Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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La pauvreté n’est pas que monétaire. Avec la pandémie, ce sont plus de 500 millions de personnes qui ont souffert ou souffrent de l’absence ou de la dégradation des soins, de l’arrêt de l’éducation, de la suppression de leur travail…

Le « Tout est lié » de l’encyclique Laudato si’ permet à l’Observatoire de la Transition Écologique d’entamer une réflexion, au sein de Justice et Paix France, sur la culture du déchet qui « affecte aussi bien les personnes que les choses vite transformées en ordures ». §22

De cette insistance sur l’enjeu culturel, nous retenons l’attention à un « éthos du déchet ». Une manière de penser et d’agir qui conduit à laisser en arrière ce qu’on ne veut plus voir, tant des objets, des vivants, des humains. Il ne suffit pas de dénoncer. Avec cinq témoins engagés, dont un économiste, nous proposons une parole alternative basée sur des pratiques qui prennent en considération les biens et le vivant, le respect des personnes. Trois domaines sont décrits en fonction des ancrages territoriaux.

En ce qui concerne la collecte et le tri des déchets, ce qui paraissait gênant peut devenir une ressource grâce au recyclage, à la réutilisation d’éléments, à la réparation. Ce qui suppose un engagement des concepteurs pour prendre en compte ces possibilités et ne pas laisser à la communauté la charge des externalités négatives.

En agriculture, une production en bio va associer cultures et élevages, en variant les cultures, ce qui évite l’utilisation d’intrants chimiques. Elle va aussi promouvoir un élevage en plein air qui contribue au bien être animal. La protection de la nature, pour le bien de tous, est associée à une production de qualité.

Une institution qui prend en charge des personnes fragiles, surtout des enfants et des femmes, promeut une culture de la confiance de telle manière que chacun puisse développer ses compétences et les mettre au service de l’ensemble. Elle soutient une « écologie intégrale » avec une éducation personnalisée, un rapport pacifié à la nature, une nourriture de qualité et une vie commune qui fait place à chacun. Dans le même sens, un territoire zéro chômeur de longue durée mise sur la confiance afin que chacun retrouve l’estime de soi tout en apportant sa contribution à la vie commune.

N.B. D’autres entretiens auront lieu tandis que la réflexion éthique et théologique sera poursuivie.

Une version longue de cet article est disponible sur le site de Justice et Paix France.

Michel Roy, Justice et Paix France

En réalité, les discriminations dont sont victimes les minorités trouvent leur source dans trois attitudes : celle des autorités qui dictent une conduite radicale cherchant à faire disparaître la différence et à assimiler, selon les lois du régime, tout peuple qui tenterait de s’en émanciper ; celle des entreprises nationales ou multinationales avides des richesses qui se trouvent sur le territoire de ces minorités ; celle des populations majoritaires qui méprisent ces minorités attardées et réfractaires à la civilisation qu’elles veulent les voir adopter ou qui les rejettent tout simplement parce qu’elles ne les considèrent pas comme des êtres humains comme les autres (système de castes).

Pour ce court dossier, nous avons choisi de parler de quatre minorités discriminées qui ne sont jamais à la une des médias : les Papous d’Indonésie; les Kachins du Myanmar; les Malais de Thaïlande; les Adivasis d’Inde.

 

Les Adivasis (communautés indigènes appelées ‘tribales’) en Inde

L’Inde est une démocratie depuis son indépendance en 1947, héritage de la longue colonisation britannique, avec des institutions solides qui séparent l’exécutif, le législatif et le judiciaire comme dans les autres états démocratiques. La société indienne reste pour autant une société de castes, où les hors castes (dalit) et les peuples autochtones (adivasis) sont considérés comme des humains de second rang, n’ayant pas les mêmes droits que les gens de caste. Le gouvernement actuel est aux mains des nationalistes hindous qui veulent imposer à tout prix la supériorité hindoue sur les autres communautés. Les musulmans, qui sont les plus nombreux après les hindous, sont les premiers attaqués. Les chrétiens, les bouddhistes et autres minorités religieuses le sont aussi.

Dans la société hindoue de castes, les « tribaux » ne sont pas considérés comme des humains à part entière. Si la constitution indienne leur reconnaît des droits, ils sont souvent bafoués dans l’impunité. Et ceux qui prennent leur défense sont la cible des autorités. Il en est ainsi du père jésuite Stan Swamy, 83 ans, qui est en prison depuis septembre 2020, incarcéré pour avoir défendu et organisé la défense de ces communautés. Vivant depuis 30 ans dans l’état du Jharkhand où les tribaux sont nombreux, il a travaillé à leur défense sur les questions de la terre, de la forêt et du droit du travail. Bien que la constitution indienne prévoie l’établissement de conseils tribaux, peu ont vu le jour.

Les frustrations accumulées se traduisent parfois par la violence, en particulier quand des entreprises minières viennent détruire leur habitat forestier traditionnel malgré leur droit reconnu par la constitution. De nombreux jeunes sont arrêtés et détenus sans procès, sur la base de leur soi-disant appartenance à des groupes maoïstes (appelés naxalites) qui n’est en rien prouvée. Le père Stan et d’autres défenseurs des droits des communautés ont été arrêtés pour ‘appartenance à des mouvements terroristes’, accusation facile et systématique portée à l’encontre des défenseurs des droits. À quand l’égalité des droits des citoyens indiens et la reconnaissance du droit au développement de toutes les communautés de ce grand pays ?

Les Kachins au Myanmar

Le Myanmar est un pays multi-ethnique où la majorité birmane (bamar) de tradition essentiellement bouddhiste domine et refuse de reconnaître les droits des autres peuples qui le composent.

C’est ainsi que le peuple Kachin, au nord, comme tous les autres peuples de la périphérie du pays, résiste depuis la prise de pouvoir par les militaires en 1962 pour pouvoir exister en tant que peuple partie prenante de l’ensemble et non seulement comme peuple dominé et soumis dont seules les ressources naturelles présentent un intérêt pour la majorité birmane au pouvoir. Avec une discrimination généralisée et systématique contre les peuples minoritaires dans toute la Birmanie, les populations autochtones se sont senties non seulement traitées comme des citoyens de seconde zone, mais aussi en grand danger de perdre leurs cultures traditionnelles propres.

Les Kachins ont fini par prendre les armes pour tenter de survivre et se faire respecter. Le conflit entre la Kachin Independence Organisation (KIO) et l’armée birmane n’a jamais trouvé d’issue, créant de ce fait un système d’administration inadéquat dont on aura de la peine à sortir le jour où la paix sera revenue. Un dialogue s’était certes développé ces dernières années dans le cadre de la démocratie instaurée, mais la situation présente rebat les cartes. Les pourparlers de paix ont été mis au placard et l’organisation Kachine a rejoint les autres forces de résistance pour envisager une opposition armée au régime militaire de fait.

Les solutions discutées dans le cadre de ce dialogue sont connues : transfert du pouvoir dans un cadre confédéral ou décentralisé, souveraineté sur les ressources du territoire, mise en place de systèmes effectifs de santé et d’éducation qui respectent les langues et traditions locales, liberté religieuse, retour des déplacés, promotion de la paix sur le long terme, intégration des miliciens qui n’ont connu d’autre horizon que la violence, travail de réconciliation en promouvant la diversité.

La situation présente, faite de violence inouïe et de mensonges systématiques, génère néanmoins une prise de conscience de nombreux Bamars et de leur responsabilité à l’égard des autres peuples, comme le peuple kachin, qui composent leur pays.

 

Les Malais de Thaïlande

Pour des raisons géopolitiques, au début du XXe siècle, les Thaïlandais et les Britanniques se partagèrent la péninsule malaise. La Thaïlande hérita des territoires dont elle avait eu la suzeraineté dans l’histoire, en particulier le sultanat de Pattani. Depuis lors, elle s’est employée à les « siamiser » en particulier à travers les écoles et les structures administratives, imposant la langue thaïe.

Cette orientation n’a pas vraiment réussi. Un système de madrasas privées a été mis en place pour préserver la langue malaise et l’éducation religieuse musulmane. Le sentiment d’être des citoyens de second rang est largement partagé, y compris sur le plan économique, la région ne bénéficiant pas d’investissements comme les autres provinces et étant exploitée par des sociétés forestières en particulier qui ne sont pas du lieu. Le sentiment qui domine est celui d’être colonisés, relégués par une majorité bouddhiste parfois intransigeante qui se méfie des musulmans.

Face à cette situation, des groupes politiques revendiquant la liberté sont nés et certains se sont radicalisés, créant des branches militaires. Le plus actif est le Barisan Revolusi Nasional (BRN). En retour, les autorités ont facilité la naissance de groupes paramilitaires qui s’opposent à toute velléité de promotion de l’identité malaise. Un cercle de violence sans fin.

Les populations n’aspirent qu’à vivre en paix dans la justice, ce qui suppose une reconnaissance des particularités de cette minorité : malaise et musulmane, et la liberté de parler sa langue et de vivre son identité. Il est encore temps de trouver les voies d’une autonomie qui permette d’éviter la poursuite de la violence et de la radicalisation. Des pourparlers amorcés l’an dernier n’ont encore pas abouti.

 

Les Papous d’Indonésie

L’Indonésie est un pays très divers en termes de population. Si les javanais sont la majorité avec 40 % de la population, les minorités sont multiples. Entre 40 et 70 millions de personnes dans les zones rurales d’Indonésie ont accès aux terres et aux ressources en vertu de lois coutumières. En Papouasie occidentale, la destruction des forêts et des rivières sape les moyens de subsistance des autochtones et détruit les terres ancestrales. Elles sont causées par les migrations internes de millions de javanais n’arrivant plus à vivre chez eux dans des îles surpeuplées, et par les entreprises nationales et multinationales.

Malgré des garanties constitutionnelles et la ratification par l’Indonésie des principales conventions relatives aux droits humains, les droits de ces « peuples autochtones » sont ignorés ou affaiblis dans les lois agraire et forestière fondamentales. La plupart d’entre eux ne disposent pas de titres de propriété pour leurs terres. Les industries extractives, les barrages et les projets d’infrastructures d’envergure nationale sont les causes principales de ces violations.

Après quelques initiatives du gouvernement central pour le respect des droits des populations, la sécurité nationale a fini par reprendre la main pour imposer un état d’urgence non avoué mais bien réel. Cela a conduit à l’intensification de la violence – forte augmentation du nombre de victimes des deux côtés aussi bien chez les combattants (de l’armée de libération de la Papouasie et de l’armée indonésienne) que chez les civils (interventions militaires dans les villages, assassinats de personnages clés) -, de la confusion et de la peur.

La société civile locale agit pour que soit mis fin à la prise de contrôle sur des terres des peuples autochtones, à la destruction de leurs forêts et rivières, et à la fragilisation de leurs moyens de subsistance, mais face à l’engrenage de la violence, son action reste bien limitée.

 

En guise de conclusion,

Nombreuses sont les minorités menacées dans leur existence en Asie comme ailleurs sur la planète. Le modèle de développement basé sur la croissance économique et financière qui s’est imposé au cours des dernières décennies conduit inéluctablement à la marginalisation de ceux qui n’ont pas d’utilité reconnue par le système et qui donne aux puissants les moyens de la domination.

Les quatre exemples présentés ont quelque chose de commun : ils révèlent que les puissances financière et militaire dans des pays autoritaires n’en ont rien à faire de la dignité intrinsèque de tout être humain et de son droit à vivre et à se développer dans l’espace et la culture dans laquelle il est né. Ce système est inhumain et doit être combattu. La périphérie que représentent ces minorités menacées doit se retrouver au centre du monde que nous voulons construire. Avec elles.