Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

Ce jeudi 21 octobre, Confrontations ouvre son nouveau cycle « Intellectuels et citoyens chrétiens face au fait militaire : que savons-nous » par un premier débat « Armée et politique extérieure de la France ».

Comment, pourquoi et où, des opérations extérieures de l’armée française ? Comment sont-elles décidées ? Comment sont-elles perçues et vécues par les militaires ? Quels effets pour la nation ? Dans quelle mesure et en quoi les citoyens sont-ils concernés ? Quels effets dans le contexte mondial actuel ? Quel rôle de l’armée française dans la sécurité globale ?

Participeront à ce débat :

le Général de Division Pierre-Joseph Givre, Directeur du CDEC (Centre de doctrine et d’enseignement du commandement) de l’armée de Terre, chef d’État-Major de la MINUSMA au Mali jusqu’en juillet 2021.

Bertrand Badie, Professeur des universités émérite à l’Institut d’Études politiques de Paris, auteur en dernier lieu de : Les puissances mondiales, repenser la sécurité internationale, Odile Jacob, 2021.

Venez participer sur place ou sous forme numérique.

Rendez-vous jeudi 21 octobre à 19h00

Salle Christophe Dumont,
45 rue de la Glacière
75013 Paris

Sous réserve d’évolution, le pass sanitaire ou un test PCR négatif vous seront demandés pour accéder à la salle.

La rencontre sera également diffusée en ligne

1 – Vie sociale et tensions

* Qu’il y ait des différences de points de vue, quoi de plus normal ! Les intérêts des uns et des autres ne s’accordent pas spontanément : ce qui avantage certains peut s’opposer aux légitimes aspirations des autres ; ne rêvons pas d’un marché instaurateur de justice ! Et l’humain ne peut être réduit à un automate obsédé par la course aux intérêts particuliers. Il y a bien en nous le désir d’être reliés à nos semblables, de pouvoir compter sur la bienveillance des autres, bref, de faire communauté. Selon Durkheim, les individus s’associent non seulement pour protéger leurs intérêts, mais d’abord « pour le plaisir de communier, c’est-à-dire, en définitive, pour pouvoir mener ensemble une même vie morale. » Aujourd’hui, nous ne nous référons pas spontanément aux mêmes critères moraux, mais la vie commune suppose que nous partagions des repères fondamentaux.

* Nous avons la référence aux droits humains, rappelée dans le préambule de la Constitution, et la trilogie républicaine : liberté, égalité, fraternité. La vie commune, dans notre pays, n’est donc pas condamnée au flou, au bruit de polémiques malsaines. Mais il faut encore que les citoyens aient à cœur d’incarner concrètement ces perspectives humanistes dans leurs choix quotidiens. Veillons à ce que des propos démagogiques ne viennent pas saper ces principes qui fondent notre vie commune.

* Il y a des débats, réjouissons-nous, la démocratie assume les différences et permet qu’elles s’expriment. Mais toutes les opinions ne se valent pas : certaines affirmations peu fondées risquent de renier le socle de nos valeurs communes. Notamment quand la campagne électorale ouvre la voie à des polémiques qui flirtent avec la discrimination de certaines catégories de  concitoyens. La violence des mots, sous la forme du mépris de l’autre, peut ouvrir la voie à des oppositions ravageuses. Il est grand temps de réhabiliter la belle vertu du respect : on peut débattre sans humilier l’adversaire.

* La démocratie suppose aussi que les citoyens soient associés à l’organisation de la cité. On peut s’inquiéter de l’usage fréquent du mot « pédagogie » dans la bouche de responsables politiques, or la pédagogie est « la science de l’éducation des enfants ». Les citoyens peuvent avoir une vision raisonnée des orientations à prendre ; ils ne sont pas des incapables, des gamins, tout juste bons à être manipulés par des stratégies com’ ! Un candidat aux élections doit-il dire «je ferai» ou «nous ferons ensemble» ?

2 – Entreprise et devoir de vigilance

Une loi de 2017 institue un « devoir de vigilance » des entreprises concernant la prévention des atteintes aux droits humains (ex. santé et sécurité des personnes) et à l’environnement. Ce devoir concerne les entreprises elles-mêmes ainsi que leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs. Mais certaines ne rendent aucun compte à ce propos et ne respectent donc pas la loi ; quant aux pouvoirs publics, ils se révèlent très peu actifs pour obtenir le respect de la loi. Aussi, des ONG ont lancé des actions en justice contre 6 entreprises qui considèrent la loi comme lettre morte.

Un signe que la vigilance doit être à l’ordre du jour : en 2020, 227 défenseurs de l’environnement ont été assassinés, le plus grand nombre en Amérique latine.

3 – Bonnes nouvelles

* Un projet des pouvoirs publics en vue d’ouvrir en permanence un contingent suffisant de places pour les personnes sans abri, le nombre de celles-ci étant évalué à 140 000. Ce programme serait établi en fonction des besoins locaux et en concertation avec les collectivités territoriales. Le but étant d’éviter un gâchis humain et financier lié au fait de ne raisonner qu’en termes d’hébergement d’urgence (notamment par grand froid). Cette politique d’aide permanente au profit des personnes à la rue comprendrait un réel accompagnement, de manière à faciliter l’accès à un vrai logement et à la réinsertion. Espérons que cette initiative ambitieuse ne tarde pas à se mettre en place et qu’elle survive aux polémiques qui empoisonnent les débats électoraux. De telles politiques demandent du temps et des concertations pour être mises en œuvre. Souhaitons que la persévérance devienne une vertu politique.

* On connaît le programme Erasmus qui émane de la Commission européenne et qui concerne notamment les étudiants ; ils peuvent aller dans un autre pays durant un semestre ou plus et voir leurs examens validés. On estime à 1 million le nombre de « bébés Erasmus« ,  d’enfants nés de parents de nationalités différentes. J’imagine l’étonnement ce ces bébés Erasmus à l’écoute de discours étroitement nationalistes ! Heureusement, l’amour se moque joyeusement des frontières : des jeunes peuvent croiser les richesses de cultures différentes. Heureusement, nos identités puisent à plusieurs sources et résistent aux replis tristounets, voire agressifs.

* La générosité des Français est en hausse : les dons en 2019 (derniers chiffres disponibles) se montent à 8,5 milliards d’euros, soit 1 milliard de plus qu’en 2015. Les dons émanant des particuliers représentent 59% de l’ensemble, l’autre part venant des entreprises, notamment sous forme de mécénat. Les bénéficiaires sont des organismes dédiés à la solidarité et à la santé (40%), puis les organismes à caractère cultuel (23%). Un point sombre cependant : le nombre de donateurs diminue de manière continue…

4 – Humanité en souffrance

* Selon l’ONU, en 2020, 768 millions de personnes se trouvent en situation de grave sous alimentation mettant leur vie en danger et 2,4 milliards en insécurité alimentaire. Une situation qui se dégrade depuis 6 ans, alors qu’on espérait résoudre ce problème dramatique. En cause : le changement climatique qui affecte les ressources alimentaires, la pandémie qui prive de revenus certaines populations fragiles, des politiques qui laissent croître les inégalités. Un exemple inquiétant : le Brésil.

* Dans le monde, 1,2 million de mineurs (enfants et jeunes) se trouvent en prison ou en centre de détention. Ces lieux d’incarcération ne permettent guère un parcours d’éducation et de réinsertion. Quand les mineurs se trouvent mêlés à d’autres populations, ils sont les premières victimes de mauvais traitements en tous genres.

 5 – Véronique MARGRON, présidente de la conférence des religieux et religieuses de France, à propos du rapport Sauvé sur les abus sexuels en Église : «Cette réalité est terrifiante et plonge dans l’abîme. Derrière les chiffres, il y a des vies, des histoires singulières, brisées. (…) Alors que témoigner de l’Évangile est la seule finalité de l’Église, certains ont usé d’emprise en invoquant la charité, la volonté de Dieu ; on se sert du meilleur pour le transformer en œuvre de mort. (…) S’il incombe à notre génération de rendre justice aux victimes présentes de crimes passés, il lui incombe aussi de faire face à l‘avenir afin qu’un tel scandale ne puisse se reproduire.»  La Croix du 6 octobre.

Père André Talbot

Rendez-vous dans un mois pour le prochain numéro de # DIÈSE

« L’Église de Dieu est convoquée en Synode ». Tels sont les premiers mots du Document préparatoire au Synode, complétés par le titre « Pour une Église synodale : communion, participation et mission ». Le Synode sera ouvert les 9-10 octobre 2021 à Rome et le 17 octobre dans chaque diocèse. Les travaux se poursuivront jusqu’en 2023.

Par cette convocation, le pape François invite l’Église toute entière à s’interroger sur sa vie et sa mission : « le chemin de la synodalité est précisément celui que Dieu attend de l’Église du troisième millénaire… Cet itinéraire, qui s’inscrit dans le sillage de l’aggiornamento de l’Église proposé par le Concile Vatican II, est un don et un devoir ».

Les synodes universels sont traditionnellement réservés aux évêques qui représentent leurs Églises respectives. Certes, ils sont accompagnés par des auditeurs laïcs ou religieux, mais leurs voix comptent peu. Le Synode pour l’Amazonie (octobre 2019) a ouvert la voie à une approche différente, ouverte, en ce qu’il a été préparé par des centaines de rencontres organisées avec les populations « originaires » de la vaste Amazonie. Leur contribution a irrigué les travaux du Synode. Le Pape François en a saisi la forme originale pour proposer à l’Église toute entière de se mettre en route sous la conduite de l’Esprit Saint.

Le Document Préparatoire propose d’aider à cheminer pendant la première phase d’écoute et de consultation du Peuple de Dieu dans les Églises particulières (octobre 2021 – avril 2022). La question fondamentale posée est la suivante : « quels pas de plus l’Esprit nous invite-t-il à poser pour grandir comme Église synodale ? » Une synodalité présentée comme forme, comme style et comme structure de l’Église. Parmi les éléments de réflexion et objectifs mis en avant dans le texte, nous pouvons retenir quelques axes :

♦ vivre un processus ecclésial impliquant la participation et l’inclusion de tous, qui offre à chacun – en particulier à ceux qui se trouvent marginalisés – l’opportunité de s’exprimer et d’être écoutés pour contribuer à l’édification du Peuple de Dieu.

♦ expérimenter des modes d’exercice de la responsabilité partagée au service de l’annonce de l’Évangile et de l’engagement à construire un monde plus beau et plus habitable.

♦ examiner la façon dont sont vécus dans l’Église la responsabilité et le pouvoir, ainsi que les structures par lesquels ils sont gérés, en faisant ressortir et en essayant de convertir les préjugés et les pratiques déviantes qui ne sont pas enracinées dans l’Évangile.

Un point mérite d’être souligné : l’Église doit relever le défi d’accompagner les personnes et les communautés en souffrance. Le document préparatoire dresse un état des lieux. La tragédie globale que nous traversons avec la pandémie de Covid-19 a fait exploser les inégalités et les injustices. La condition tragique que vivent les migrants dans toutes les régions du monde témoigne de la hauteur et de la solidité des barrières qui divisent encore l’unique famille humaine. Dès lors, l’Église doit se mettre à l’écoute de la clameur des pauvres et de la clameur de la terre et reconnaître les semences d’espérance et d’avenir que l’Esprit continue à faire germer à notre époque. Le défi posé sera d’accompagner les personnes et les communautés à relire des expériences de lutte et de souffrance.

C’est ce à quoi nous sommes invités où que nous soyons.

Dans cet esprit, comme le Réseau Ecclésial Pan-amazonien (REPAM) qui a déjà l’expérience du Synode pour l’Amazonie, d’autres réseaux ecclésiaux ont le même objectif de promouvoir la parole et l’expérience des communautés autochtones comme chemin pour la conversion écologique. Fédérés dans l’Alliance des Réseaux Ecclésiaux pour l’écologie intégrale, ces réseaux s’engagent partout sur la planète à soutenir la participation des peuples autochtones à cette démarche synodale. Trop souvent marginalisés, leur expérience de vie, dans la nature et entre eux, peut offrir des jalons pour éclairer notre avenir incertain.

Nous, qui sommes engagés sur les chemins de la justice et de la paix, nous avons beaucoup à partager pour que les questionnements soient posés et l’expérience sociale de l’Église valorisée dans ce marcher ensemble en Église et dans la société.