi dans l’espace de deux hommes par une firme américaine. Deux problèmes. 1) Un bon coup de pub pour l’entreprise en question qui peut aussi envisager des profits grâce au tourisme spatial : celui qui aura de quoi s’envoyer dans l’espace pourra-‐t-‐il concevoir qu’il appartient à la même humanité que celui qui dépend d’une aumône pour survivre ? 2) Pourquoi vouloir marcher sur la lune ? N’est-‐ce pas une manière de manifester la domination humaine sur l’univers ? Il ne s’agit pas de refuser la recherche, mais il y a d’autres manières d’enrichir le savoir que d’aller poser le pied sur une autre planète. * Nous pouvons nous interroger sur nos priorités collectives. Pourquoi une telle lenteur dans les programmes de soutien aux populations qui souffrent de la faim ? Quel choix nous rend plus humains ? Prendre soin des membres les plus fragiles de notre humanité et veiller à l’avenir de la vie sur notre terre, ou rêver d’aller sur Mars ? Je ne prétends pas avoir la réponse, mais il vaut la peine de poser la question.
Le Covid-19 : une alerte salutaire
* Nous étions collectivement dans l’illusion de tout maîtriser et voilà qu’une pandémie nous rappelle notre vulnérabilité. La confiance devient un enjeu de premier ordre en de telles situations. La confiance à l’égard ce ceux qui ont en charge d’arbitrer pour le bien commun (le politique). Mais aussi la confiance mutuelle basée sur la solidarité : nous pouvons compter les uns sur les autres pour tenir en humanité face à l’épreuve. Les soignants, et bien d’autres, ont montré qu’ils ne s’en tiennent pas aux termes du contrat et à la seule application du protocole (même si ces éléments sont essentiels) : ils font preuve d’intelligence collective et d’engagement humain. De telles attitudes indiquent que la fraternité quitte le ciel des abstractions pour s’incarner en des implications personnelles qui paraissent d’autant plus précieuses durant les temps difficiles. * Un résultat intéressant de cette crise : le nombre de détenus en France a diminué alors que la hausse continue semblait la norme. Certes, il y avait une raison sanitaire pour abaisser la population carcérale. Mais cela montre que quand on veut vraiment, on peut le faire, et nos villes et campagnes n’ont pas été à feu et à sang ! Ce peut être une bonne occasion de mesurer que la prison n’est pas la seule solution pour contenir la violence.
L’économie en question
Bernard PERRET, économiste, qui a pris une part active aux travaux de Justice et Paix sur les questions écologiques a piloté le numéro de mars de la revue Esprit intitulé « L’économie contre l’écologie ? ». Les contributions, rédigées avant que l’on découvre l’ampleur de la pandémie, éclairent des débats liés à celle-‐ci. On a remarqué que des entreprises pharmaceutiques paraissent plus soucieuses de leurs intérêts particuliers que du bien commun (cf. Sanofi et les vaccins à venir). La pensée économique dominante, et les pratiques qu’elle cautionne, rend aveugle sur des enjeux de vie et de mort : la santé, l’écologie… L’auteur parle d’un verrou qu’il faut faire sauter pour imaginer une économie solidaire et soutenable : « Laisser les marchés gouverner l’économie revient à se condamner à l’aveuglement ». Voir aussi l’article de Gaël GIRAUD. B. Perret a également publié « Réflexions provisoires sur les conséquences de la crise sanitaire » dans la Lettre de Justice et de Paix du mois de juin (n° 258). Un ton au-‐dessus des bavardages en boucle ! Une paresseuse illusion doit être mise en cause : la recherche par chacun de son seul avantage profiterait en fait à tout le monde ! Heureusement l’éthique de responsabilité n’a pas déserté notre monde. Un tel engagement demande du courage, mais nous sommes capables d’une fraternité active qui sert la vie !
À noter encore :
* « À l’heure du Covid-‐19 Sur le moment et sur l’après. » Entretien avec le frère Bruno CADORÉ. Propos recueillis par Jean-‐François Colosimo. B. Cadoré, dominicain, fut maître général de l’Ordre ; il a aussi exercé son métier de médecin et de chercheur et est spécialisé en éthique théologique. Des réflexions qui donnent à penser ! * La fête de Pentecôte marquait le 5ème anniversaire de la publication de l’encyclique du pape François : Laudato si’. Une occasion pour relire ce document positivement accueilli au-‐delà des frontières ecclésiales qui continue d’alimenter de nombreuses réflexions.